Jean-Michel Jarre veut ressusciter la mer Morte

Le concert d’une vie, le plus grand spectacle jamais vu en Israël…

Un des concerts de Jean-Michel Jarre, en Egypte (photo credit: DR)
Un des concerts de Jean-Michel Jarre, en Egypte
(photo credit: DR)
Jean-Michel Jarre, c’est l’homme des grandes aventures scéniques. Ses méga-concerts multisensoriels, organisés aux quatre coins de cette planète qu’il écume depuis plus de 40 ans, mettent systématiquement des millions de spectateurs en apesanteur.
Ses disques se transforment en argent, or, platine. Lui-même est une sorte d’alchimiste de la matière première artistique, capable de se régénérer à chacune de ses apparitions et d’aller puiser dans les entrailles de la création, pour transformer la note en oxygène. Mais qu’on ne s’y méprenne pas, son art, c’est d’abord le son. Au-delà des effets spéciaux qui entourent ses prestations, l’artiste à tout faire est avant tout un compositeur. « La musique est la colonne vertébrale de mes spectacles. Quand je compose un disque, je ne pense pas à la façon de l’adapter sur scène », explique ce génie du clavier et des synthés. Bien sûr, l’image tient une place importante dans la puissance créative de celui qui a commencé sa carrière par la peinture, « cela fait partie de mon ADN, mais je me considère avant tout comme un musicien qui a souhaité, dès le départ, prolonger son aventure musicale sur le plan de la performance et du visuel. »
Après être passé par la variété française – on lui doit par exemple Les mots bleus de Christophe et Où sont les femmes ? de Patrick Juvet – il réalise très vite qu’il aimerait faire de la musique électronique. Influencé par l’opéra, il observe que les grands du classique « ont toujours eu envie, à un moment donné, de travailler avec des scénographes, des charpentiers, des peintres pour raconter une histoire, et repousser les frontières de la performance musicale ». Cette idée l’inspire. Une approche rendue nécessaire, aussi, par la particularité de la musique électronique, « difficile à comprendre ».
« Si on prend l’exemple du violon, on comprend culturellement que le son vient de l’instrument que l’on voit. Avec la musique électronique, ce n’est pas du tout la même chose. C’est pourquoi il m’est apparu important, dès le début de ma carrière, d’inventer une grammaire, un vocabulaire visuel, adapté à la musique électronique », explique-t-il. Il sera le précurseur du genre. Et de poursuivre : « Aujourd’hui, sur scène, tous les artistes utilisent beaucoup de procédés techniques et technologies visuelles. On dit d’ailleurs qu’on va “voir” un chanteur, alors que mes grands-parents allaient l’“écouter”. On a désormais une grande attente visuelle par rapport à l’artiste. »
Un méga-concert pour alerter
Jarre, on le connaît surtout depuis la sortie de son album Oxygène, en novembre 1976. Dix-sept albums et 40 ans plus tard, il s’est produit partout, ou presque. A Paris, Londres, Houston, Moscou, Le Caire, Athènes. Sa marque de fabrique, des méga-concerts, qui mêlent sa musique à des jeux de lumières et des effets pyrotechniques. Avec aussi un intérêt tout particulier pour le site qui héberge son spectacle.
Sa prochaine escale : le 6 avril, à Massada. La première apparition musicale de l’artiste en Terre promise, même si l’homme a déjà sillonné le pays plusieurs fois. Au programme, un show de huit heures, présenté par la production comme « le plus grand spectacle jamais vu en Israël ». Et pour cause. « Dans ce désert où tout a commencé », cinq plateformes panoramiques autonomes vont s’ériger pour surplomber la mer Morte ; cinq zones, dont les tarifs ont été établis en fonction des prestations exclusives proposées : zone de gravité (places à 120 euros), zone dansante (210 euros), zone Première Loge (380 euros), zone Premium (720 euros) et zone Emeraude. Des packages transport et hébergement ont également été mis en place par les organisateurs. Mais derrière l’enjeu logistique et la prouesse technique, se cache un projet cher à Jean-Michel Jarre : sensibiliser l’opinion publique à la dramatique situation de la mer Morte.
Tout a commencé voilà un an et demi, à l’occasion d’un séjour en Israël. Une visite dans la région de Massada, la rencontre avec des habitants de la région, puis avec les autorités locales, alarment Jean-Michel Jarre sur la menace d’assèchement de ce grand lac salé du Proche-Orient, partagé entre l’Etat juif et le royaume hachémite. Dans l’esprit de celui qui se définit comme un citoyen du monde et officie comme ambassadeur de bonne volonté de l’UNESCO, germe aussitôt l’idée d’un concert, comme une sorte d’accélérateur, pour accroître la prise de conscience à l’échelle internationale.
« Il m’a paru opportun de demander à l’UNESCO de réfléchir à la possibilité d’inscrire à son patrimoine mondial la mer Morte. On peut la comparer à la forêt amazonienne ou au pôle nord, dans le sens où ce sont des écosystèmes qui nous appartiennent à tous, et qui dépassent la problématique de la région. J’ai pensé à un spectacle pour faire comprendre que le problème ne peut être réglé localement, mais a besoin d’un regard extérieur. » L’occasion aussi de sensibiliser les jeunes, via Internet, d’alerter ceux qui ne sont a priori pas concernés par le phénomène, de faire réagir le plus grand nombre. « Il n’y a rien de pire que l’indifférence ou l’ignorance. Et aujourd’hui, les gens ne sont pas au courant de la situation. L’UNESCO est totalement consciente du problème, mais si, par ce concert, on arrive à sensibiliser l’opinion à cette problématique complexe, et à lui faire prendre conscience de l’urgence de la situation, ce sera déjà un grand pas de fait. »
A cet enjeu écologique s’ajoute également une dimension spirituelle pour Jean-Michel Jarre, à l’idée de planter ses synthétiseurs à Massada. « C’est un endroit qui a marqué l’histoire », note-t-il, « un haut lieu spirituel chargé de valeurs universelles. Et ce croisement entre la spiritualité et les préoccupations environnementales et écologiques en font un site idéal pour célébrer ces paramètres de manière fertile, à travers un événement culturel. »
Aventure nocturne
Aucun doute, pour Jarre, Israël est une terre de création. Il compare Tel-Aviv à ce qu’étaient Tokyo ou New York dans les années 1980, « des sources de renouvellement, d’innovation technologique et artistique incroyables ». Et de citer comme preuves de ce bouillonnement culturel l’omniprésence de la technologie d’Internet, les start-up qui ne cessent d’émerger, ou encore cette école de musique électronique de la Ville blanche, « avec ses 2 000 étudiants par an qui bénéficient d’un apprentissage de la musique électro de manière si innovante. Ils apprennent en même temps le solfège et à mixer avec des platines. Ce genre d’établissement est presque unique au monde. »
Le compositeur salue aussi la vivacité de la scène électronique telavivienne, terreau fertile pour un grand nombre d’artistes « qui apportent un son très particulier ». Il a d’ailleurs convié certains de ses représentants, comme DJ Ilya ou Shahar Z, qui officient « chacun dans un domaine différent de la musique électronique, ce qui donne une scène israélienne très riche », pour le concert du 6 avril.
C’est bien plus qu’un simple spectacle que préparent Jean-Michel Jarre et ses équipes. C’est une aventure nocturne dans le désert, huit heures durant, sur fond de décor naturel lunaire : « La nuit, autour de la mer Morte, on a l’impression d’être sur une autre planète », estime le compositeur. Les deux heures de prestation de l’artiste, entre 11 heures du soir et 1 heure du matin, « qui constituent le moment fort sur le plan du concert et du concept visuel », seront précédées et suivies par plusieurs DJ.
Un défi stimulant pour celui qui n’en est pas à son coup d’essai en matière de show pharaonique. Comme pour chacune de ses apparitions scéniques, Jean-Michel Jarre est très impliqué dans les préparatifs. Mais cette épopée israélienne, envisagée en pleine nature dans un site historique, exige aussi un respect total de l’environnement. « Nous sommes très attentifs à ce que le projet soit eco-friendly, donc il évolue en permanence depuis les premières décisions scénographiques. C’est comme une sorte d’animal qui vit et va progresser jusqu’au jour du concert », explique l’artiste.
Le pari de se lancer dans une telle entreprise, dans cette région du monde versatile et soumise aux lois d’une actualité indomptable, était risqué. Mais Jean-Michel Jarre n’a voulu céder ni aux menaces de boycott, ni aux craintes sécuritaires. « Je ne suis pas quelqu’un qui a peur, je veux raisonner. Et ce qui est dangereux sur le plan de la sécurité, ce qui fait la force des attentats si je puis dire, c’est qu’ils arrivent, on ne sait pas quand, et on ne sait pas où. Mais quand on organise quelque chose dans un site précis, cela pose moins de problèmes sécuritaires, car l’inconnu est maîtrisé. »
La paix, il veut y croire. Même s’il affirme que « pour les médias, ou pour des considérations purement économiques, la guerre est plus rentable que la paix ». Mais elle viendra, en son temps, dit-il. Il se déclare optimiste, non par naïveté, mais par subversion. « Dans l’histoire de l’humanité, c’est toujours la paix qui a fini par gagner jusqu’à maintenant, alors je ne vois pas pourquoi ce ne serait pas aussi le cas dans cette région. Je suis convaincu qu’on arrivera à une solution pacifique à un moment donné. Quand ? Ça, c’est une autre histoire. »
Pour l’heure, Jean-Michel Jarre se concentre sur les derniers réglages avant son concert. Un rendez-vous spirituel, émotionnel, qu’il est heureux de partager sur cette terre d’Israël. Un geste tout en symbole pour sauver la mer Morte. Et peut-être aussi, un petit pas vers la paix…
Jean-Michel Jarre à Massada le 6 avril
Live @ The Dead Sea  –  Internet : jmj-israel.co.il

© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite