Le rav Karim s'explique après ses dires sur les femmes et les homosexuels

Après la polémique suscitée par les paroles du rav, le Grand Rabbinat entend respecter chaque individu sans distinction aucune

Le rav Eyal Karim (photo credit: IDF)
Le rav Eyal Karim
(photo credit: IDF)
Tout comme l’Etat juif et son armée, le premier Grand Rabbin de Tsahal a été baptisé – pour ainsi dire – par le feu.
Retour en 1948. De nombreux soldats sont tombés au combat. Il faut les localiser, les identifier et les enterrer, et c’est au tout jeune rabbinat militaire que revient cette tâche. Ainsi, lorsqu’un bataillon entier se retrouve piégé parmi les forces égyptiennes assiégées dans le Néguev, à l’emplacement de l’actuelle Kyriat Gat, et tombe sous leurs balles, c’est le Grand Rabbin de l’armée que l’on envoie récupérer les 87 corps, afin de les inhumer dignement. Le voilà donc qui demande à l’armée égyptienne l’autorisation officielle de pénétrer dans ses rangs pour emmener les dépouilles. Et l’obtient.
Peu après, le commandant de l’armée égyptienne encerclée accueille l’aumônier israélien et le conduit vers une petite butte sous laquelle les soldats de Tsahal ont été enterrés collectivement. Les corps sont exhumés, recouverts et placés dans des fourgons militaires. Le convoi mortuaire est prêt à entreprendre le voyage de retour. Profondément respectueux, les soldats égyptiens forment une haie d’honneur et tirent trois salves pour le saluer. Puis les deux officiers ennemis prennent congé l’un de l’autre et chacun d’eux poursuit son illustre carrière. L’Egyptien, qui n’est autre que le futur président Gamal Abdel Nasser, entend unifier le monde arabe et l’Israélien, le futur Grand Rabbin d’Israël Shlomo Goren, est résolu à judaïser l’armée de l’Etat juif.
Hors contexte
Si Nasser a échoué dans son projet, le rav Shlomo Goren a lui mené le sien à bien. 68 ans après son arrivée au poste de premier Grand Rabbin des armées, la nomination de son sixième successeur, le mois dernier, a enflammé les esprits, suscitant des débats virulents entre juristes, ministres et généraux sur la façon dont la morale, la modernité et l’autorité politique peuvent s’inscrire dans la religion juive.
La controverse a éclaté à propos d’une déclaration, sortie de son contexte, faite il y a une dizaine d’années par le futur colonel Eyal Karim : il y légitimait le viol d’une prisonnière non juive capturée en temps de guerre. Voyons, se défend Eyal Karim, il s’agissait à l’époque d’une discussion concernant le seul contexte biblique et qui portait sur l’autorisation obtenue par Moïse d’épouser une prisonnière de guerre, au terme des 30 jours de deuil qu’elle avait respectés pour sa famille disparue, une captive qui s’était rasé la tête, coupé les ongles et avait changé de vêtements (Deutéronome XXI, 10-14). Le rabbin a donc publié une clarification indiquant que ses commentaires n’étaient en aucun cas destinés à être appliqués à l’époque moderne, mais relevaient d’une discussion théorique sur des versets de la Torah. « De toute évidence, de nos jours, alors que le monde a progressé à un niveau de moralité dans lequel on ne se marie pas en captivité, il ne faut pas accomplir cet acte, qui est également tout à fait à l’encontre des valeurs morales de l’armée », a-t-il expliqué.
Mais d’autres déclarations qui lui sont attribuées ont continué d’enflammer la controverse : le rav Eyal Karim aurait qualifié les femmes de « sentimentales », les homosexuels de « gens malades » et les terroristes capturés d’« animaux ». Des propos qu’il ne réfute pas cette fois. La gent féminine, estime-t-il, ne devrait pas servir dans des unités combattantes et il n’est pas souhaitable qu’un soldat ait pour supérieure une femme, car cela l’oblige à regarder continuellement un visage féminin. De quoi pousser le général Gadi Eisenkot à convoquer le futur aumônier général. Un entretien en tête à tête au terme duquel le chef d’état-major a obtenu gain de cause. Le rav Eyal Karim a donné sa parole : le Grand Rabbinat respectera tout le monde, sans distinction de religion, de race ou d’orientation sexuelle.
La nomination du rav Eyal Karim et sa promotion, de ce fait, au grade de général de brigade, ont donc franchi le dernier obstacle et sont confirmées. Néanmoins, les points de vue exprimés ont jeté la lumière sur l’orthodoxie en vigueur dans les cercles nationalistes religieux dont est issu le nouveau Grand Rabbin de Tsahal.
Jusque sur le champ de bataille
Dans ses tout premiers temps d’existence, le rabbinat militaire se tenait sur la défensive. Il fallait tout mettre en œuvre pour convaincre généraux et hommes politiques laïques que le fonctionnement de Tsahal devait demeurer en conformité avec la pratique juive. Et la tâche n’était pas aisée.
Prodige du Talmud formé à la prestigieuse yeshiva de Hébron avant de rejoindre la Hagana, le rav Shlomo Goren était un homme de principes plein de charisme, qui bénéficiait en outre du soutien personnel de David Ben Gourion. Peu à peu, il a su gagner le respect du système, y compris durant la guerre d’Indépendance, avec ses douloureuses exigences. A cet égard, son héritage inspire d’ailleurs encore aujourd’hui les rabbins de Tsahal. Car enterrer les soldats ou aller récupérer des corps derrière les lignes ennemies – non seulement dans le Néguev, mais aussi dans le Goush Etzion, face aux officiers jordaniens – ne constituaient pas les missions les plus difficiles. Il y avait aussi les dilemmes déchirants de l’identification des corps, les décisions à prendre, par exemple, quant aux soldats disparus en mission : pouvait-on les déclarer décédés, afin de permettre à leurs épouses de se remarier ? Ayant su affronter toutes ces questions dès sa nomination en 1948, le rav Goren avait gagné l’estime des généraux et de la classe politique, ainsi que celui du Grand Rabbinat d’Israël lui-même, qui ne pouvait que saluer sa parfaite maîtrise de la loi juive et sa volonté d’introduire coûte que coûte celle-ci jusqu’aux tréfonds les plus obscurs des champs de bataille.
Avant même la fin de cette première guerre, on comprend que la tâche de l’aumônier principal de l’armée en temps de paix se révélera tout aussi complexe. Le Grand Rabbinat entend en effet pourvoir aux besoins religieux de tous les soldats pratiquants. En d’autres termes, créer une synagogue dans chaque base militaire, fournir des milliers de phylactères, rouleaux de la Torah et livres de prières, mais aussi des tabernacles, les quatre espèces pour Souccot, du pain azyme pour Pessah et des chandeliers pour Hanoucca. Aussi s’assurer qu’il y ait un rabbin par base pour conduire le Seder de Pessah et un chantre pour mener les offices de Roch Hachana et Yom Kippour. Et établir autour de chaque base de Tsahal un erouv, la clôture sans laquelle les juifs pratiquants n’ont pas le droit de porter d’objets dans la sphère publique durant le Chabbat. Le tout nouveau Grand Rabbinat de l’armée utilise son budget pour introduire dans les cuisines militaires des ustensiles supplémentaires et travaille à convaincre les cuisiniers de séparer le lait de la viande, tandis que le rav Goren supplie Ben Gourion de forcer Tsahal à respecter les lois de la cacherout, sachant que, sans cela, les soldats religieux seront contraints d’instaurer des cuisines et des réfectoires séparés. Bien que résolument laïque, Ben Gourion comprend cette nécessité et accepte. Ainsi est-il établi par la loi militaire que toutes les cuisines de Tsahal seront cachères. En conséquence, le rabbinat militaire a dû former et déployer des centaines de surveillants rituels, stationnés dans chaque base, qui suivent Tsahal partout où elle se déploie, du sommet du mont Hermon aux rives africaines du canal de Suez.
Les nouveaux rabbins
Malgré cette couverture géographique, la portée sociale du rabbinat militaire de l’époque reste limitée. Son rôle consiste principalement à nommer des rabbins professionnels qui se concentrent sur les besoins religieux des seuls soldats pratiquants. Telles sont au départ leurs tâches et leurs caractéristiques, et celles-ci n’auraient pas évolué si, ces dernières années, la société israélienne n’avait pas donné naissance à un nouveau type de soldat orthodoxe qui, loin de se contenter des rôles d’employé de pompes funèbres, de surveillant de cacherout ou de simple fantassin, a émergé dans les unités d’élite en tant que pilote ou membre de commandos, se mêlant au haut commandement avec des grades de colonels, voire de généraux.
C’est en 2006, lorsque sa direction est pour la première fois confiée à un ex-commandant d’unité combattante, que le rabbinat militaire prend vraiment conscience de cette transition. Les aumôniers généraux précédents, ceux qui veillaient simplement à assurer les offices religieux pour les soldats, ont ainsi cédé la place à des rabbins d’un genre nouveau, leaders sur les champs de bataille. Leur message s’étend donc bien au-delà du domaine de la loi juive et vise un public beaucoup plus large incluant la majorité laïque.
Le premier de ce genre, Avihaï Rontzki, avait commandé un bataillon d’infanterie et assumé la responsabilité des opérations de sa division, avant de prendre la direction d’une yeshiva. Après lui, l’aumônier en chef sortant Rafi Peretz, avait été lieutenant-colonel dans l’aviation et commandé un escadron d’hélicoptères avant de diriger une académie talmudique prémilitaire. Le rav Eyal Karim, son successeur, a lui commandé l’unité de parachutistes chargée des reconnaissances, puis a servi dans l’unité d’élite Sayeret Matkal à un grade qui n’a pas été révélé, avant de devenir rabbin et directeur de l’académie prémilitaire Ateret Kohanim de Jérusalem.
Le rav Karim a intégré le rabbinat militaire il y a dix ans comme chef de son département de loi juive, avant d’être nommé colonel et de devenir le n° 2 de l’institution. Une progression qui explique le choix du général Gadi Eisenkot : le nouveau Grand Rabbin de Tsahal a le type de passé militaire qui plaît au chef d’état-major et il connaît l’aumônerie de l’intérieur. Ce qu’a à l’évidence négligé le général Eisenkot, sans doute parce que le milieu ne lui était pas familier, c’est le type de judaïsme dans lequel son candidat a baigné jusque-là.
Une école de pensée controversée
A sa création en 1983, Ateret Kohanim se veut une institution d’enseignement talmudique qui encourage les implantations. Elle se donne pour mission de racheter des propriétés dans le secteur musulman de Jérusalem pour permettre à des familles juives d’habiter au cœur de la Vieille Ville et autour des murailles. D’un point de vue théologique, elle prône la conviction que la Rédemption est si imminente que les dirigeants religieux doivent réfléchir à la manière de remettre les sacrifices bibliques au goût du jour.
Ateret Kohanim appartient à une école de pensée plus large, conduite par le rabbin Zvi Tau, 79 ans. Pour ce dernier, l’Etat d’Israël est sacré et son gouvernement doit être écouté et respecté, bien qu’avec ses disciples, il considère que les dirigeants israéliens font fausse route. A cet égard, son école se trouve rattachée aux grands courants israéliens de la même manière que des électeurs du Parti travailliste ou de Meretz se retrouvent contraints de monter la garde devant des implantations dont ils désapprouvent l’existence. Pour ce qui est de sa position vis-à-vis de la société moderne, cette yeshiva, dont sont issus le futur aumônier principal et ses deux prédécesseurs, se situe à des années-lumière de l’opinion majoritaire en Israël, et n’entretient aucun contact avec la culture laïque. Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que le rav Karim ne se soit apparemment pas rendu compte que stéréotyper les femmes comme « sentimentales » à notre époque est un anachronisme social et une abomination politique.
Il en va de même pour son collègue, le rabbin Igal Lowenstein, général (de réserve) et directeur de l’institut de formation prémilitaire d’Eli, qui qualifie les homosexuels de « pervers » et le judaïsme libéral de « confession chrétienne ». Sachant que sa yeshiva a déjà produit, au fil des ans, non moins d’un millier d’officiers de Tsahal, on peut considérer que l’influence du rav Lowenstein est tout aussi importante que celle du futur aumônier principal. Le ministre de l’Education et leader politique du mouvement sioniste religieux Naftali Bennett, qui a lui-même été officier dans l’unité Sayeret Matkal, a d’ailleurs jugé bon de réagir violemment à ses prises de position. De tels points de vue n’ont rien à voir avec la voie du sionisme religieux, a-t-il affirmé. Une réaction qui s’inscrit dans un mouvement général visant à contenir l’assaut que l’ultraorthodoxie nationaliste semble avoir lancé sur Tsahal. Affaire à suivre...

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