Triste état des lieux

La centralité mémorielle de la Shoah a provoqué l’effet inverse de celui qui était recherché

La couverture de l'ouvrage de Georges Bensoussan (photo credit: DR)
La couverture de l'ouvrage de Georges Bensoussan
(photo credit: DR)
Une fois encore l’historien Georges Bensoussan, auquel on doit déjà de nombreux articles et ouvrages sur la Shoah, reprend la plume pour présenter un état des lieux aussi détaillé que désespérant : « Devenue centrale sur le plan mémoriel, la tragédie des juifs d’Europe hante l’antisémitisme contemporain et son masque présent, un antisionisme existentiel qui vise moins la politique de l’Etat juif que le principe même de son existence. » Constatation terrible étayée par une argumentation rigoureuse, dont on n’évoquera ici que quelques éléments tant cet ouvrage est dense. Les pages retraçant le génocide sont insoutenables, mais, s’interroge l’auteur, « comment rendre compte de la tragédie sans user des mots, des idées et des concepts qui ont pavé le chemin de l’extermination ? » « Et comment échapper aux tentatives de récupération ou d’édulcoration ? Eviter la focalisation sur le sauvetage des juifs et la figure des Justes ? Par ailleurs, pour Bensoussan, « la commémoration rappelle, mais occulte en même temps, et c’est même d’ailleurs sa fonction première. Rappeler l’épreuve et gommer la part d’insupportable afin de faire rentrer l’horreur dans la “normalité” acceptable de la condition humaine. »
Il s’attaque ensuite à ce qu’il appelle les mythologies nées autour de la Shoah : mythe du complot judéo-chrétien, l’innocence de l’Autriche, la Wehrmacht aux mains propres. Au passage, il égratigne aussi l’Etat d’Israël. Selon lui, « la mémoire collective a besoin de héros, comme le montre par exemple la mémoire israélienne du génocide. Or depuis les débuts de l’Etat, le mot héroïsme est accolé à celui de Shoah. » Il soutient que « la place centrale de la Shoah a réduit aux marges l’histoire intellectuelle du sionisme des origines… comme elle a frappé d’amnésie les réalisations du sionisme de terrain à partir de 1881-1882. » Corollaire selon lui de cet état de fait, l’émergence en Israël des « post-sionistes ». « Pour cette poignée d’intellectuels, l’Etat juif exploiterait la mémoire du génocide au bénéfice d’un nationalisme agressif. »
On retiendra encore de cet ouvrage touffu un épilogue désabusé. « Que les juifs s’enferment dans la mémoire douloureuse de la Shoah, et ils se séparent du genre humain. Qu’ils se rappellent qu’on a voulu jadis les en exclure, et ce souvenir commémoré sans fin tend à les en exclure de nouveau. » Bensoussan fustige l’indifférence des médias devant les images venues du monde arabe, « qui montrent une généralisation banalisée d’un discours de haine qui dans certains cas est de nature génocidaire… La mémoire de la Shoah semble inopérante contre l’antisémitisme qui demeure cultivé dans une partie des familles issues de l’immigration maghrébine, là où la transmission entretient préjugés et peurs héritées de la tradition. » Cette analyse vaut à Georges Bensoussan une convocation devant le Tribunal correctionnel de Paris fixée fin janvier consécutive à une plainte du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France), qui a déclenché des poursuites contre lui pour « incitation publique à la discrimination, la haine, la violence à l’égard d’un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse »
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