A voir jusqu'au 18 avril, une exposition consacrée à Goya

Pour célébrer les 30 ans des relations diplomatiques israélo-espagnoles, le Musée d’Israël présente une exposition unique des œuvres de Francisco Goya

Vue d'ensemble de la rétrospective consacrée à Goya (photo credit: ISRAEL MUSEUM)
Vue d'ensemble de la rétrospective consacrée à Goya
(photo credit: ISRAEL MUSEUM)
«L’œuvre de Goya montre comment l’atrocité se nourrit de l’atrocité. C’est un puissant réquisitoire contre les horreurs de la guerre, que ce soit aujourd’hui en Bosnie, ou en Espagne au siècle dernier », écrivait le journaliste Russell Vallance dans The Independent en octobre 1994. Ce qui était vrai à l’époque l’est tout autant aujourd’hui, au lendemain de la bataille d’Alep, en Syrie.
Le biographe Robert Hughes qualifie Francisco José de Goya y Lucientes de premier artiste contemporain et de dernier maître ancien. Pour autant, il va sans dire qu’au milieu du XVIIIe siècle, sa peinture était perçue comme fortement ancrée dans la tradition, enracinée dans le passé et la perfection des maîtres espagnols.
Cinq des pièces maîtresses de l’exposition présentée au Musée d’Israël sont le fruit de commandes de la cour royale espagnole, œuvres de jeunesse de l’artiste. Des chefs-d’œuvre comme Le pantin (1792), où des jeunes femmes aux pommettes rouges font sauter un homme de paille sur une toile, et Le parasol (1777), portrait d’un homme et d’une femme tenant une ombrelle verte, révèlent les couleurs et la légèreté des scènes dont est alors témoin le peintre aragonais.
L’ombrelle et le pantin
Plusieurs toiles proviennent du Prado en Espagne. « Avec ces dix peintures majeures du célèbre musée madrilène, présentées aux côtés d’importants travaux sur papier issus de nos propres collections, nous avons voulu illustrer la virtuosité artistique de Goya et prouver l’étendue du partenariat du Musée d’Israël avec ses institutions sœurs à travers le monde. » Une collaboration facilitée par Manuela Mena Marques, qui dirige le département des peintures de Goya et du XVIIIe siècle au Prado.
Quoi de mieux, en effet, pour célébrer les 30 ans de relations diplomatiques avec l’Espagne, que d’exposer quelques-unes des œuvres de Goya les plus emblématiques, qui rendent avec une telle puissance l’essence de la vie politique et sociale de son époque en Espagne ?
Sur l’un des murs, trois grandes toiles ainsi que des gravures et aquatintes. Certaines d’entre elles sont la propriété du Musée d’Israël. Elles sont issues de trois collections : La Tauromachie (1815-1816), Los Disparates (1815-1823) et Les désastres de la guerre (1810-1820). Une quatrième, Los Capriches (1797-1798) est un prêt prolongé de l’Institut Weizmann des sciences. La plupart des eaux-fortes n’ont été publiées que dans les années 1860, indique Shlomit Steinberg, la commissaire de l’exposition. Elles permettent une compréhension plus profonde du peintre aragonais, qui apparaît à la fois comme un moderniste et un chantre de la critique sociale. « Il dénonce certains aspects de la société espagnole, tout en évitant de compromettre sa position à la cour et de risquer une enquête de l’Inquisition. » N’oublions pas qu’à l’époque, l’Inquisition était encore très puissante et que tout blasphème était puni. « L’Espagne n’a pas une longue tradition de gravure. Goya était l’un des premiers graveurs de son temps », explique Shlomit Steinberg.
Un court extrait du film de Milos Forman, Les Fantômes de Goya (2006), accompagne les impressions en noir et blanc, et détaille le processus de fabrication d’une gravure. « C’était le maître de l’ombre et de la lumière. Il a également adapté la composition à ses besoins, comme pour les corridas. Il utilise alors le format horizontal. En revanche, quand il décrit la vie de tous les jours à Madrid, il fait appel à la composition verticale, comme pour un livre.
Ombre et lumière
Le contraste entre les œuvres du jeune Goya, ses eaux-fortes et travaux plus tardifs est si fort, qu’on a l’impression d’avoir affaire à des créations de deux artistes différents. Les toiles de sa première période, incluant la plupart des dix œuvres exposées, représentent des « scènes domestiques et pastorales » qui débordent « d’ombre et de lumière », selon le catalogue du musée. L’artiste était « désireux de plaire à ses commanditaires, guidé par la promesse de l’approbation du public et de la stabilité financière ».
Le peintre rend compte de l’occupation de l’armée napoléonienne en 1807, suivie par un soulèvement populaire l’année suivante. « J’ai vu cela », écrit Goya sur l’une de ses gravures représentant une scène cruelle, pendant la guerre avec Napoléon. L’artiste aragonais décrit également le début de la rébellion dans une œuvre célèbre, Le 2 mai et le 3 mai (qui ne figure pas dans l’exposition).
Au cours de la guerre, l’artiste est témoin de nombreuses atrocités. Pour échapper à l’horreur, il les transforme en eaux-fortes : des cadavres mutilés, des hommes lynchés et exécutés, des femmes qui tirent le canon sur l’ennemi. Un cadre représente des hommes coupés en morceaux accrochés à un arbre, une tête enfoncée sur une branche. Des scènes qui nous rappellent la guerre en Syrie. C’est ce qui fait de Goya un artiste unique : le peintre de cour, focalisé sur les plaisirs bourgeois, se mue en un homme pris entre rêveries et cauchemars, comme le traduit, à juste titre, l’intitulé de l’exposition.
C’est un artiste très humain et, en ce sens aussi, un précurseur de l’art moderne. Ses fantasmes sexuels se retrouvent dans ses gravures de sorcières, notamment Linda Maestra, qui montre une femme nue chevauchant un balai tout en se cramponnant à un homme âgé. Il représente également des condamnés et des prisonniers. Quant à ses gravures de corridas, elles procèdent de sa volonté de donner une image des « événements terribles qui se déroulent aux premiers rangs de l’arène de Madrid ». Il relate également la mort du maire de Torrejon, à travers une gravure représentant un homme empalé par un taureau, tandis que d’autres sont piétinés à mort.
« Goya voulait créer des images qui forcent une compréhension morale de choses ordinaires et terribles », écrit le biographe Robert Hughes, en 2003. « En cela, il ne ressemble pratiquement à aucun artiste contemporain. » Hughes note, en passant, que Goya est le saint patron des photographes de guerre. Au-delà de cette fonction, il a canalisé les horreurs de la vie. Dans la photographie on se sent encore éloigné de la souffrance, mais quelque chose chez Goya approche une réalité que peu d’autres ont touchée.
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