L’Orchestre de chambre d’Israël semble avoir retrouvé le la

Avec son nouveau jeune et dynamique maestro, il est en passe de regagner un nouveau public

L’Orchestre de chambre d’Israël est confronté à des défis : faire revenir le public perdu, attirer de nouveaux auditeurs (photo credit: ASAF KLIGER)
L’Orchestre de chambre d’Israël est confronté à des défis : faire revenir le public perdu, attirer de nouveaux auditeurs
(photo credit: ASAF KLIGER)
Le point de départ de la série vidéo à succès d’Amazon Mozart in the jungle est assez simple : le New York Symphony, l’un des soi-disant plus grands orchestres du pays, est en péril. Le public a vieilli et les concerts ne font plus recette comme autrefois. Entre alors en scène son sauveur, le jeune et charismatique maestro Rodrigo (Gaël Garcia Bernal). Le héros se lance à cœur  perdu dans une quête obstinée pour revigorer et réinventer l’orchestre – voire la musique classique elle-même – et grâce à un travail acharné, une ambition démesurée et une bonne dose de foi, lui rendre sa gloire d’antan.
Les téléspectateurs qui connaissent peu ou prou le monde (réel) de la musique classique ne manqueront pas de relever çà et là quelques invraisemblances. Des auditions libres où l’on peut se précipiter à la dernière minute ? Un concert au pied levé, avec des instruments hors de prix, dans une ruelle quelconque ? Un peu tiré par les cheveux ! Mais au-delà de ces quelques extravagances, la série aborde un problème bien réel : la situation des orchestres de musique classique au XXIe siècle.
Entre réalité et fiction
Les aventures de Rodrigo sont sans doute passionnantes, et le spectateur s’y laisse volontiers prendre, vu l’audience de la série. On y rencontre une équipe de gentils musiciens, qui se battent pour vivre à fond leur passion, contre vents et marées. Au fil des épisodes, ils tireront une leçon précieuse sur la musique et sur la vie.
La réalité, malheureusement, est un peu plus compliquée, comme en témoigne le vécu d’un orchestre bien réel, pas à New York, mais à Tel-Aviv. L’histoire de l’Orchestre de chambre d’Israël (ICO) est beaucoup moins glamour, loin du strass et des paillettes hollywoodiennes. Lui aussi connaît une perte d’audience et fait face à un avenir incertain. Lui aussi a ses jeunes musiciens ambitieux et son Rodrigo de service, qui tente d’injecter un peu de sang neuf à un ensemble en péril. Jusqu’à présent, cela fonctionne : l’orchestre a élargi son public de plus de 40 % l’année dernière. Son nouveau chef d’orchestre et directeur musical, Ariel Zuckermann, 42 ans, semble avoir trouvé une tâche à sa mesure. Nommé en préparation de la saison 2015-2016 de l’ICO – sa 50e saison –, il s’est trouvé projeté au cœur d’une longue bataille épuisante pour sa survie. Comme le Rodrigo de Mozart in the jungle, lui aussi a été engagé pour tenter de sauver la mise.
La maigre part du gâteau
L’Orchestre de chambre d’Israël a été fondé en 1965 par Gary Bertini, célèbre musicien, chef d’orchestre et compositeur originaire de Bessarabie. Au fil des ans, il a collaboré avec certains des plus grands noms du classique, dont Isaac Stern et Itzhak Perlman, s’est produit à travers le pays et à l’étranger, et a acquis la réputation d’être l’un des meilleurs ensembles israéliens. Mais le tournant du siècle, hélas, ne lui a pas été tendre. Ce qui s’est passé reste un mystère, mais ce revers peut s’expliquer par un cocktail de mauvaise gestion et de graves luttes intestines. Ajoutez à cela, un public qui s’amenuise comme une peau de chagrin, d’où des rentrées d’argent de plus en plus difficiles. Sans compter la concurrence, qui semble aussi avoir joué un rôle non négligeable.
« Au fil des ans, plusieurs ensembles de qualité ont rejoint la scène et rivalisé avec l’ICO », explique Omer Shomrony, critique de musique classique et chargé de cours à l’université de Tel-Aviv. « Ces vingt dernières années, de nouveaux orchestres, comme l’Israel Camerata Jerusalem et le Netanya Kibbutz Orchestra, ont réussi à se faire un nom et à accaparer une partie de la clientèle. Mais ce n’est pas tout. Alors que de nouveaux acteurs ont accédé au marché, ce sont également les fonds publics qui ont diminué », précise Shomrony. « Le gâteau n’étant déjà pas bien gros, plus les parts sont nombreuses, plus leur taille se réduit ! Et naturellement, personne n’est prêt à descendre de l’affiche pour servir ses pairs. »
Certains rencontrent cependant plus de difficultés. En comparaison avec d’autres orchestres symphoniques comme l’Orchestre philharmonique d’Israël, qui lui sont bien supérieurs par la taille, un orchestre de chambre comme l’ICO a à un plus grand défi à relever en ce qui concerne son financement, explique le critique. « Plus l’ensemble est important, plus il est riche, plus grandes sont ses chances d’accueillir des solistes et chefs d’orchestres de renommée mondiale. Ces invités constituent l’un des principaux critères de réussite, car à leur tour, ils attirent de plus nombreux auditeurs, ce qui augmente les rentrées d’argent, et ainsi de suite… »
Plus dure sera la chute
Le déficit de l’orchestre a donc continué à s’alourdir, jusqu’à atteindre la somme critique d’environ 5 millions de shekels en 2003. L’ICO se devait donc de repartir à zéro, et en un certain sens, c’est ce qu’il a fait.
Le directeur général a démissionné, ainsi que de nombreux membres du conseil d’administration, et le violoniste Arie Bar-Droma a pris la direction de l’orchestre. On a fait appel à des professionnels de la finance, et un plan de redressement drastique a été mis sur pied. La consigne : jouer partout et le plus possible pour augmenter les revenus, et inévitablement, réduire les coûts. Les premiers à subir les conséquences de ces coupes ont été les musiciens, dont les salaires se sont vus réduits à la portion congrue. Pendant un certain temps, ces mesures ont semblé porter leurs fruits. Mais les dettes ont persisté et l’orchestre a encore traversé plusieurs années d’incertitude, passant d’un plan de rétablissement à un autre.
En 2013, un nouveau projet de relance est établi. Bien que l’orchestre s’y tienne, malgré quelques signes de reprise, cela ne suffit pas. Il ne parvient pas à rembourser complètement le prêt de 2 millions de shekels accordé par le gouvernement et à s’acquitter de ses dettes. A l’été 2015, avec plus de 4 millions de shekels d’endettement et à quelques semaines de l’ouverture de sa 50e saison festive, les musiciens de l’ICO se retrouvent devant le tribunal de district de Tel-Aviv, à jouer pour les passants et demander au juge de statuer en leur faveur. Verdict : la juge Iris Lushi-Abudi prolonge la suspension de procédure de l’orchestre, afin de lui donner une nouvelle chance pour assainir ses finances. Elle exige par ailleurs que le gouvernement lui verse immédiatement 1,1 million de shekels, soit près de la moitié de sa subvention annuelle. La saison ouvre donc (malgré un léger retard), tout comme la saison 2016-2017 le mois dernier.
L’ICO est désormais lié par un plan de redressement drastique. Lentement, il rembourse ses dettes et tente d’atteindre ses objectifs en matière de revenus. Si tout va bien, il lui faudra environ sept ans pour y parvenir, après quoi l’orchestre retrouvera son indépendance
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De passion et d’eau fraîche
Rinat Avisar, nommée directrice générale de l’Orchestre de chambre d’Israël il y a environ un an, est pleinement consciente des défis auxquels l’ensemble est confronté. Il lui faut trouver le moyen de faire revenir le public perdu, d’attirer de nouveaux auditeurs pour conserver sa vitalité, de sortir des sentiers battus tout en maintenant son intégrité musicale. Le tout avec un budget assez limité et conformément aux termes de son plan de redressement. Cette tâche ardue exige beaucoup. En premier lieu, il faut un leader derrière qui tout le monde puisse se ranger. Pour résumer, l’avenir de l’ICO repose pour beaucoup sur les épaules de son maestro et nouveau directeur musical, Ariel Zuckermann.
« Quelque chose d’étonnant est en train de se passer », confie Rinat Avisar. « Grâce à Zuckermann, d’excellents musiciens nous rejoignent de partout dans le pays, mais aussi de l’étranger. Ils sont tous prêts à accepter une réduction de salaire, à abandonner d’autres orchestres et leur pays d’origine, et tout cela pour ses beaux yeux. »
L’ensemble a donc pris un vrai coup de jeune. Au cours des deux dernières années, près de dix musiciens sont partis en retraite, d’autres ont quitté le navire après la dernière crise, et la tranche d’âge actuelle se situe entre 24 à 45 ans, ce qui est plutôt rare. C’est sans doute la fougue de la jeunesse, et certainement leur engagement sincère à la cause, qui permet à ces instrumentistes d’affronter le plus grand risque du métier : le manque d’argent. Si les salaires varient quelque peu en fonction de l’ancienneté et des pupitres occupés d’un orchestre à l’autre, les écarts ne sont pas significatifs. Les musiciens classiques en Israël gagnent à peine plus du salaire minimum. Dans tout le pays, des hommes et des femmes suivent des années de formation, souvent sous la baguette des noms les plus illustres de la profession, pour au bout du compte avoir du mal à joindre les deux bouts. Et les possibilités de promotion sont quasi inexistantes, car la plupart des ensembles, en dehors de l’Orchestre philharmonique d’Israël, font face aux mêmes difficultés.
A cela s’ajoute le coût élevé de la maintenance. Les musiciens ont besoin d’instruments onéreux (des dizaines voire des centaines de milliers de shekels), qui à leur tour exigent des soins constants, qui peuvent atteindre également de fortes sommes (entre quelques centaines et quelques milliers de shekels par an). En bref, l’argent n’est certainement pas une source de motivation pour s’engager dans une carrière musicale. En Israël, en tout cas. Un constat qui porte non seulement préjudice aux musiciens, mais aussi à leurs ensembles. Si un orchestre n’a pas les ressources nécessaires pour offrir un salaire décent à ses membres, ceux-ci n’ont pas d’autre choix que de se trouver un complément de revenu, explique Omer Shomrony. Ils enseignent et jouent dans des concerts ponctuels dans d’autres ensembles ; tout cela leur prend un temps précieux qu’ils pourraient consacrer aux répétitions. Leur engagement envers leur orchestre d’origine s’en ressent forcément.
Cela suppose évidemment qu’ils restent vivre en Israël. Une importante communauté de musiciens israéliens, parmi les plus en vue, ont en effet choisi de s’expatrier à Berlin, New York et ailleurs, où ils peuvent gagner décemment leur vie en suivant leur vocation.
Un fragile équilibre
Malgré l’adversité, les musiciens et le reste de l’équipe de l’ICO sont bel et bien là, et tous s’efforcent de contribuer à la survie de l’orchestre et à son épanouissement. Pour Rinat Avisar, le meilleur moyen pour atteindre cet objectif est d’innover.
« Chaque matin, au réveil, ma première pensée est : que pouvons-nous faire de différent ? Par “différent” j’entends toucher de nouveaux publics et aller les chercher là où ils se trouvent, plutôt que d’attendre qu’ils viennent d’eux-mêmes vers nous. Si l’on prend en compte l’absence globale d’éducation musicale sérieuse dans les écoles israéliennes, et la tendance générale à la consommation de culture facile et assimilable sans peine, c’est une tâche des plus ardues. Beaucoup de jeunes sont intimidés par l’idée d’aller à un concert, d’entrer dans une salle. Cela semble trop éloigné de leurs loisirs habituels. Mais quand ils nous entendent jouer, la fusion est immédiate. Ils sont surpris eux-mêmes par leur réaction. Nous devons simplement créer ces situations pour eux. »
Parallèlement, souligne Rinat Avisar, il est important de ne pas aller trop loin. Il faut trouver l’équilibre entre intégrité et popularité. Ne pas perdre son âme en route. Les projets grandioses, d’une moindre facilité d’écoute, basés sur un répertoire plus savant, sont tout aussi importants pour l’image de l’ensemble et ses inconditionnels. « L’un n’empêche pas l’autre, il nous faut répondre aux deux », tranche la directrice. « Les concerts plus légers, plus populaires viennent compenser financièrement les projets plus ambitieux de la saison. »
Un autre moyen d’attirer les foules est tout simplement de faire de la bonne musique et de faire confiance au public pour reconnaître le talent. L’ICO l’a bien compris, comme en témoignent la superbe saison 2015-2016 et le programme très prometteur de 2016-2017, un savant mélange de légèreté et de gravité, de la Symphonie pastorale de Beethoven à la 14e Symphonie de Chostakovitch, œuvre qui contient quelques-uns des moments les plus sombres du compositeur sur le thème de la mort.nUn programme fascinant. Intimidant ? Cela dépend à qui l’on s’adresse.
Un pour tous
« C’est une énorme responsabilité », admet Zuckermann, « mais on constate déjà une progression étonnante. Cela prouve que l’on doit quand même faire quelque chose de bien. » S’il est fier d’avoir su recruter (et retenir) les meilleurs musiciens pour l’aider à accomplir sa mission, le maestro considère son rôle à la direction musicale de l’ensemble comme secondaire par rapport à l’engagement et au travail d’équipe de tous les intervenants. « Sans orchestre, le directeur musical et l’équipe de gestion n’ont aucun sens. Nous sommes là pour eux. Le plus important est d’avoir pu effectuer tous ces changements de personnel au sein de l’orchestre et de la direction pour parvenir à une situation idéale, où tous – musiciens, direction et maestro – œuvrent pour un seul et même objectif commun. Les intérêts personnels n’entrent pas en jeu, aucun conflit majeur ne vient ternir l’atmosphère. Nous avons affaire à un groupe d’idéalistes, prêts à travailler dur pour arriver à leurs fins, et cela se ressent dans l’ambiance des répétitions et au résultat final. »
Zuckermann est douloureusement conscient de l’environnement dans lequel il se débat et des difficultés qui en découlent. L’Etat ne donne pas suffisamment, et le public considère les artistes comme des parasites. L’un de ses objectifs déclarés est de changer cette perception des choses, et de faire comprendre à tous que la musique est un véritable métier. C’est une profession qui procure beaucoup de joie aux autres, et les musiciens doivent pouvoir en vivre normalement. Augmenter le salaire de ses artistes figure en tête de ses priorités. Pour y parvenir, il faut redonner à l’Orchestre de chambre d’Israël la place symbolique qu’il occupait à l’origine.
« Quand j’ai été choisi pour assumer ce rôle, je n’avais aucune idée de la gravité de la situation dans laquelle se trouvait l’orchestre. Je connaissais sa réputation (enfant, j’allais à leurs concerts tout le temps), mais c’est seulement lorsque j’ai pris mes fonctions que j’ai réalisé l’ampleur du problème. Personne n’avait la moindre idée de la manière de résoudre cela : ni la direction, ni les musiciens. Il ne s’agissait pas seulement de problèmes financiers ou de problèmes de gestion : personne, à l’extérieur, ne voulait être mêlé en quoi que ce soit, de près ou de loin, à l’ICO. Mais ce qui m’a donné la force de continuer, c’est le potentiel que j’ai vu dès le premier jour : une certaine qualité créative et artistique. J’ai tout de suite su que cet ensemble était capable d’atteindre les sommets. »
Zuckermann refuse d’endosser le manteau de sauveur dont certains veulent l’affubler, mais son attitude justifie l’épithète. « Ce qui nous a vraiment permis d’émerger tout au long des luttes antérieures, c’est que je ne me suis jamais départi de mon optimisme. Quand tout le monde semblait baisser les bras, j’ai rejeté toutes les suggestions de mettre la clé sous la porte. Je ne les ai même pas laissé prononcer ces mots. Pour relever ce défi, il fallait y mettre toute notre énergie : c’est ce que nous avons fait. Et c’est ce que nous faisons encore.
« J’ai moi-même de nombreux autres projets. Je passe beaucoup de temps à l’étranger pour des concerts. Malgré tout, avec tout ce travail, je me réveille toujours le matin avec le sentiment que l’ICO occupe une des parts les plus significatives de ma vie. C’est un combat important pour l’orchestre et pour la société, et c’est pour moi beaucoup plus réel que de voyager partout dans le monde pour jouer dans tel ou tel pays.
C’est extrêmement gratifiant de voir nos efforts porter leurs fruits. Un public plus large, de plus nombreuses invitations à nous produire, des solistes de plus en plus intéressés à participer à notre aventure. Je suppose que lorsqu’on fait ce qui est juste, alors tout va dans le bon sens. 
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