Une visite à Yad Mordekhai

L’histoire des persécutions juives est-elle condamnée à se répéter ?

Statue de Mordekhai Anilevitz (photo credit: WIKIPEDIA)
Statue de Mordekhai Anilevitz
(photo credit: WIKIPEDIA)
Lors d’une visite au musée du kibboutz Yad Mordekhai en décembre, ma famille et moi avons eu une illustration bien pénible de la manière dont le passé et le présent peuvent se télescoper en Israël.
Alors que le nom de cette localité commémore le soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943, à peine quelques années plus tard, en 1948, ce kibboutz a dû se battre pour sa survie contre une armée égyptienne venue écraser le nouvel Etat juif apparu à ses frontières.
L’histoire sans fin
Presque 70 ans après, alors que nous étions en train d’observer une maquette de la bataille de 1948, nous avons soudain entendu le bruit d’une explosion, suivi d’un fracas s’apparentant à de lourdes portes claquées violemment. Au total, nous avons entendu pas moins d’une douzaine d’explosions successives. Ce n’était pas directement au-dessus de nos têtes, mais ce n’était pas loin.
Quelques minutes auparavant, Linda, la guide du musée et qui vit au kibboutz depuis son arrivée des Etats-Unis en 1975, avait allumé les lumières qui illuminent le grand modèle réduit de la bataille situé sous un lourd toit de béton renforcé en forme de bunker. Je lui ai alors demandé si les bruits que nous entendions faisaient partie d’un son et lumière propre à l’exposition. « Non, ça, c’est notre vie de tous les jours ! », m’a-t-elle répondu.
Il s’est avéré que sous un ciel bleu sans nuage, et d’une manière totalement inattendue, trois obus de mortiers lourds venaient d’être tirés vers Israël depuis la bande de Gaza, dont la frontière n’est qu’à trois kilomètres. Deux d’entre eux avaient été interceptés en vol par le système de défense antimissiles Dôme de fer ; le troisième avait explosé dans une zone habitée près de Yad Mordekhai, causant des dégâts matériels.
Les habitants de la région se sont précipités vers les abris (le musée sous son toit renforcé est lui-même un abri, nous sommes donc restés sur place), tandis que Tsahal a immédiatement répliqué par des tirs de chars et des frappes aériennes. Ainsi donc, alors que nous nous tenions devant un modèle réduit d’une bataille israélo-égyptienne de 1948, à l’ombre de la destruction du ghetto de Varsovie en 1943, voici que nous étions, en 2017, les cibles d’un bombardement du mouvement Djihad islamique depuis Gaza !
Ma femme et moi nous trouvions au kibboutz avec notre fille aînée, professeure de lycée dans une ville du Néguev et son mari, sabra dont les aïeux sont arrivés ici depuis l’île de Djerba, peu après la création d’Israël. La mémoire du ghetto de Varsovie reste très vivante dans la famille de ma femme. Mon beau-père, aujourd’hui décédé, s’était évadé du ghetto avant sa chute avec deux amis, tués devant ses yeux à leur arrivée du côté « aryen » de la ville. Il était le seul membre de sa famille à Varsovie à avoir survécu à la guerre, après laquelle il s’est installé à Paris. « J’aime Mordekhai », a déclaré ma femme Suzanne, en prenant résolument le chemin menant du musée à la statue de Mordekhai Anilevitz. Ce dernier était le chef de la révolte du ghetto. Sa statue, tenant une grenade à main dans un geste de défiance, se lève aux côtés des restes du château d’eau du kibboutz détruit par des tirs d’artillerie en 1948. Anilevitz avait 24 ans quand il a été tué.
L’héroïsme du kibboutz
Une grande partie de l’exceptionnel musée du kibboutz est consacrée à la vie des 400 000 juifs de Varsovie avant la guerre – puis à leur disparition, quand ils ont été entassés, brutalisés et affamés, avant d’être systématiquement déportés vers les camps de la mort. Anilevitz et plusieurs centaines d’autres jeunes juifs, souvent membres, comme lui, du mouvement sioniste de gauche Hachomer Hatzaïr (Jeune Garde), se sont soulevés contre les nazis avec des armes hétéroclites le 19 avril 1943. Ils ont combattu jusqu’à ce que presque tous aient été tués. Le kibboutz Yad Mordekhai a été fondé la même année par le Hachomer Hatzaïr dont il fait encore partie.
Yad Mordekhai est entré dans l’histoire d’Israël dès mai 1948. Le kibboutz a subi un siège de cinq jours puis a été capturé par des troupes égyptiennes venues écraser le jeune Etat juif. Dix-huit membres du kibboutz et huit combattants du Palmah, l’unité d’élite de Tsahal à sa création, ont été tués, mais leur résistance a donné le temps à l’armée israélienne de regrouper ses forces pour arrêter les troupes égyptiennes progressant en direction de Tel-Aviv.
Je n’ai pu m’empêcher de me souvenir des mots que nous récitons chaque année à la table du Séder de Pessah : « Car ce n’est pas qu’un seul qui s’est levé contre nous pour nous détruire, mais, dans chaque génération, ils se lèvent contre nous pour nous détruire. » Et je serais incomplet si je n’ajoutais pas la phrase qui suit : « Et le Saint, béni soit-Il, nous sauve de leurs mains ! »
Oui, mais pas tout le temps, hélas : en écrivant ces lignes à mon retour à Paris, les radios juives françaises rapportaient la cérémonie sur les lieux du supermarché Hyper Cacher à Vincennes, où quatre juifs ont été assassinés par un tueur islamiste le 9 janvier 2015.
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