Choc politique

En se prononçant en faveur de Macron et Le Pen, les électeurs ont avant tout exprimé leur rejet de la classe politique traditionnelle

Le candidat d'en Marche, Emmanuel Macron (photo credit: REUTERS)
Le candidat d'en Marche, Emmanuel Macron
(photo credit: REUTERS)
Le duel Macron-Le Pen annoncé par les sondages de ces derniers mois aura donc bien lieu. Le candidat centriste est arrivé en tête du premier tour avec 24 % des suffrages, talonné de près par Marine Le Pen, candidate du Front national, qui a recueilli 21,3 % des voix.
La campagne mouvementée pour le premier tour s’est donc achevée par un choc politique : les représentants des partis traditionnels de la gauche et de la droite ont été écartés du second tour – une première dans l’histoire de la Ve République – au profit de l’extrême droite et d’un homme dont c’est le premier scrutin électoral, à la tête d’un mouvement encore inconnu il y a un an. Les Français ont ainsi manifesté leur désaveu d’une classe politique en laquelle ils ne croient plus, lui préférant la jeunesse de Macron – qui du haut de ses 39 ans pourrait bien devenir le plus jeune président de la Ve République – et Marine Le Pen, partisane d’une politique sociale et européenne de rupture, seuls garants à leurs yeux du changement auquel ils aspirent.
Le candidat de la droite, François Fillon, donné quasiment gagnant au lendemain de sa victoire aux primaires, s’est hissé en troisième position, confirmant sa perte de crédibilité suite à l’affaire relative à l’emploi fictif de son épouse. L’ancien Premier ministre a d’ores et déjà annoncé qu’il ne mènerait pas la course pour les législatives. L’autre surprise du scrutin est venue de Jean-Luc Mélenchon, qui termine quatrième, au coude à coude avec Fillon. Ses prises de position antisystème ont porté leurs fruits, particulièrement auprès des jeunes. Benoît Hamon, candidat du parti socialiste, a échoué à s’imposer comme un rempart crédible face à la droite et l’extrême droite, et termine à la 5e place. Après les résultats, la très grande majorité de la classe politique s’est mise en ordre dans le but de faire barrage à l’extrême droite. Benoît Hamon a été le premier réagir, appelant ses électeurs à voter pour Emmanuel Macron au deuxième tour, rapidement suivi par François Fillon. Le président sortant François Hollande a également enjoint aux Français d’élire le candidat centriste, relevant qu’un autre choix équivalait à mettre la République en danger.
Un vote en forme de rejet
Le climat qui prévaut outre-Atlantique et outre-Manche n’est sûrement pas étranger à ces résultats. Le référendum en faveur du Brexit et l’élection surprise de Donald Trump à la Maison-Blanche, ont contribué à créer une ambiance du « tout est possible », qui a joué en faveur des candidats hors système.
Le réflexe nationaliste qui s’est exprimé au Royaume-Uni en juin dernier, et les réactions anti-establishment à l’origine de l’élection de Trump, ont été exploités tant par Le Pen que par Mélenchon. Si Emmanuel Macron, ancien ministre de l’Economie de François Hollande, est désigné par ses détracteurs comme un représentant du système, sa démission du gouvernement pour créer le mouvement En Marche ! a permis au candidat de surfer sur cette vague anti-establishment, en se présentant comme un politicien d’un style nouveau. Sa recette centriste a fonctionné, lui permettant d’attirer à la fois des électeurs de gauche et de droite, autour d’un programme souvent dénoncé par ses adversaires pour son manque de clarté et son esprit jugé trop consensuel.
Les résultats du premier tour constituent enfin une victoire personnelle pour Marine Le Pen. Lorsque son père, Jean-Marie Le Pen, s’est retrouvé au deuxième tour de l’élection présidentielle en 2002 face à Jacques Chirac, les analystes de tous bords s’étaient empressés de présenter cet exploit comme un épisode exceptionnel dans la vie politique française. La performance de la candidate du Front national prouve que ce n’est pas le cas. Si elle peut regretter de ne pas se retrouver en pole position pour le second tour comme elle l’espérait, la candidate frontiste a réussi à imposer son parti comme la principale force de droite du pays. Elle s’attelle désormais à draguer les électeurs de Dupont-Aignan et une partie de ceux de François Fillon, afin de peser face à un Emmanuel Macron qui voit l’Elysée tout proche. Les deux candidats s’affronteront lors du débat de l’entre-deux tours qui doit avoir lieu le 3 mai. Rappelons qu’en 2002, Jacques Chirac avait refusé ce débat face à Jean-Marie Le Pen.
Cependant, rien n’est encore joué, et le mot d’ordre est à la vigilance du côté de Macron. Si les mathématiques liées au report de voix lui sont favorables, le spectre d’un coup de théâtre est dans toutes les têtes, comme celui qui a eu lieu lors de la dernière élection présidentielle américaine. Un renversement de situation qui pourrait venir de deux phénomènes aux allures de cauchemars pour le camp Macron : l’abstention et l’ingérence russe. Dans l’entourage du candidat centriste, on redoute particulièrement que les électeurs, considérant la victoire de Macron comme acquise, restent chez eux au lieu d’aller voter. L’autre point noir envisagé réside dans une possible intervention de Moscou au sein de la campagne, afin de promouvoir Marine Le Pen qui a les faveurs de Vladimir Poutine. En mars, les services informatiques du mouvement En marche ! avaient déjà fait état de piratages par un groupe de hackers proche du Kremlin. Ces deux phénomènes – abstention et ingérence russe – ont en tout cas activement contribué à porter Donald Trump au pouvoir.
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