Place à la médecine régénérative

La sclérose en plaques ne sera bientôt plus une maladie incurable. Un traitement révolutionnaire à base de cellules souches expérimenté à l’hôpital Hadassah verra le jour d’ici quelques années

Cellules souches humaines (photo credit: FLICKR/THE JEWISH AGENCY FOR ISRAEL)
Cellules souches humaines
(photo credit: FLICKR/THE JEWISH AGENCY FOR ISRAEL)
Les murs du centre hospitalo-universitaire Hadassah Ein Kerem, situé sur les collines de Jérusalem, sont témoins d’un essai clinique révolutionnaire qui pourrait bouleverser la vie de millions de personnes à travers le monde. Ceci n’est pas un synopsis destiné à promouvoir un roman, mais bien une histoire vraie : celle d’une mission en marche afin de trouver un traitement efficace pour la sclérose latérale amyothrophique (SLA) et la sclérose en plaques (SEP), traitement qui pourrait également avoir des répercussions positives sur d’autres syndromes neurologiques tels que les maladies d’Alzheimer et de Parkinson ou les attaques cérébrales.
Un fol espoir
Il y a quelques années, alors que je discutais avec un ami à qui l’on venait de diagnostiquer une sclérose en plaques, j’ai pour la première fois entendu parler des travaux unanimement salués du Pr Dimitrios Karussis. Récemment, ce neuroimmunologue d’origine grecque a encore fait parler de lui : l’un de ses essais cliniques mené à partir de cellules souches sur des patients souffrant de SLA (appelée également maladie de Lou Gehrig) et de SEP a montré des résultats extrêmement prometteurs. J’ai donc voulu savoir à quel point il était proche de mettre au point un traitement révolutionnaire, qui n’est pas uniquement censé stopper la progression de ces maladies incurables, mais pourrait également annuler certains de leurs effets dramatiques sur le corps.
Difficile d’imaginer que les travaux qui mettent le monde médical en émoi sont menés dans le cadre du centre universitaire Hadassah, par une équipe constituée de seulement trois personnes : le Pr Karussis, le Dr Panayiota Petrou, neurologue également d’origine grecque, et le Dr Ibrahim Kassis, expert en régénération des tissus et en cellules souches mésenchymateuses – avec la collaboration de l’entreprise israélienne de biotechnologie, BrainStorm Cell Therapeutics. Le fameux essai clinique dont il est question consiste à prélever des cellules souches dans la moelle osseuse du patient pour les cultiver en laboratoire, avant de les réintroduire chez le malade par injection intrathécale. Les résultats ont été très concluants sur plusieurs patients. Certains, qui présentaient des membres paralysés, ont vu une amélioration significative de leur motricité : une chose encore inimaginable il y a seulement deux ans.
L’un de ces malades, souffrant d’une forme progressive de sclérose en plaques qui l’handicapait de plus en plus, a bien voulu témoigner sous couvert d’anonymat. Proche de la cinquantaine, cet Israélien d’origine britannique a dans un premier temps cherché en Grande-Bretagne les moyens de combattre sa maladie. Là, il s’est vu opposer une fin de non-recevoir : on lui a expliqué qu’il n’y avait rien à faire contre la progression de sa pathologie, en dehors de l’aide minimale apportée par la physiothérapie et les comprimés de cholestérol. Marcher lui était de plus en plus difficile et cet ancien coureur de marathon, qui se forçait autant que possible à continuer à courir, finissait régulièrement au sol. C’est alors qu’il a été accepté au sein de l’essai clinique en cours du Pr Karussis. Vingt-quatre heures seulement après avoir reçu la première injection de cellules souches, D. a commencé à en ressentir les premiers bénéfices. Il raconte : « Le lendemain de l’injection, une interne m’a demandé de soulever ma jambe. Je m’attendais à ce que celle-ci retombe rapidement, mais non. J’ai réussi à garder ma jambe en l’air. Dès que le médecin est sorti, j’ai fondu en larmes. C’était le signe que le traitement marchait. J’avais été capable d’endurer cette position parce que mes muscles fonctionnaient à nouveau. Mais ce n’est pas tout : 72 heures plus tard, je suis allé courir. Juste avant de participer à l’essai clinique, je courais jusqu’à trois kilomètres, mais j’étais lent et diminué. Ce jour-là, j’ai réussi à courir cinq kilomètres assez facilement et à enchaîner directement par une marche de sept kilomètres ! Je n’arrivais pas à croire qu’un tel changement ait pu s’opérer aussi rapidement… Aujourd’hui, plusieurs mois après la première injection sur les deux que j’ai reçues, je peux affirmer que ma maladie a non seulement arrêté de progresser, mais que je suis revenu à l’état qui était le mien il y a sept ans. »
Tout est dans le corps
Le Pr Karussis est né à Thessalonique. Venu en Israël pour la première fois en 1986, à l’occasion d’un échange étudiant, il dit avoir eu un véritable coup de foudre pour le pays et ses habitants. Deux semaines après son mariage, en 1988, il est donc venu s’y installer avec sa femme, elle-même scientifique, et a directement intégré le centre Hadassah. Après avoir obtenu la nationalité israélienne, le couple n’a plus jamais quitté le pays. Leur fils s’apprête aujourd’hui à commencer son service militaire. « Bien que je ne sois pas juif, certaines choses ici ont fait que je me suis immédiatement senti comme chez moi. Ce pays m’est tout de suite apparu comme familier. C’est une chose que je ne peux pas expliquer », raconte le Pr Karussis. « Le Pr Abramsky, ancien chef du département de neurologie à Hadassah, a été comme un père pour moi. Nous avons mené des travaux en commun, puis je suis resté pour développer le champ de recherche sur la sclérose en plaques et la neuroimmunologie. »
Il y a quelque chose de fascinant dans la façon qu’a le Pr Karussis de parler. Il me promène ainsi dans les différents champs de son expertise avec patience, et en tenant compte du fait qu’il s’adresse à un parfait novice. La passion qui l’anime vis-à-vis de son travail et sa quête de traitements des désordres neurologiques, est hautement contagieuse. Je lui demande où en sont ses recherches et comment il en est arrivé à mener cet essai clinique sans précédent. « Jusque récemment », m’explique-t-il, « l’idée qui prévalait était que les maladies comme la SEP, la SLA et toutes celles qui causent une destruction nerveuse, étaient irréversibles. Il n’existait en effet aucun moyen de reconstruire la myéline, cette gaine qui entoure les fibres nerveuses, les isole et leur donne ainsi la capacité de conduire les stimuli électriques de façon très rapide. Mais ces dernières années, nous avons commencé à remettre en question cet axiome. »
« De nombreuses avancées médicales ne proviennent pas d’inventions, mais de découvertes de choses qui existent déjà dans l’organisme. Je pense ainsi que le remède à de nombreuses maladies se trouve dissimulé dans nos propres corps. » Il poursuit : « Certains patients souffrant de sclérose en plaques, des séquelles d’une attaque ou d’autres maladies parviennent à se rétablir – à différents degrés. Comment y arrivent-ils alors que leur cerveau est touché ? Cela signifie que l’organisme possède des ressources pour surmonter les affections, sauf que celle-ci sont limitées. Nous nous sommes alors interrogés pour comprendre ce qui permettait cette réparation, et nous savons désormais que ce sont les cellules souches. Le corps dans son ensemble est formé à partir de ces cellules omnipotentes, appelées ainsi car elles sont capables de produire n'importe quelle partie du corps… dont le cerveau. »
Le cheminement de Karussis en vue de soigner les différents types de scléroses et autres maladies neurologiques a commencé il y a plus de 25 ans, durant ses études de doctorat. En 1991, il a ainsi été invité aux Etats-Unis pour exposer les premiers éléments de sa théorie sur les cellules souches. L’accueil, comme il le raconte, a été plutôt froid. « J’ai évoqué le fait d’utiliser les cellules souches pour remplacer le système immunitaire à l’Académie américaine d’immunologie. A l’époque, cette approche novatrice n’était pas acceptée. Les gens s’esclaffaient à l’idée d’utiliser les cellules souches pour soigner la SEP. » Ce qui causait ces moqueries est maintenant largement admis dans le milieu médical, et considéré comme le moyen de réaliser des percées sans précédent dans la recherche. « Cette approche qui consiste à remplacer le système immunitaire par des cellules souches afin de stopper la réactivité contre les protéines identitaires dans le cas de la sclérose en plaques, s’est ensuite peu à peu concrétisée. Avec le Pr Shimon Slavin, qui supervisait les greffes de moelle osseuse à Hadassah, nous avons commencé à injecter des cellules souches chez des patients atteints de SEP. Beaucoup pensaient que cette approche était réservée à des cas exceptionnels, mais aujourd’hui, elle est mise en œuvre dans de nombreux hôpitaux à travers le monde. »
« Par la suite, j’ai découvert un autre moyen de traitement. Avec la sclérose en plaques, le problème n’est pas seulement d’arrêter l’activité inflammatoire du système immunitaire, il faut également reconstituer la myéline qui a été détruite suite à la réaction auto-immune, entraînant une conduction ralentie ou même bloquée. En fonction de la zone du cerveau affectée, la plaque de démyélinisation, comme nous l’appelons, se manifeste par différents symptômes cliniques tels qu’une faiblesse musculaire, des problèmes au niveau des sensations, une démarche instable, une perte de la vision et autres », explique le Pr Karussis.
La révolution Karussis
Il n’y a pas si longtemps, l’utilisation des cellules souches faisait l’objet d’un débat éthique passionné. La recherche, en effet, était menée à partir de cellules souches d’embryons humains, et le scandale était tel qu’il aurait pu stopper ce domaine de recherche à ses tout débuts. La réponse de Karussis, et ce qui paraît être une bien meilleure alternative, a donc été d’utiliser les propres cellules souches des patients, issues de la plus petite fraction de cellules souches stromales prélevée dans la moelle osseuse. Cette technique permet de contourner les implications éthiques de l’implantation de cellules souches d’embryon, mais aussi les difficultés pour trouver des donneurs, tout en réduisant de façon drastique le risque de rejet par le patient.
« Les cellules souches stromales sont plus flexibles, c’est pourquoi elles ont notre préférence, bien qu’elles ne représentent que 0,1 % des cellules souches présentes dans la moelle osseuse. Une fois prélevées, nous les multiplions et nous les purifions de façon à en produire plusieurs dizaines de millions, puis nous les réinjectons chez le patient. Nous avons d’abord expérimenté cela sur des souris atteintes de sclérose en plaques et les résultats ont été fantastiques. » C’était il y a dix ans. « L’Eureka » du Pr Karussis. A cette évocation, la voix du scientifique trahit l’émotion. « Les souris paralysées se sont remises à marcher et à sautiller. Nous avons alors compris que ces cellules permettaient au corps de se rétablir et qu’elles prévenaient les dommages du système nerveux. » Le Pr Karussis a-t-il immédiatement senti qu’un tel résultat pourrait se retrouver chez les êtres humains ? « J’étais vraiment très optimiste car je sais la corrélation qui existe entre l’organisme des souris et le corps humain », répond-il.
Cependant, obtenir l’autorisation de mener des essais sur l’homme a pris du temps, du fait des réticences à tester les traitements sur des patients atteints de SEP dont l’espérance de vie, malgré des conditions très difficiles, peut être longue. « Vos traitements se doivent d’être testés sur des maladies incurables comme la sclérose latérale amyothrophique. Ce sera plus acceptable d’un point de vue éthique car nous ne savons pas grand chose des cellules souches », s’est entendu dire le Pr Karussi par le comité des licences. C’est la raison pour laquelle il a commencé ses essais de traitement sur la SLA. En 2007, l’équipe du professeur a donc lancé un essai combiné avec 19 malades atteints de SLA et 15 souffrant de SEP, soit 34 patients au total. Les résultats ont été publiés
en 2010 dans la revue Neurology.
« Bien sûr, quand vous réalisez une telle étude, votre premier objectif est de vérifier que le traitement ne présente pas de danger. Et cela encore plus depuis que nous avons entrepris d’injecter les cellules directement dans le liquide rachidien après ponction lombaire ; le but est d’amener les cellules à circuler dans le liquide cérébro-spinal présent dans le cerveau et la moelle épinière. C’était la première fois que cette approche était appliquée dans le traitement des maladies neurologiques. Les résultats concernant la sûreté du traitement ont été excellents. Tout s’est déroulé comme prévu, et nous avons pu constater en tant qu’observation secondaire – puisque nous n’avions pas introduit le placebo nécessaire pour comparer les résultats – que le traitement avait permis de stopper la progression de la SLA chez les patients pendant au moins six mois, c’est-à-dire la durée de notre étude. Quant aux patients atteints de SEP, certains ont montré une amélioration significative au niveau de leurs dysfonctionnements moteurs », relate le chercheur. Je lui demande de détailler ce dernier point. « Il existe une échelle de handicaps appelée EDSS. Le degré 7 s’applique aux personnes qui sont en chaise roulante, celui de 6,5 à celles qui se déplacent avec un déambulateur. Les patients de niveau 6,7 – entre la chaise roulante et le déambulateur – ont connu une amélioration d’un degré, ce qui signifie qu’ils étaient désormais capables de marcher sans assistance ou bien avec une canne. Soit une évolution très significative. Bien entendu, ces résultats ne pouvaient être interprétés comme une preuve d’efficacité parce que nous n’avions pas de groupe placebo pour les contrôler, mais c’était tout de même très encourageant. »
Trois autres années se sont ensuite écoulées avant que l’autorisation d’un nouvel essai soit donnée. Celui-ci, commencé il y a un an et demi, a été ainsi présenté par Hadassah : « L’essai, sous la direction du Pr Dimitrios Karussis, directeur du centre de recherche Hadassah pour la sclérose en plaques, est une étude randomisée en double aveugle effectuée à terme sur 48 patients atteints de SEP. Alors que les sujets du groupe de contrôle ne sauront pas s’ils reçoivent le véritable traitement ou bien un placebo, l’essai a été conçu de manière croisée, si bien qu’au final tous les patients recevront l’injection de cellules souches, même si pour certains, cette injection n’aura lieu que six mois plus tard. »
C’est à cet essai que D. a participé, permettant une amélioration spectaculaire de sa motricité et de son état général. Pour le Pr Dimitrios Karussis, ces découvertes augurent sans doute d’une nouvelle ère en médecine : celle de la médecine régénérative.
Le nerf de la guerre
A ce jour, l’équipe du Pr Karussis est la seule qui soit réellement en course pour trouver un traitement contre la SEP et la SLA. Le chercheur d’origine grecque compte parmi les 30 ou 40 experts présents dans les consortiums internationaux qui agissent comme un comité de recherche sur les cellules souches. Un grand débat a lieu actuellement pour savoir si la méthode intrathécale via la moelle épinière promue par le Pr Karussis et ses collègues à Jérusalem, est préférable à l’administration de cellules souches par intraveineuse.
Un certain nombre de centres internationaux ont observé les essais menés à Hadassah, et trois centres médicaux américains mènent actuellement une étude de phase 2 contrôlée par placebo en double aveugle, c’est-à-dire un protocole identique à celui de l’essai réalisé à Hadassah. L’Institut indépendant de développement des thérapies met en lumière les essais cliniques autour de la SLA et la SEP menés de par le monde, depuis le Japon et l’Allemagne jusqu’en Iran ou en Italie, chacun avec des objectifs distincts mais un but commun : trouver des réponses à ces maladies. Le slogan de l’Institut, « La SLA n’est pas une pathologie incurable. C’est une maladie en manque de fonds », reflète clairement sa conviction qu’il existe un espoir de traitement pourvu que l’on trouve de l’argent pour financer la recherche. Je me demande alors comment il se fait que seul un hôpital israélien ait osé pousser ses travaux dans un domaine encore inexploré. Les Israéliens seraient-ils plus enclins à soumettre leurs corps à de nouveaux essais cliniques ? « Je pense effectivement que cette soif d’accomplir de nouvelles choses et cette capacité à ne pas se poser de limites font partie de ce qui caractérise les Israéliens », note Karussis. « Les Européens et les Américains considèrent encore le travail sur les cellules souches comme quelque peu tabou car ils trouvent cela dangereux. Ils sont assez conservateurs. Heureusement pour nous, ce conservatisme n’existe pas en Israël, les mentalités sont beaucoup plus ouvertes face à la recherche et à l’innovation. » C’est donc cette foi des Israéliens dans le progrès qui a permis à l’équipe du Pr Karussis d’avancer.
La situation est ainsi paradoxale : la recherche médicale américaine est relativement bien financée mais la réglementation locale, très restrictive, fait que les autorisations pour mener des essais sur les cellules souches sont incroyablement difficiles à obtenir, alors qu’en Israël, c’est le contraire ; si la recherche est encouragée, le stade final d’un essai clinique potentiellement historique comme celui mené à Hadassah se trouve retardé par manque d’argent. Ainsi le dernier tiers des 48 patients est-il toujours en attente de traitement. Dans l’absolu, la somme de 1,5 million de dollars requise pour mener la dernière étape des recherches et publier les résultats ne paraît pas si inaccessible, surtout quand on considère les millions de vies qui pourraient s’en trouver bouleversées. Pourtant, le centre Hadassah, en proie à de graves difficultés financières, doit lutter pour trouver des fonds.
Karussis tient à rester optimiste. Alors que je lui demande si d’éventuels résultats positifs dans ses recherches amèneront la SLA et la SEP à ne plus être considérées comme des maladies incurables, le scientifique prend son temps pour répondre. Il sait à quel point ses mots sont lourds de conséquences, et la responsabilité qu’il porte vis-à-vis des patients. « Nous pouvons dire que si les choses continuent à avancer dans la même voie, la neurologie, si impuissante jusque-là, ne sera plus jamais la même. Il y a dix ans, quand mes collègues et moi discutions des traitements pour la sclérose en plaques et autres affections neurologiques, nous nous demandions quand l’utilisation des cellules souches deviendrait une véritable option. C’était théoriquement faisable, mais c’en était encore au stade de la science-fiction. Aujourd’hui, nous savons que l’utilisation de ces cellules ne présente pas de danger. Nous avons des preuves de leur efficacité. Je pense que cela ne devrait plus prendre trop de temps pour que des traitements voient le jour, moins d’une décennie, peut-être même moins de cinq ans. Les traitements disponibles ne seront d’ailleurs pas seulement indiqués pour la SLA et la sclérose en plaques, ils pourraient également marcher aussi bien, voire encore mieux, pour traiter la maladie d’Alzheimer, de Parkinson, les attaques cérébrales et les traumatismes spinaux. » 
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