Les synagogues : depuis quand et où?

Depuis quand, historiquement, existe-t-il des synagogues et quelles en sont les premières fonctions ? Eléments de réponses

Synagogue de Massada (photo credit: Wikimedia Commons)
Synagogue de Massada
(photo credit: Wikimedia Commons)
La Bible limite explicitement l’expression des relations de l’homme à Dieu autour du Tabernacle du désert ou du Temple de Jérusalem. Cependant, l’institution juive centrale reste depuis bien longtemps la synagogue. Comment donc comprendre ce paradoxe ?
La Bible, notamment Deutéronome (XII, 5), ordonne de ne rendre un culte qu’au lieu indiqué par Dieu : « Vous irez l’invoquer uniquement à l’endroit que Dieu aura adopté pour y attacher son nom, dans ce lieu de Sa résidence ». Ainsi, celui-ci prescrit-il la construction du Tabernacle de Moïse dans le désert. David le déplace à Jérusalem et Salomon y construit le superbe « Temple ». La Bible y décrit de nombreux rites sacrificiels, mais, curieusement, aucun rituel de prières. Dans ces conditions comment imaginer des lieux de culte autres à ces époques préexiliques ?
Il est toutefois indéniable que quelques rares textes font allusion à des lieux d’assemblée. Citons notamment Jérémie XXXIX « Les Chaldéens livrèrent aux flammes les maisons du peuple », le Psaume LXXIV « Ils ont brûlé tous les centres consacrés à Dieu dans le pays » ou encore le Psaume LXVIII qui mentionne des Kehilot (assemblées).
Selon Maïmonide (Mishné Torah), les juifs ont recouru à des prières individuelles sans format imposé jusqu’à l’exil babylonien (vers -600) – des prières quotidiennes régulières qui permettent de pallier à l’impossibilité de pratiquer les rites de sacrifices comme ils sont prescrits dans la Bible en l’absence de Temple.
Individuelle ou collective, la prière
Ainsi, ce rituel, qui se développe en galout, subsiste après le retour d’exil (à partir de -500). Ezra et les Sages de son époque décident d’en figer l’essentiel, avec les trois prières quotidiennes et, le Shabbat, complétées par des lectures de la Torah dont on trouve quelques rares allusions dans Ezra, Néhémie ou Ezéchiel (XI, 16) : « Ainsi parle Dieu : Je les ai dispersés parmi les nations et leur y ai été quelque temps un sanctuaire (Mikdach) ». Pour pratiquer ce culte, le besoin de se regrouper dans des lieux spécifiques de rassemblement ou « synagogues » est impératif. Ce mot grec est issu de « sunago » (se rassembler), soit un « lieu où les gens s’assemblent ».
Cependant, devant l’absence de références textuelles plus nombreuses, ainsi que devant la faible codification et généralisation des besoins rituels, la majorité des spécialistes fait remonter l’existence des premières synagogues, comme lieux explicites de prières, à la période allant de 400 à 200 avant l’ère vulgaire.
On en trouve effectivement de nombreuses références à partir de -100 puis notamment dans Flavius Joseph, les Evangiles (plus de 20 références, dont 10 où Jésus prie, enseigne et guérit) et bien sûr le Talmud (entre +200 et +500). Ainsi, le traité talmudique Guitin décrit-il la demande de Yohanan Ben Zakai d’instaurer un lieu de prières et d’études à Yavné. Les traités Ketoubot, Meguila et Yoma mentionnent l’existence de plus de 400 synagogues décrites comme organisées par villages ou villes, par métiers, par pays de fréquentation, par catégories publiques ou privées… Au-delà de leur utilité rituelle, le Talmud insiste sur leurs fonctions d’études de la Bible et de la Loi orale, ainsi que de lieux de rassemblement.
La prière collective va peu à peu y occuper la place centrale. Berachot (6) rappelle l’exigence pour chaque fidèle d’une présence très régulière aux offices quotidiens avec un quorum de 10 adultes hommes (ou minyan) dans les lieux de culte des villages. 
Les usages dans les synagogues originelles
Du livre de Daniel et de certains commentaires de Rachi qui s’y rapportent, on déduit l’orientation des synagogues vers Jérusalem et le besoin de vitres pour laisser un minimum de visibilité du ciel vers lequel adresser ses prières.
Les musiciens présents dans le Temple cités dans Samuel, Ezra, Chroniques ou Psaumes sont absents des synagogues, sans doute pour en marquer sa destruction, comme l’indique notamment Osée (IX, 1) « Israël, ne te livre à aucune joie bruyante comme les nations » et le Talmud Sota (48a). Les Evangiles attestent de l’existence de chefs de la synagogue, parmi lesquels ils citent Nicodème, Crispus, Jarius, Sosthène. Ils y mentionnent aussi la présence d’assistants, la possibilité pour des visiteurs d’y donner des sermons, la présence de femmes…
Selon le Talmud, le droit de détruire une synagogue est extrêmement limité (Meguila) et de vifs débats existent entre partisans de grosses dépenses pour les bâtiments et ceux qui préfèrent consacrer les sommes correspondantes à l’étude.
Les synagogues les plus anciennes et leurs traces archéologiques
● Les plus vieux fragments synagogaux retrouvés sont des pierres de dédicace en Egypte (-300) ou près du mont du Temple de Jérusalem (-100). Les plus anciens bâtiments se situent à Stobi en Macédoine (-350) et sur l’île de Delos en Grèce (-150). Le plus ancien et le mieux préservé est, sans conteste, celui de Doura Europos en Syrie (au départ -200 et édifice final datant de +200).
● On voit éclore de nombreuses synagogues en Egypte et ailleurs, dont la plus splendide est celle d’Alexandrie. Flavius Joseph en signale à Césarée, Nazareth et Kfar Nahum ainsi qu’en Grèce, à Rome, en Egypte et en Afrique du Sud ou à Sardes en Turquie. Les Evangiles en mentionnent l’existence à Damas, Athènes, Antioche de Piside, Iconium, Thessalonique, Berea, Corinthe, Ephèse, Sidon au Liban…
● On a retrouvé en Israël plus d’une douzaine de synagogues antérieures à la destruction du Second Temple (dont Gamla, Massada, vers Modiin en -200, Jéricho construite en -70…).
● Les archéologues en ont découvert plus d’une centaine construites entre les IIIe et VIIe siècles, dont celles de Césarée, Tsippori, Tibériade, Kfar Baram (entre 200 et 300, vers la frontière libanaise) et Kfar Nahoum (entre 300 et 400 vers le lac de Tibériade), ainsi que près de 50 en Galilée et dans le Golan. Certaines estimations indiquent que les 4 millions de juifs en exil disposent d’un millier de synagogues.
Les inscriptions sont écrites en grec ou en araméen et, marginalement, en hébreu (10 %).
Félix Perez est notamment l’auteur de Les origines juives des fêtes chrétiennes (Editions Convergences) et de L’Histoire des Juifs de l’Ecole Polytechnique (Editions Ajeclap).
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