A la Knesset ou face au handicap, la députée Karin Elharar ne baisse jamais les bras

Face à la maladie qui l'a touchée à l'âge de 9 ans, la députée l'a affrontée avec courage

Karin Elharar (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Karin Elharar
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM/THE JERUSALEM POST)
Karin Elharar, députée depuis trois ans sous la bannière du parti Yesh Atid, a imposé sa marque à la Knesset d’une façon qui peut faire rêver certains législateurs plus chevronnés. Egalement présidente de la commission du contrôle de l’Etat, cette étoile montante de la politique est parvenue à se faire un nom sans recourir à des effets d’annonce, mais à force de volonté, de persévérance et de travail.
L’élue ne craint pas les obstacles. La dystrophie musculaire dont souffre cette jeune femme de 39 ans limite certes sa mobilité en l’obligeant à se déplacer en fauteuil roulant, mais ne l’a pas dissuadée de se lancer dans la politique ; une carrière difficile qu’elle a entreprise bille en tête. Lorsqu’elle dirige sa commission, elle ressemble à n’importe quel autre député déterminé à agir selon sa conscience et sans faire de concessions, comme il incombe à tout bon président d’une commission de contrôle.
Contrôler le gouvernement
La Knesset a deux rôles fondamentaux : voter des lois, rôle qui retient généralement toute l’attention du public, et surveiller l’action du gouvernement. Le comité de contrôle est le pilier de cette seconde fonction. « Surveiller l’action gouvernementale est la tâche la plus importante qui soit », affirme la députée. « On peut voter des lois toute la journée, mais si personne ne les applique, à quoi cela sert-il ? » Karin Elharar est ainsi la seule membre du parlement à pouvoir rappeler les ministres à l’ordre et à les assigner à comparaître en cas de rapport critique du contrôleur de l’Etat. Elle a en outre accès à des informations sensibles relatives à la sécurité du pays.
Ce sont précisément ces questions de sécurité nationale qui ont récemment provoqué des remous, avec la publication de la première partie d’un rapport sur l’opération Bordure protectrice rédigé par le contrôleur de l’Etat Joseph Shapira. On peut notamment y lire que, lors de la prochaine guerre, les civils israéliens pourraient bien être la cible de milliers de roquettes alors que les systèmes d’alerte, les abris et les plans d’évacuation resteraient insuffisants pour y faire face.
Nous rencontrons Karin Elharar alors qu’elle vient de diriger une séance sur le sujet. Les discussions ont surtout porté sur les reproches exprimés par Joseph Shapira vis-à-vis du ministère de la Défense et du Conseil de sécurité nationale (NSC), accusés de retarder l’élaboration de plans pour évacuer les quelque 300 000 civils vivant dans les zones frontalières sous la menace des roquettes. La députée estime notamment que les ministres membres du cabinet de sécurité manquent généralement d’informations au moment de prendre des décisions en la matière. « Il faut absolument prendre en compte les lacunes pointées par le contrôleur de l’Etat », dit-elle. « Je veux être sûre que le cabinet est informé de tous les scénarios et que le NSC réactualise ceux-ci régulièrement. Le cabinet de sécurité a le pouvoir d’envoyer des soldats se battre. Mais si ses membres ne savent pas analyser la menace, comment peuvent-ils déterminer pour quel plan d’action voter ? S’ils ne connaissent pas la situation sur le front intérieur, comment peuvent-ils savoir par exemple s’il convient ou non d’évacuer les gens ? Il est donc crucial que tous ses membres possèdent les connaissances requises pour décider de façon juste et éclairée. La plupart d’entre eux ne s’occupent pas de problèmes de sécurité dans leur travail quotidien, aussi est-il important qu’ils aient un secrétaire désigné pour cela au NSC. » Pour elle, la situation actuelle révèle une mauvaise approche de la prise de décision. « Avec tout le respect que je dois au Premier ministre et au ministre de la Défense, ils ne décident pas seuls de tout : ce n’est pas pour rien qu’il existe un Cabinet de sécurité. »
Dans les mois qui ont précédé la publication du rapport, Benjamin Netanyahou a informé de nombreux journalistes de son action durant l’opération, en particulier concernant les tunnels du Hamas à Gaza. Selon lui, le rapport du contrôleur de l’Etat contredit ses déclarations. En conséquence, le chapitre consacré aux tunnels n’a pas encore été publié. « Si le Premier ministre n’a rien à cacher, pourquoi a-t-il si peur ? », s’interroge Karin Elharar. « Il est facile quand on ne veut pas réagir aux critiques ou quand on n’a aucune réponse à y opposer, de prétendre que le contrôleur n’a pas fait son travail sérieusement. Netanyahou affirme que ce qui l’intéresse, c’est le résultat de l’opération : et bien il n’est pas si bon que ça ! Quand on sait que l’armée la plus puissante et la plus morale du Moyen-Orient s’est retrouvée aux prises avec à une guérilla mal organisée, je n’appelle pas cela un bon résultat », assène la parlementaire.
Un travail de longue haleine
Karin Elharar n’est pas dupe : la commission du contrôle de l’Etat n’a pas d’influence directe sur les questions de sécurité. Toutefois, dit-elle, elle pousse les ministres à élaborer des programmes et à repenser régulièrement la façon dont il faudra les mettre en pratique.
Les derniers incendies ont mis en relief les domaines où la commission excelle. Après la catastrophe du Carmel en 2010, dans laquelle 44 personnes ont trouvé la mort, la commission du contrôle de l’Etat a en effet poussé le gouvernement à réfléchir sur sa mauvaise gestion du désastre. « Je pense que cela montre bien le rôle de notre commission. Nous faisons travailler les ministres, même si cela prend du temps », souligne-t-elle.
La députée n’a pas fait son service militaire en raison de son handicap, mais elle n’en inspire pas moins le respect aux hauts fonctionnaires de la défense qui assistent aux réunions de sa commission. « La première fois que des officiers parmi les plus hauts gradés de l’armée se sont retrouvés face à moi, je pense qu’ils ont été surpris de trouver une femme en fauteuil roulant, qui n’avait même pas fait l’armée ! », se souvient-elle. « Il y avait des choses que je ne savais pas et qu’eux savaient, mais avec le temps, tout le monde s’adapte… »
« En Israël, il y a encore des gens qui ne prennent au sérieux que les hommes possédant un solide passé militaire, mais nous voyons avec la commission des Affaires étrangères et de la Défense et la nôtre, que les femmes sont capables de faire du très bon travail à la Knesset », ajoute la députée.
Dévouée à la cause des handicapés
C’est à l’âge de 9 ans que Karin Elharar a appris qu’elle était atteinte de dystrophie musculaire. Elle a cependant continué à marcher le plus longtemps possible et réussi à passer son baccalauréat sur ses deux jambes. Elle a ensuite étudié le droit en Israël avant de partir faire son Master à l’American University de Washington. De retour au pays, elle a dirigé l’association d’aide juridique de l’université Bar-Ilan consacrée à l’aide aux personnes handicapées, puis s’est retrouvée à la tête de toutes les associations de droit de cette même université.
Aujourd’hui, Karin Elharar apporte à la Knesset son expérience en la matière, et se sert à la fois de la commission de contrôle de l’Etat et des divers outils dont elle dispose en tant que parlementaire pour aider les personnes handicapées. A tel point que son bureau prend parfois des allures de centre social : les gens viennent lui demander conseil pour leurs démêlés avec la sécurité sociale ou autre, et elle les assiste de son mieux.
« Je suis entrée en politique avec une étiquette sociale », reconnaît-elle, « et je m’efforce d’utiliser la commission comme plateforme pour promouvoir les projets sociaux. Chacun a des droits et devrait pouvoir les exercer facilement. Malheureusement, la bureaucratie est un obstacle majeur : même lorsqu’on a droit à une aide, il faut apporter des documents dans plusieurs bureaux différents qui vous renvoient d’une personne à l’autre… C’est très difficile. Je tente d’utiliser ma commission pour simplifier ces formalités afin que les gens puissent venir frapper à une seule porte et obtenir les solutions qu’ils recherchent. »
Karin Elharar travaille aussi afin d’aider les familles ayant des enfants handicapés en bas âge. « Il faut créer plus de centres de réhabilitation de jour afin d’accueillir le plus de monde possible et donner ce dont ils ont besoin à tous les jeunes souffrant de handicaps. Pour cela, il est nécessaire de recevoir ces enfants en petits groupes. C’est un problème budgétaire auquel je m’attelle ! », déclare la jeune femme.
Elle a également signé un projet de loi visant à rehausser au niveau du salaire minimum les allocations aux personnes handicapées. Une proposition qui a fait des vagues lors du vote préliminaire de la Knesset ce mois-ci, et qui a peu de chances d’aboutir. Pourtant, Karin Elharar ne désespère pas de faire progresser ce dossier d’une manière ou d’une autre. « Je pense qu’il s’agit d’un projet de loi important, mais je souhaite faire les choses graduellement. J’ai appris que le président de la coalition David Bitan (Likoud) le soutiendrait, mais il souhaite qu’il y ait un dialogue sur la question. Je vais lui proposer d’instaurer cinq étapes avant d’atteindre le montant du salaire minimum. » En attendant, elle qualifie « d’embarrassante » la situation actuelle où les personnes souffrant d’un handicap reçoivent un revenu minimum garanti de 2 340 shekels. « L’Etat fixe un montant minimum pour tout le monde, et voudrait qu’une personne ayant plus de besoins que les autres s’en sorte avec la moitié de cette somme ! », déplore-t-elle.
Son parti, Yesh Atid, est en constante progression dans les sondages. Il lui est même arrivé de dépasser le Likoud au cours des derniers mois. « Tfou, tfou, tfou ! », fait-elle en souriant – une formule pour éloigner le mauvais œil – lorsqu’on mentionne ces chiffres. Elle-même refuse de spéculer sur l’avenir. « Les sondages sont toujours très flatteurs », dit-elle. « Nous sommes ravis de les lire, mais il peut arriver beaucoup de choses d’ici les prochaines élections », ajoute-t-elle malicieusement, tout en reconnaissant que si elle devait recevoir un portefeuille de ministre, elle aimerait celui des Affaires sociales ou de la Justice.
Karin Elharar attribue le succès de Yesh Atid au fait que ce parti ne se déclare pas systématiquement opposé à ce que fait le gouvernement. « Nous ne sommes pas une opposition, mais une alternative », explique-t-elle. « Nous ne cherchons pas à contester pour contester. Nous voulons ce qui est bien pour le public et, si cela signifie voter en faveur du gouvernement, nous le faisons. Notre raison d’être, c’est de voir les choses avec les yeux des citoyens. »
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