La démission surprise du Premier ministre libanais

La décision de Saad Hariri aurait été dictée par les Saoudiens dans le but de contenir l’influence chiite sur le pays du Cèdre

Saad Hariri, ancien Premier ministre de la République libanaise (photo credit: REUTERS)
Saad Hariri, ancien Premier ministre de la République libanaise
(photo credit: REUTERS)
La démission inattendue de Saad Hariri de son poste de Premier ministre du Liban le 4 novembre a rendu la frontière nord d’Israël plus instable encore qu’elle ne l’était, mais Jérusalem dispose d’une plus grande marge de manœuvre si un véritable conflit devait éclater avec le pays du Cèdre.
Le chef du gouvernement a annoncé sa décision depuis Riyad, la capitale saoudienne, invoquant la mainmise de l’Iran sur son pays, et la crainte de subir le même sort que son père, l’ancien Premier ministre Rafiq Hariri assassiné en 2005 dans un attentat à la voiture piégée, attribué à la Syrie et au Hezbollah.
Alors que les services de sécurité intérieure libanais ont publié un communiqué dans lequel ils affirmaient ne pas être au courant d’un tel complot, le Premier ministre démissionnaire confiait sur la chaîne de télévision saoudienne al-Arabiya qu’il « vivait dans une atmosphère semblable à celle qui a précédé le meurtre du martyr Rafiq Hariri ».
Le Hezbollah a été créé dans les années 1980 avec l’aide de l’Iran, comme un mouvement terroriste de résistance à la présence israélienne au Sud Liban. Aujourd’hui il est profondément impliqué dans la vie politique et sociale libanaise, avec un nombre significatif de familles chiites dépendant du soutien social, médical et financier de l’organisation. Dans le même temps, le Hezbollah est l’ennemi le plus dangereux d’Israël. Le plus important groupe terroriste international est devenu une quasi-armée composée de milliers combattants aguerris présents dans tout le Moyen-Orient, et possédant un immense arsenal d’armes sophistiquées fourni par son mentor iranien.
Réactions en Israël
Le lendemain de cette annonce fracassante, le ministre israélien Yoav Galant, membre du cabinet restreint de sécurité et ancien général de Tsahal, a affirmé que la démission de Hariri devait servir de signal d’alarme pour la communauté internationale. « L’Iran contrôle actuellement le Liban et l’Irak, et s’évertue à prendre le contrôle de la Syrie. Il constitue un grand danger pour la stabilité de la région, ainsi que pour la paix dans le monde. Hariri comprend parfaitement qu’après les massacres perpétrés en Syrie, il risque également d’en être victime comme son propre père. »
Immédiatement après la démission de Hariri, le ministre israélien de la Défense Avigdor Liberman a tweeté : « Liban = Hezbollah. Hezbollah = Iran. Liban = Iran. L’Iran est dangereux pour le monde. Saad Hariri en a apporté la preuve aujourd’hui. Point barre. ». Le mois dernier, Liberman s’était déjà alarmé de la situation régionale en déclarant : « L’armée libanaise a perdu son indépendance et est devenue partie intégrante du réseau du Hezbollah. »
Constat de défaite pour les Saoudiens
La démission de Hariri, apparemment imposée par les Saoudiens, est considérée comme la dernière tentative de Riyad dans sa lutte pour essayer de contenir l’influence de Téhéran dans la région. Son accession il y a un an à la tête du gouvernement était en fait le résultat d’un deal conclu avec le Hezbollah et l’Iran, selon lequel le chrétien maronite Michel Aoun, fidèle allié de la milice chiite, devenait président, et le musulman sunnite Saad Hariri, protégé de l’Arabie saoudite, Premier ministre d’un gouvernement qui inclurait pratiquement tous les partis libanais.
Mais dès les premiers mois, les deux hommes se sont affrontés notamment sur la question du désarmement du Hezbollah dont la branche politique faisait partie du gouvernement. Avec le temps cependant, le Premier ministre s’était aligné sur la position d’Aoun selon laquelle l’arsenal du Hezbollah était indispensable pour que le pays puisse se défendre contre Israël. Il a aussi été amené à faire différentes concessions budgétaires au mouvement chiite, et plus récemment s’est rangé à l’exigence du Hezbollah de nommer un ambassadeur à Damas, donnant ainsi une légitimation au régime d’Assad soutenu par Téhéran. Riyad, qui lutte contre l’influence de l’Iran dans toute la région, y a vu un revers.
Selon Eldad Shavit, chercheur à l’Institut pour les études de sécurité nationale, les Saoudiens « ont ressenti que Hariri n’était pas parvenu à faire ce qu’ils attendaient de lui et qu’il commençait à être lui-même influencé par le Hezbollah et la République islamique ». Pour Brandon Friedman du Centre Moshe Dayan d’études du Moyen-Orient et de l’Afrique, « la démission du Premier ministre libanais peut être vue comme la première salve de la tentative saoudienne de défier la mainmise du Hezbollah sur le pays du Cèdre. Le message est le suivant : le Liban ne deviendra ni l’Irak ni la Syrie, et la volonté de l’Iran de l’inféoder ne restera pas sans réaction de notre part. »
Friedman, comme Shavit, estime qu’en ordonnant à Hariri de se retirer, le royaume wahhabite essaie de créer une crise dans l’espoir de nuire au Hezbollah. Yusri Hazran de l’Université hébraïque de Jérusalem doute quant à lui que les Saoudiens puissent parvenir à affaiblir le Hezbollah, étant donné la puissance militaire et politique de celui-ci. « Le mouvement chiite, organisation dont la puissance est supérieure à celle de l’armée libanaise, exerce en fait un certain contrôle sur elle ». Il souligne aussi que Téhéran est en train de prendre le dessus sur Riyad dans la bataille pour la suprématie régionale, avec des régimes alliés en place en Irak et en Syrie. Le sort du Yémen n’étant, quant à lui, pas encore tranché. Pour Hazran, « l’Arabie saoudite est bien plus préoccupée par l’Iran qu’Israël. »
L’élection de Michel Aoun l’an dernier est une preuve que la communauté chiite détient les clés du pouvoir politique au Liban, que Hazran appelle « la république chiite ». Selon lui, « les Saoudiens veulent créer une situation de crise politique afin que le Hezbollah soit plus occupé par la politique intérieure que par la situation en Syrie. Mais je ne suis pas persuadé que cette stratégie réussisse. »
Il est en revanche difficile de prédire comment la démission de Hariri influera sur les intérêts d’Israël. « Si les Saoudiens ont raison et que la démission parvient à contenir le Hezbollah et l’Iran, Israël y gagnera. Mais si les Saoudiens perdent leur pari et que les chiites renforcent leurs positions, nous aurons perdu », estime Shavit. Hazran n’est quant à lui « pas persuadé que cela changera quelque chose pour Israël. Jérusalem n’est pas intéressée par une intensification des tensions à court terme et le Hezbollah ne l’est pas non plus. La priorité de la milice chiite étant de consolider la victoire d’Assad en Syrie. »
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