Le théâtre français à l’honneur

Steve Suissa poursuit l’édification de ponts culturels entre la France et Israël

Francis Huster et Thierry Lhermitte, à l'affiche en Israël les 22 et 23 octobre  (photo credit: DR)
Francis Huster et Thierry Lhermitte, à l'affiche en Israël les 22 et 23 octobre
(photo credit: DR)
Quand on voit Steve Suissa, on a vraiment envie de lui demander ce qu’il prend au petit-déjeuner, histoire de l’imiter. Quel est le secret de cette énergie et de cette lueur constamment présente dans le regard ? La rencontre a lieu au jardin du Luxembourg à Paris. Il préfère marcher plutôt que de s’asseoir. Ce promeneur au grand destin regarde autour de lui, il semble imprimer chaque détail. Roch Hachana vient de passer, il me dit qu’il préfère les fêtes en Israël : « C’est plus limpide. » Cette fluidité qu’il appelle de ses vœux se retrouve dans son travail. « Je suis exigeant dans ce que je fais, et je ne lâche pas prise tant que je n’ai pas trouvé ce fil rouge qui conduit à la vérité », confie-t-il.
Pas étonnant qu’avec son acteur fétiche, Francis Huster, cela fonctionne si bien. Ils ont tous deux cette exigence et cet acharnement au travail qui va jusqu’au sacerdoce. « Steve Suissa est un être à part. C’est un homme dur au mal, il ne jettera jamais l’éponge, parce que c’est dans la patience et la souffrance qu’il puise son incroyable maîtrise. Il magnifie tout ce qu’il touche. Travailler avec lui, c’est une épreuve sans concession, et il en tire à chaque fois une force encore plus puissante qui balaye tout. Celle de la passion : passion des valeurs, de sa foi, la beauté, la dignité, la tendresse humaine. Steve Suissa est un meneur d’hommes. C’est avec son instinct, déterminant, qu’il les pousse à se dépasser, et encore plus à se trouver », dit Huster.
Vladimir Horowitz en lumière
Ensemble, ils continuent d’explorer le monde d’hier, la vieille Europe, celle de la grandeur. Après Stefan Zweig, c’est le grand pianiste Vladimir Horowitz qui fera son come-back à Tel-Aviv sous les traits de Francis Huster. Tandis que nous évoquons ce musicien fantasque, des souvenirs remontent : depuis la tendre enfance, Horowitz jouait si bien qu’en l’entendant on aurait dit qu’il inventait les notes. Je me souviens de lui à la brasserie de la Lorraine, exigeant du jus de pomme et balayant de la main toutes les autres propositions ; je me souviens de sa femme Wanda, fille du grand chef d’orchestre Arturo Toscanini qui a dirigé les premiers concerts à Tel-Aviv en 1937 avec le futur philharmonique d’Israël. Oui, j’ai approché le maestro qui préférait regarder les westerns plutôt qu’écouter de la musique. Mais c’était à la fin de sa vie. Le Horowitz qu’incarne Huster sera flamboyant, comme on veut l’imaginer, qu’importe la réalité… Le théâtre n’est-il pas là pour nous faire rêver ? C’est bien ce que fait Huster, cet acteur de génie qui préfère rester à l’ombre des auteurs pour mieux les incarner.
« Si j’ai voulu faire un spectacle sur Horowitz, c’est parce qu’aujourd’hui personne ne le connaît. C’est pourtant le plus grand pianiste du XXe siècle. Né Russe, mort Américain, il a traversé les deux guerres avec une famille blessée et engloutie par les souffrances. Et malgré cela, porté par l’amour de sa mère, il va envoûter le monde avec ses dix doigts. Sa mère l’appelait nechama cheli. » Le metteur en scène enchaîne sur les quatre pièces de théâtre qu’il monte en Israël : « Je veux créer un pont d’amour entre les deux pays. Mon vieux rêve paraissait jusque-là impossible, mais je suis en train de le réaliser. Je voulais que Pierre Arditi et Thierry Lhermitte, ces acteurs qui ont découvert tardivement leur identité juive, viennent jouer en Israël et qu’ils repartent des étoiles plein les yeux. Revenus en France, ils seront nos meilleurs ambassadeurs. Ces quatre pièces parlent justement d’identité, par le biais de l’humour et de l’émotion. »
Israël, phare culturel
Steve Suissa s’assoit enfin. Hasard ? Ses pas l’ont conduit devant le buste de Stefan Zweig, posé dans ce coin de verdure, presque à l’abri des promeneurs. Il soupire et pointe du doigt le Viennois éternel : « Lui, il a tout compris », souffle-t-il. L’émotion est palpable. Il en revient à la Terre promise, à son choix de s’y rendre le plus souvent possible : « Israël est la lumière du monde, et cette flamme ne cessera de brûler, pour illuminer l’humanité de ce que son peuple en marche a toujours magnifié : la culture. Ce mur des élévations, celles qui hissent l’homme au-dessus de toute chose lorsqu’il devient, en se consacrant à l’art, un être d’amour. Cet amour qui remplit de joie, de tendresse, d’humanité et de générosité non seulement les artistes, mais ceux qui admirent l’art, les publics de toutes les générations, de toutes les religions, de tous les peuples. Ce mur des élévations est le seul qui ne cédera jamais face aux ennemis de nos valeurs, de la dignité humaine. L’art est amour. Nous allons au cœur même d’Israël, faire naître le premier Festival du théâtre français. Pour que pointe cette lueur d’avenir, qui semble à jamais définir le but essentiel de l’art : l’espoir, celui d’un monde meilleur que nous allons bâtir, ensemble. » 
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