Des Coréens en Israël

les chrétiens de Corée forment une communauté en pleine expansion, souvent fortement sioniste, au cœur de Jérusalem

Jihye Roy, originaire de Séoul, a entamé un master à l’Académie Betsalel (photo credit: JACOB ATKINS)
Jihye Roy, originaire de Séoul, a entamé un master à l’Académie Betsalel
(photo credit: JACOB ATKINS)
C’est dans un hôpital chrétien de Bethléem qu’Ezra Kim a vu le jour, un matin de mai 1995. Le médecin confie alors à ses parents qu’il est le premier Asiatique à naître dans cet hôpital, peut-être même le premier à Bethléem. Un immense honneur pour cette famille sud-coréenne profondément chrétienne.
Hormis une interruption de six ans pour terminer ses études secondaires à Séoul, Kim est un Hiérosolomytain heureux. Il se souvient encore des noms de ses amis de l’école primaire : Eitan, Ophir, Nir et Liel. Au cours des prochaines années, il va pouvoir contempler la ville qu’il aime tant depuis la bibliothèque de l’Université hébraïque sur le mont Scopus, où il compte bien décrocher une maîtrise puis un doctorat en études bibliques. Il devra cependant s’absenter deux ans, pour servir sous le drapeau sud-coréen, le service militaire étant obligatoire dans son pays d’origine. « Je voudrais être pasteur. Cela a toujours été mon rêve, depuis ma plus tendre enfance, car mon père a fait une promesse à Dieu », explique Kim. « Et Israël est évidemment le lieu idéal pour étudier la Bible. »
Irena Cho n’est pas née à Jérusalem, mais sa famille, originaire de Corée du Sud, s’est installée ici quand elle avait trois ans. Depuis, la jeune fille n’est jamais repartie. « Si l’on me demande où je veux vivre, ici ou là-bas, je n’hésite pas une seconde. C’est ici », affirme-t-elle. Irena est en Israël depuis 20 ans, mais seule son inscription à l’université lui donne droit à un visa d’étudiant. « Le Misrad Hapnim (ministère de l’Intérieur) ! », s’exclame-t-elle en haussant les épaules et en riant.
Un pasteur en herbe
Kim et Cho comptent parmi les vétérans d’une communauté de Sud-Coréens en Israël estimée à 800 membres. Souvent ignorés par les Israéliens, ou traités comme des touristes, accueillis dans les rues par un joyeux « Ni-hao ! » (Bonjour, en mandarin), beaucoup se sont discrètement enracinés ici, principalement dans la capitale. Qu’est-ce qui incite ces jeunes à faire route jusqu’à Jérusalem ? La cité universitaire du mont Scopus, où beaucoup ont élu domicile, est à mille lieues de la capitale hyperconnectée qu’est Seoul. Le samedi, siroter un café à Aroma reste la seule activité récréative du coin. Chacune des personnes interrogées pour cet invoque ses propres raisons, mais pour beaucoup de ceux qui sont attirés par la ville d’or, par-delà les océans, Dieu semble être le facteur commun.
Kim, le pasteur en herbe, est assis au sous-sol de l’église de l’Alliance, rehov Haneviim, au centre de Jérusalem. Il vient tout juste de poser ses baguettes : le jeune homme joue de la batterie dans un groupe de rock chrétien composé de six membres, qui accompagne en musique le service en coréen du samedi.
La congrégation de 42 personnes compte un mélange d’étudiants et de familles. Aux dires de certains, il y aurait cinq églises coréennes de ce style à Jérusalem, une à Tel-Aviv et une à Haïfa.
« A 16 ans, au cours de ma première année de lycée, j’ai décidé de revenir en Israël », se souvient-il. « Je n’étais pas très content de mes études en Corée. J’ai donc terminé assez vite et, après en avoir discuté avec mon père, j’ai choisi de venir ici poursuivre mon cursus universitaire. » Son père était étudiant à Jérusalem quand Kim est né. Mais les hôpitaux étaient chers, aussi ont-ils opté pour Bethléem. Kim a eu du mal à se faire au système scolaire de son pays d’origine. « La différence entre écoles israéliennes et coréennes est immense. Je me sentais plus à l’aise dans le système israélien, car c’est ici que j’ai grandi. Jérusalem est ma ville natale. En Corée, tout le monde me ressemble : cela a, bien sûr, un côté rassurant. Je ne fais pas tache quand je marche dans la rue. Mais en dehors de cela, la façon dont on éduque les enfants, en les battant parfois (plus maintenant, mais quand j’étais à l’école, c’était le cas), a été un choc pour moi. » Le jeune homme a terminé ses études avec deux ans d’avance sur ses camarades, passant son bac à l’âge de 16 ans. Puis il a étudié l’anglais, l’hébreu et la Bible avec son père, en vue de son retour.
Le retour à Sion
Jihye Roy, également originaire de Séoul, est arrivée en Israël pour la première fois en 2013, pour une période de bénévolat dans une association caritative sud-coréenne. Là, elle a enseigné la peinture à des enfants éthiopiens issus de familles monoparentales. « Je donnais cours une fois par semaine », se souvient-elle. « Ce qui me laissait beaucoup de temps de libre. J’ai donc loué une voiture et voyagé dans tout le pays. C’était entre la fin de l’hiver et le début du printemps. Les champs qui tournaient au vert, les amandiers en fleurs, la terre qui chantait la vie : c’était magnifique ! Ce pays m’a beaucoup inspiré. Evidemment, en tant que chrétienne, je ne pouvais pas refuser une telle opportunité. »
Après quelques années qu’elle a partagées entre la Tanzanie, la Corée et l’Australie, Roy est revenue en Israël cet hiver pour apprendre l’hébreu. En octobre, après neuf mois d’oulpan, elle a entamé une maîtrise en théorie de l’art à l’Académie Betsalel des arts et du design, une démarche artistique doublée d’une volonté missionnaire non dissimulée. « Nous attendons le retour du messie. Et selon la Bible, l’une des conditions préalable à sa venue est que tous les juifs reviennent à Jérusalem à la fin des temps. Pour y parvenir, notre devoir est donc de les aider. En tant que chrétiens, nous leur devons bien cela. » De nombreux Sud-Coréens en Israël réfutent l’idée du passage de l’alliance du judaïsme au christianisme. A leurs yeux, le « peuple élu » reste le peuple juif.
« Servir le peuple de Dieu »
AMIKO est une association caritative dont le siège se trouve à Jérusalem. Fondée en 2009 par Yonggu Kim, son nom est l’acronyme hébreu de l’Association des volontaires israéliens et coréens (Amoutat haMitnadvim Israelim Vekoreanim). Yonggu Kim dirige seul une quinzaine de volontaires, pour la plupart de jeunes adultes Sud-Coréens qui viennent en aide aux personnes âgées, aux handicapés, ainsi qu’aux enfants de familles défavorisées dits « à risque ». « Pour nous, bénévoles coréens, la notion de service est essentielle. Israël et la Corée ne seraient jamais arrivés où ils sont aujourd’hui sans l’aide d’autrui », écrit Yonggu dans un courriel. « Nous sommes ici pour rendre service à ceux qui en ont besoin, pour guérir les cœurs brisés et apporter une forme de liberté aux personnes physiquement handicapées. Personnellement, je sais que Jésus est venu en Israël pour servir le peuple de Dieu, et non pas pour être servi ! Je ne fais qu’appliquer son commandement. Accorder l’amour de Dieu à Son peuple et lui apporter le réconfort. »
Pour beaucoup d’autres, cependant, la spiritualité est mâtinée d’un intérêt plus mercantile. En Corée du Sud, en particulier parmi les chrétiens, « l’éducation juive » est à la mode. Basée sur les discussions intellectuelles, caractérisées par des débats et analyses approfondies, elle tranche avec le système scolaire rigide décrit précédemment par Ezra Kim. Le fait que l’éducation soit beaucoup moins chère en Israël est certainement un avantage supplémentaire. « En Corée, l’esprit de compétition est très présent », explique Jaewon Seo, assis à la bibliothèque de l’Université hébraïque. « Tous les acquis académiques sont le fruit de cette émulation. On n’étudie pas par passion ou par goût de l’étude, mais juste pour devenir compétitif au sein de la société. Je veux faire des études d’ingénieur ou de physique. De nombreux prix Nobel scientifiques sont juifs. Et Tel-Aviv et Haïfa comptent un grand nombre de start-up dans le domaine de la technologie. »
Si le nombre de jeunes sud-coréens actuellement inscrits à l’Université hébraïque est inconnu, la Corée du Sud reste un marché important pour le recrutement international, reconnaît l’un des porte-parole de l’université. 84 étudiants étaient engagés dans un cursus à l’Ecole internationale Rothberg l’an dernier, que ce soit à l’oulpan, en licence, en maîtrise ou dans un programme pré-universitaire. Selon le porte-parole du ministère de l’Immigration, une poignée de Sud-Coréens se sont convertis au judaïsme et ont fait leur aliya, essentiellement après avoir épousé un juif.
Avec ou sans les épines
Seyou Park, étudiant en biochimie, fait l’éloge du style de vie « plus libre » et moins contraignant de la Terre promise. Mais ses relations avec les Israéliens lui laissent toutefois un sentiment mitigé. « Honnêtement, les gens ici sont un peu trop directs. Ils sont un peu agressifs, à nos yeux, à mes yeux. Pour les Asiatiques, surtout ceux de l’Est, il est important de garder son calme dans les conversations, de se montrer respectueux les uns des autres… » Mideum Eun, qui a vécu des années en Russie avec ses parents missionnaires, s’était imaginé qu’Israël n’était rien qu’un désert. « Quand je suis arrivé ici, j’ai été très impressionné. Tout avait l’air si moderne. Je pensais que c’était un pays en guerre, mais on vit mieux ici qu’en Corée et en Russie. » Roy, la jeune femme peintre, avoue avoir beaucoup pleuré au cours de ses deux premières semaines dans le pays. Elle n’imaginait pas qu’ouvrir un compte en banque, signer un contrat de téléphone ou acheter une carte de transport pouvait être aussi pénible. Elle affirme également avoir fait l’expérience de réactions négatives de la part d’Israéliens lorsqu’elle confiait vouloir rester ici pendant au moins quelques années.
Malgré le choc initial, la plupart des Coréens installés en Israël se sont fait de nombreux amis parmi les gens du cru, en particulier ceux qui sont là depuis longtemps et parlent bien l’hébreu. Si beaucoup finissent par « comprendre » Israël, pour le Coréen moyen, cela reste un tout petit pays lointain, qui fait la une des journaux un peu trop souvent. Pourtant, susciter une meilleure compréhension entre Israël et la Corée devrait être facile, théoriquement. Les deux pays ont obtenu leur indépendance en 1948, ils sont également impliqués dans un conflit territorial sans fin et se situent à un stade similaire de développement économique.
Aider à concrétiser cette proximité théorique : tel est l’objectif d Kim Ezra, qui se définit comme « Coréen-Israélien ». « Je pense qu’il existe un lien durable entre Israël et la Corée, que je voudrais voir se développer, que ce soit sur le plan touristique ou économique. » Mais d’abord, il doit s’occuper des Hiérosolomytains qui lui crient encore : “Ni hao !” Je leur réponds : “Je ne suis pas chinois ! Deviniez quel est mon pays d’origine.” »
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