l’ex-ministre de la Défense Moshé Arens,l’homme à la foi inébranlable

Près de 70 ans après son aliya, il estime qu’Israël est la plus belle success story de tous les temps

En 1985 avec Yitzhak Rabin, premier ministre (photo credit: NATI HARNIK/GPO)
En 1985 avec Yitzhak Rabin, premier ministre
(photo credit: NATI HARNIK/GPO)
Il y a chez Moshé Arens une foi communicative en Israël, en ses promesses et en ses réalisations. A 90 ans, alors qu’il s’apprête à fêter ses 68 ans d’aliya, l’ex-ministre de la Défense dit n’avoir jamais cessé d’apprécier les accomplissements dont peut se targuer l’Etat juif, sur les plans militaire, scientifique, économique et social depuis l’époque qui a précédé sa création. « On me demande souvent ce que penserait Theodor Herzl s’il voyait l’Israël d’aujourd’hui. Pour toute réponse, je cite ma femme : “Herzl s’exclamerait Waouh !” Jamais il n’aurait pu s’imaginer qu’Israël deviendrait un pays fort économiquement et militairement, à l’avant-garde, une nation qui a le dessus sur ses ennemis, et qui réalise au quotidien de grandes et belles choses. Comment aurait-il pu imaginer tout cela ? »
Travaillistes vs révisionnistes
Cet optimisme sans faille dont fait preuve Moshé Arens se retrouve tout au long de son parcours exceptionnel. Né en 1925, à Riga en Lituanie, il passe son adolescence à New York : sa famille a échappé à la Shoah en émigrant aux Etats-Unis le 7 septembre 1939, soit une semaine à peine après le début de la Seconde Guerre mondiale. Là, il rejoint le Betar, mouvement de jeunesse associé aux révisionnistes de Vladimir (Zeev) Jabotinsky, puis entre dans la branche « diaspora » de l’Irgoun, organisation clandestine conduite de 1943 à 1948 par Menahem Begin.
Moshé Arens arrive en Israël à l’été 1948, alors que s’achève la guerre d’Indépendance. Dès lors, ses relations avec le mouvement révisionniste font de lui une persona non grata pour les institutions sionistes travaillistes.
« Quand on avait été associé au Betar, on n’était pas vraiment les bienvenus », raconte-t-il dans son hébreu toujours teinté d’un fort accent américain. « On avait du mal à trouver du travail. A l’époque, j’étais peut-être le seul ingénieur diplômé d’une prestigieuse université américaine et pourtant, je n’arrivais pas à obtenir un poste correspondant à mes qualifications. Quand je me suis présenté pour un emploi chez IMI [industrie militaire israélienne], ils ont reconnu que j’étais parfaitement qualifié, mais je me suis fait recaler à l’entretien de sécurité. Avec ma femme, nous nous sommes donc portés volontaires pour participer à la création d’une implantation à la frontière du pays, Mevoot Beitar, que l’on a ensuite renommée Mevo Betar, juste sur la ligne d’armistice, dans les collines de Jérusalem, tout près de Wadi Fukin et Husan. Au bout d’un an là-bas, nous sommes retournés aux Etats-Unis. J’ai décroché un master à l’université CalTech de Californie. A mon retour, le Technion recherchait un spécialiste des systèmes de propulsion. Yaakov Dori, son président, avait été chef d’état-major, mais il ne se souciait pas pour autant de l’affiliation des gens à tel ou tel parti. Il a estimé que j’avais les compétences dont il avait besoin et il m’a accueilli à bras ouverts. »
Cinq décennies plus tard, Moshé Arens évoque cette animosité entre travaillistes et révisionnistes avec une pointe d’indignation, mêlée peut-être de tristesse, mais sans colère. On accusait les révisionnistes d’avoir assassiné le directeur de l’agence juive Haïm Arlozoroff en 1933, se souvient-il, David Ben Gourion avait surnommé Jabotinsky « Vladimir Hitler » et, plus tard, refusait toute référence à Menahem Begin quand on évoquait l’histoire de cette période.
Et la tension entre les deux groupes ne se limitait pas aux frontières de la terre d’Israël. Dans un livre en anglais publié en 2011, Flags Over the Warsaw Ghetto : The Untold Story of the Warsaw Ghetto Uprising (L’histoire cachée du soulèvement du ghetto de Varsovie), Moshé Arens retrace l’histoire des combattants du mouvement révisionniste menés par Pavel Frenkel, qui ont pris une part active dans la révolte de 1943 contre les nazis. Il dit regretter que le nom de Pavel Frenkel n’apparaisse pas davantage dans l’histoire « officielle » du soulèvement du ghetto, qui se focalise plutôt sur Mordekhaï Anielewicz, chef de la Zydowska Organizacja Bojowa (Organisation juive de combat). « Cela découle à l’évidence d’un désaccord idéologique qui se révèle très profond », explique-t-il. « Même dans ces circonstances dramatiques, les sionistes travaillistes ne cessaient d’affirmer que les partisans de Jabotinsky étaient des fascistes et refusaient de s’associer à eux de quelque façon que ce soit. Jusqu’à ce jour, ils refusent de reconnaître le rôle héroïque joué par les révisionnistes dans le ghetto. C’est un exemple classique d’appropriation de l’histoire pour glorifier le mouvement sioniste travailliste et éviter de présenter les révisionnistes sous un jour positif. »
Peut-être est-ce pour cela que Moshé Arens se montre particulièrement sensible aux accusations « d’Etat fasciste » dont est victime le pays aujourd’hui. Certes, il existe des domaines dans lesquels Israël pourrait s’améliorer, dit-il, mais il en est de même pour toutes les autres nations du monde. En tout état de cause, les fondations de la démocratie israélienne – notamment en matière de liberté d’expression et de droit de vote – sont aussi solides que celles de tout autre pays occidental. On ne sera donc pas surpris de voir Moshé Arens s’enflammer dès que la discussion aborde la politique ou la défense du pays.
Une pensée lumineuse
Moshé Arens a 90 ans. S’il s’est retiré depuis bien longtemps de la scène politique, et si ses années au poste de ministre de la Défense sont loin derrière lui, sa pensée est toujours aussi lumineuse, tout comme ses opinions. L’homme reste profondément attaché au sionisme révisionniste et sert de confident et de mentor à de nombreux députés du Likoud, qui le consultent régulièrement sur les problèmes que rencontre le pays. A la mention de Benjamin Netanyahou, Moshé Arens marque une pause. Notre interlocuteur préfère ne pas entrer dans les détails de la politique du Premier ministre, sinon pour vanter les « compétences » de ce dernier dans l’arène diplomatique. Quant au fait que le chef du gouvernement n’a pas encore nommé de ministre des Affaires étrangères à plein temps, cela ne l’inquiète pas outre mesure. Le « charisme » de Netanyahou, dit-il, combiné à la présence de « l’excellent » directeur général du ministère des Affaires étrangères, Dore Gold, suffisent pour fixer les objectifs de politique étrangère d’Israël et travailler efficacement en vue de les atteindre. « Regardez les liens qui commencent à se développer depuis le voyage de Netanyahou en Afrique, voyez comme il est parvenu à instaurer des relations diplomatiques avec des pays à majorité musulmane. Alors on ne peut pas dire qu’Israël n’a pas de ministre des Affaires étrangères. Nos ambassadeurs travaillent assidûment et ils ont l’air de faire de beaux progrès. »
En ce qui concerne le domaine de la défense, Moshé Arens est on ne peut plus fier : Israël n’a plus rien à voir avec le pays du tiers-monde dont il est tombé amoureux il y a 70 ans ! Il cite Yigal Yadin, chef d’état-major adjoint en 1948, qui estimait à l’époque que les chances d’Israël de vaincre les cinq armées arabes ne dépassaient pas 50 %. Il rappelle qu’en mai 1968, les Israéliens avaient commencé à préparer des fosses communes à Tel-Aviv en prévision d’une attaque égyptienne qui semblait imminente, et qu’aux toutes premières heures de la guerre de Kippour, les armées syrienne et égyptienne, ayant pris Israël par surprise, menaçaient de mener l’entreprise sioniste à une fin rapide et sanglante. Et regardez où nous en sommes aujourd’hui, s’étonne-t-il. L’Etat juif est considéré comme le plus grand spécialiste mondial en matière d’opérations antiterroristes, tous les pays occidentaux viennent demander conseil à ses services de sécurité et de renseignement pour contrer les menaces de Daesh, de groupes radicaux nés sur leur propre sol ou d’autres mouvements terroristes. Ils louent les dispositifs de sécurité israéliens, qui ne cessent d’aiguiser leur efficacité, et soulignent que certains des attentats commis en Europe n’auraient pas pu avoir lieu ici.
Une pointe de regret
Moshé Arens est aussi connu pour avoir été l’un des 19 députés de la Knesset à avoir voté contre les accords de Camp David et le traité de paix avec l’Egypte. « Bien sûr, je n’étais pas contre l’idée de faire la paix », dit-il aujourd’hui, « et je n’étais pas non plus nécessairement opposé à des concessions territoriales pour conclure l’accord. Cependant, j’estime que la guerre de Kippour a été la plus grande victoire de tous les temps dans les annales de l’art militaire. Après avoir été pris par surprise, nous avons terminé la guerre avec nos forces à 101 km du Caire, le 3e bataillon égyptien encerclé, Damas à portée de nos tirs d’artillerie et tous ces Etats qui imploraient qu’on leur accorde un cessez-le-feu. Ça a été une grande victoire. L’Egypte et les autres ont compris qu’ils n’auraient jamais aucune chance contre Tsahal. Nous sommes donc arrivés à la table des négociations avec de très bons atouts en main, et je ne pensais pas que nous allions devoir supplier pour parvenir à un accord. Nous n’aurions jamais dû envoyer à nos futurs agresseurs potentiels le message que tout territoire qu’ils pourraient perdre en nous attaquant serait de toute façon rendu ensuite. »
En dépit des années écoulées, il reste de cette période une blessure qui ne s’est pas refermée : à Camp David, ce sont les travaillistes Moshé Dayan et Ezer Weizman que le Premier ministre Begin a tenu à emmener avec lui. Et c’est ce choix, estime Moshé Arens, qui l’a empêché d’obtenir un meilleur accord. « Je sais qu’ils ont tous les deux exercé sur lui des pressions importantes pour qu’il cède », déplore-t-il. « Il est très étrange qu’il ne m’ait pas plutôt sollicité, moi, pour l’accompagner là-bas. Je présidais à l’époque la commission des Affaires étrangères et de la Défense à la Knesset. Il n’a pas demandé non plus à ses vieux camarades de l’Irgoun, comme Yaakov Meridor ou Haïm Landau, de l’accompagner. C’était une erreur. »
Un optimisme à toute épreuve
S’il existe un point sur lequel Moshé Arens trouve qu’Israël n’a pas été la hauteur de ses idéaux, c’est vis-à-vis des citoyens arabes du pays. Il a fallu la première Intifada, dit-il, puis la Conférence de Madrid en 1991, pour que l’Israélien moyen comprenne que le pays devait se préoccuper des aspirations et des désirs des Palestiniens qui vivent avec nous, qu’ils soient citoyens israéliens ou habitants de Judée-Samarie. « Ce sont des citoyens de notre pays et si nous ne réussissons pas à les intégrer à notre société, si nous n’arrivons pas à faire en sorte qu’ils soient satisfaits d’être citoyens de l’Etat d’Israël, nous aurons un problème. Si dans 20 ans, un cinquième des citoyens israéliens se sentent étrangers, et sont prêts à commettre des attentats, cela constituera une menace de taille. Je sais que cela n’a pas été la priorité absolue des gouvernements successifs, qu’ils soient Likoud ou travaillistes, et je ne suis pas du tout sûr que cela fasse partie du programme de nos dirigeants actuels. J’ai été heureux de voir Netanyahou commencer à agir dans le bon sens [avec l’allocation récente de 15 milliards de shekels au secteur arabe sur les quatre prochaines années], mais il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. On n’en fait pas assez. »
« Il y a des forces d’opposition, c’est évident », soupire Moshé Arens. « Certains groupes du secteur arabe ne veulent pas d’une intégration au sein de la société israélienne. Au contraire, ils font tout pour que le fossé subsiste, voire se creuse, et cherchent à polariser la situation entre Juifs et Arabes. D’autres travaillent à exploiter le sentiment religieux en allant proclamer que la mosquée al-Aqsa est en danger. Alors bien sûr, ce n’est pas simple, mais il faut se battre pour l’égalité. Il est par ailleurs important de souligner qu’en élevant le seuil électoral, on a incité la population arabe d’Israël à former un parti unique, de sorte qu’on ne sait plus à présent quelle part se reconnaît dans les idées d’Ayman Odeh et qui préfère Hanin Zoabi. On peut vraiment se demander dans quelle mesure ces électeurs s’identifient à ce parti et comment ils peuvent adhérer à un éventail d’opinions aussi large. »
Pour remédier à ce problème, il est essentiel, estime Moshé Arens, que les partis sionistes actuels fassent de la création d’infrastructures et d’opportunités économiques dans le secteur arabe leur priorité. Deux membres arabes de la Knesset, précise-t-il, Zouheir Bahloul (Camp sioniste) et Esawi Frej (Meretz) sont d’excellents députés, et l’on peut les citer en exemple pour inciter les autres partis à faire entrer sur leurs listes des représentants arabes.
Tout en répétant son opposition à un Etat palestinien, Moshé Arens réitère son leitmotiv : négocier avec l’ancien chef de l’OLP Yasser Arafat a été une erreur. Contrairement à ceux qui avertissent que la situation en Judée-Samarie est une bombe à retardement qui finira par exploser, l’ancien ministre de la Défense soutient en toute confiance que le temps joue en faveur de l’Etat juif. « Je ne vois pas pourquoi on se précipiterait pour rendre des territoires. Comme je l’ai déjà dit, non seulement nous sommes forts militairement, mais nous le sommes aussi économiquement. Et puis, c’est de parties de la Terre d’Israël qu’il s’agit, et non pas d’un lointain empire colonial ! J’ai déjà évoqué la conséquence immédiate qu’aurait un retrait unilatéral : l’émergence d’un Etat palestinien terroriste. Du coup, pourquoi faudrait-il se dépêcher de céder des territoires ? Et à qui les cèderait-on ? »
Tandis que nous nous préparons à nous quitter, après deux heures d’entretien, je demande à Moshé Arens quel sera son mot de la fin. « Ecoutez », me répond-il, « Israël est à n’en pas douter la plus belle success story du XXe siècle, et peut-être même de tous les temps ! » 
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