A Pourim, l’habit fait bel et bien le moine

Dis-moi comment tu te déguises, je te dirais qui tu es

Une parade d'enfants dans les rues (photo credit: DR)
Une parade d'enfants dans les rues
(photo credit: DR)
Lorsqu’arrive le mois d’Adar, on multiplie les manifestations de joie, affirment les Sages de la tradition juive. Ils auraient pu tout aussi bien mentionner le principe suivant : à Pourim, on ne lésine pas avec le déguisement. Ainsi, passé Tou BiChvat, une seule chose préoccupe les Israéliens, « en quoi se déguiser ». Difficile de passer à travers : publicités à gogo, spots télévisés, catalogues promotionnels distribués dans les boîtes aux lettres. Un peu partout dans le pays, les magasins de jouets, d’accessoires, les grandes surfaces et même certaines enseignes de mode, déploient leurs plus belles panoplies. Chapeaux pointus, masques et jupes en tulle font leur retour en force en tête de gondoles. Sans parler des costumes pour enfants débarqués d’Asie par centaines de milliers d’exemplaires, pour l’occasion.
Qu’ils le veuillent ou non, les plus jeunes auront du mal à y échapper. Sous le poids de la pression sociale et familiale, ou encore des exigences de la maîtresse, ils seront bien souvent obligés d’endosser l’habit, de gré, ou de force. Un jeu joyeux pour beaucoup, car la majorité des petits aiment à se travestir. « En Israël, les crèches et classes de maternelles ont tous un coin déguisement », pointe la psychologue Anat Weinberg, spécialisée dans les problèmes de communication juvénile, « et c’est en général un endroit particulièrement prisé. L’enfant enfile la peau d’un autre, s’identifie à un personnage qui souvent le fait rêver. Il devient soudain une sorte de héros. » Mais ce n’est pas le cas de tous, poursuit-elle. « Certains se sentent au contraire très mal à l’aise dans ce qu’ils considèrent comme un accoutrement. Ils sont alors perdus, désemparés. Un comportement qui n’est pas si rare, mais qui doit interpeller, car il révèle chez l’enfant un trouble qu’il faut l’aider à surmonter. »
Une pratique bénéfique
Le déguisement, pourtant, est bénéfique, explique la psychologue. Il favorise le développement de la personnalité. Il constitue une sorte de jeu éducatif, qui permet aux plus jeunes de se construire sur des bases positives, en imitant un modèle qu’ils valorisent et à qui ils veulent s’identifier. Pour ceux-là, le costume de Pourim remplit alors sa fonction première. « En général, les fillettes aiment les robes longues. Soit pour faire comme maman, soit pour jouer les fées et les princesses. Les garçons, eux, choisissent invariablement les uniformes de métiers, ou les panoplies de héros imaginaires. » Il n’y a rien de mal à ça, note Anat Weinberg, qui déplore toutefois le manque d’alternative proposée et regrette le caractère trop sexué des costumes. « C’est très bien que la fillette explore sa féminité et le garçon sa virilité, mais on n’est pas obligé de les cantonner à une définition des rôles trop marquée, dès le plus jeune âge. La grâce et la beauté ne sont pas réservées aux femmes, et la force n’est pas seulement l’apanage des hommes. » On croit que le déguisement débride l’imagination juvénile, poursuit-elle, alors que bien souvent il confine celui qui le porte dans des cases. Inconsciemment, le jeune enfant répond à ce que la société ou les parents attendent de lui : être belle pour une fille, être fort pour un garçon.
Anat Weinberg critique le manque de variété des costumes de Pourim dans le commerce. « Chez les 2-8 ans, il n’y a pas beaucoup de place pour la diversité. Rien ni personne n’encourage l’enfant à se singulariser, à se différencier. On retrouve inlassablement les mêmes tenues devant toutes les devantures de magasins de jouets. Et c’est bien dommage. » Avant cet âge, la psychologue déconseille aux parents de costumer leurs jeunes enfants. « Les petits de quelques mois n’ont aucune conscience de l’apparence, pour eux, le déguisement n’a aucune valeur et il est plutôt inconfortable. » Et de pointer ces bébés de quelques mois, rouges et transpirants sous leurs peaux d’ours synthétiques ou leurs oreilles de Mickey. « Cela fait plaisir aux adultes, mais certainement pas aux nourrissons. »
Question d’image
La psychologue n’est pas tendre avec certains parents, à qui elle reproche de considérer leurs enfants « comme des objets ». « Le déguisement consiste à se cacher, à se dissimuler. Il envoie un message clair : je ne suis pas ce que je parais. Or, bien souvent, Pourim devient l’occasion de se mettre – soi ou ses enfants – en avant, de se montrer de façon ostentatoire. On a tendance à oublier l’esprit de la fête. » Elle revient ainsi sur les budgets parfois faramineux investis pour des enfants de 3 ou 4 ans, alors qu’un voile et deux accessoires auraient suffi.
En moyenne, le déguisement acheté dans le commerce pour un jeune enfant coûte entre 70 et 100 shekels. Mais certaines marques font flamber les enchères. A Tel-Aviv, l’atelier Thumbolina par exemple, qui propose des accessoires et costumes faits à la main pour bébés et âge préscolaire, écoule sa combinaison de lapin à 290 shekels. Pour son nain de jardin, le magasin telavivien Nesichula demande 289 shekels, qu’il justifie par le confort de ses matières premières. Quant à la sorcière de Tzlil Shaked, autre designer pour têtes blondes, elle réclame la modique somme de 399 shekels. « Les parents se flattent à travers le déguisement de leurs enfants, mais ce n’est pas le but recherché », souligne Anat Weinberg.
Ce n’est qu’à partir d’un certain âge, à la préadolescence, que les jeunes s’affranchissent du poids parental et deviennent maîtres à part entière de leur image. « Ils refusent alors les fantasmes de leurs parents ou le joug d’une société, et cherchent à s’affirmer derrière le costume ou l’accoutrement. Bien souvent, ils aiment sortir des sentiers battus. Le déguisement devient pour eux un exutoire qui leur permet de défier les lois sociales, l’ordre établi. Chez la majorité des jeunes ados qui se griment, il existe souvent un zeste de provocation », explique la psychologue qui cautionne ce moment de libération, « sans toutefois laisser libre cours à tous les dévergondages. »
Parfois, la dérive prend des formes inattendues. Chaque fête de Pourim s’accompagne de son lot de scandales et de dérapages. Et cette année n’est pas en reste : le plus ancien fabricant israélien de déguisements, Shoshi Zohar, a défrayé la chronique pour proposer sur son catalogue la tenue d’un soldat Guivati, avec, pour accessoire, un couteau ensanglanté. « On reproche aux Palestiniens d’élever leurs enfants dans la haine », note Anat Weinberg, « mais il nous faut faire attention à ce que nous faisons aussi. Ce genre de costume est très nocif pour un jeune enfant, il cautionne la violence. » Autre tendance qui fait le buzz pour ce Pourim 2017, en lien direct avec l’actualité : se déguiser en Elor Azaria, condamné à 18 mois de prison pour avoir abattu un terroriste palestinien neutralisé au sol, à Hébron. Une initiative privée au départ, reprise par le comité de soutien pour la libération du soldat, qui a organisé un concours « du meilleur déguisement d’Elor Azaria ».
« Il est dommage que Pourim soit pris en otage par des revendications politiques. C’est une des caractéristiques de la société israélienne que de tout politiser. Mais cette fête du mois d’Adar devrait être un moment de joies et de célébrations confraternelles pour tout le peuple d’Israël. Un jour pour fédérer et non diviser. Nous avons toute l’année pour faire passer nos messages et nous exprimer sur l’actualité. Profitons de Pourim pour nous détendre et laisser nos différends de côté », ponctue ainsi Anat Weinberg. 
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