Tout d’abord, le déplacement pourrait avoir un impact majeur sur le dossier
nucléaire iranien. Barack Obama voudra persuader le Premier ministre Binyamin
Netanyahou de ranger l’épée au fourreau et de laisser faire les Etats-Unis pour
empêcher la République islamique d’obtenir la bombe atomique. Mais Netanyahou
ne voudra pas céder le droit d’Israël à agir militairement pour se défendre
d’une menace considérée comme existentielle. Du bon déroulement de ce dialogue
dépend la suite du dossier iranien au cours des prochains mois. Et, plus
généralement, alors que le Proche-Orient traverse une période
d’incommensurables changements, la visite permettra aux deux leaders de
coordonner leurs positions sur un certain nombre de questions stratégiques,
bien au-delà de la bombe iranienne : la guerre civile en Syrie, la reprise des
pourparlers avec les Palestiniens et la nouvelle réalité des gouvernements
islamistes dans toute la région et, en particulier, en Egypte.
La rencontre intervient un à moment où l’alliance israéloaméricaine paraît plus
forte que jamais. Les Etats-Unis ont prépositionné des équipements militaires
d’urgence dans l’Etat hébreu d’une valeur estimée à 1,2 milliard de dollars.
Les deux pays tiennent régulièrement des exercices militaires communs des plus
sophistiqués et coopèrent en matière de défense antimissile. Les Etats-Unis
arment Israël, avec notamment des avions de chasse dernier cri F-35 qui
devraient être prêts pour 2016. L’Etat hébreu a adopté la « Révolution des
affaires militaires » américaine basée sur des armes de précision à longue
portée et les Etats-Unis ont été séduits par les méthodes de lutte
antiterroriste israéliennes. Les deux pays échangent également des
renseignements secrets de la plus haute importance.
Enfin, un grand nombre d’intérêts communs unissent ces alliés de toujours :
empêcher Téhéran de devenir une puissance nucléaire, écarter la Syrie
post-Assad de l’axe iranien, maintenir la stabilité en Jordanie, préserver le
traité de paix égypto-israélien, contribuer à stabiliser la mainmise égyptienne
sur le désert du Sinaï et enfin, et non des moindres, la relance du processus
de paix.
Mais d’énormes différences existent sur les moyens d’y parvenir pour les deux
capitales ; en particulier concernant l’Iran et les Palestiniens. Des
divergences qui ont créé de nombreuses frictions entre les deux administrations
et, à un niveau personnel, entre Obama et Netanyahou. L’un des objectifs de la
visite du président américain est donc de convaincre le peuple israélien de ses
bonnes intentions et de sa fiabilité en matière de menaces existentielles.
Washington attaquera, ou pas ?
Sa première mission sera de persuader Netanyahou
d’attendre patiemment en laissant les Etats-Unis gérer le dossier iranien. Les
Américains croient à l’effet des sanctions économiques et diplomatiques et ne
sortiront de leur manche l’action militaire qu’en dernier recours. Mais l’Etat
hébreu redoute que les Iraniens ne fassent tout pour gagner du temps et arriver
à la fameuse « zone d’immunité » où le programme d’enrichissement sera
tellement avancé qu’il ne pourra plus être stoppé.
Obama rappellera que le but américain ne vise pas à empêcher l’Iran de se doter
d’un programme nucléaire, mais seulement de la bombe atomique, et que la puissance
militaire des Etats-Unis étant supérieure à celle d’Israël, Washington peut se
permettre d’attendre bien plus longtemps que Jérusalem avant de se résoudre à
une offensive. Il redira que son pays s’engage à employer tout « ce qu’il faut
» pour empêcher Téhéran d’arriver à ses fins, y compris l’usage de la force,
mais qu’une action israélienne précipitée pourrait engendrer une guerre
générale inutile et souhaitée par personne.
De son côté, Netanyahou reviendra sur le fait que les Etats-Unis ont déjà échoué
à empêcher la Corée du Nord, le Pakistan et l’Inde de devenir des nations
nucléaires et arguera qu’Israël ne peut prendre le risque de voir son allié
échouer à nouveau, allié qui, lui, peut vivre sous une menace nucléaire tandis
que l’Etat hébreu ne peut se le permettre.
En d’autres termes, Bibi redoute de voir Téhéran entrer dans une phase où une
attaque israélienne n’aurait plus d’effet, ce qui ne laisserait plus à
Jérusalem qu’à se fier à une action militaire américaine. Action qui pourrait
ne jamais arriver.
Comment, alors, Obama pourrait-il persuader le chef du gouvernement israélien
de la capacité américaine à pouvoir mettre le holà aux ambitions iraniennes ?
Une des pistes serait d’impliquer Jérusalem dans la planification militaire.
Telle était d’ailleurs la démarche de certains généraux américains lorsqu’ils
ont fait part de leurs plans aux Israéliens l’année dernière.
Une autre option pourrait être un ultimatum américain aux Iraniens. C’est ce
que voulait dire Netanyahou lors de ses derniers commentaires au mois de
février : « Je crois qu’il revient à la communauté internationale d’intensifier
les sanctions et de dire très clairement que si l’Iran continue son programme,
il y aura également des sanctions militaires », a-t-il déclaré.
Dans cette optique, le Premier ministre aimerait voir les Américains élaborer
une option militaire crédible. Il y accorde une énorme importance. Au mieux,
cela pourrait dissuader les Iraniens. Et au pire, cela permettrait aux
Etats-Unis et à leurs alliés d’agir rapidement en cas de besoin, avant qu’il ne
soit trop tard.
Si Obama parvient à persuader Netanyahou, ce dernier pourrait accepter de faire
profil bas tant que les Etats-Unis lui paraîtront contrôler la situation. Mais
il est hautement improbable que Bibi promette de ne rien faire seul, quelles
que soient les circonstances. « Pour Netanyahou, le premier rôle de l’Etat juif
est de conférer au peuple juif la capacité et le droit de se défendre lui-même.
Je le vois même céder ce droit ou accepter tout “sous-contrat” lorsqu’il s’agit
de réelle menace envers l’Etat d’Israël », confie ainsi l’un de ses proches
collaborateurs.
Les (dés)illusions syriennes
La guerre civile en Syrie pose également un défi
stratégique de taille aux deux pays. Les Etats-Unis et Israël partagent deux
objectifs majeurs : voir la dictature d’Assad remplacée par un régime modéré,
pro-occidental et détaché de l’Iran d’une part et empêcher les armes
biochimiques et autres arsenaux d’atterrir en de mauvaises mains, comme les
djihadistes soutenus par al-Qaïda ou encore le Hezbollah, d’autre part.
Fin janvier, l’armée de l’air israélienne aurait bombardé des convois de
missiles antiaériens à destination du mouvement chiite libanais, à proximité de
la frontière syro-libanaise, dans la zone d’un centre de recherche biologique
et chimique.
D’autres attaques israéliennes de ce type, avec le soutien américain, sont
envisageables à l’avenir. Mais Netanyahou et Obama peuvent-ils réellement
contrer l’influence djihadiste et iranienne tout en promouvant un régime
prooccidental qui romprait avec l’axe mené par Téhéran ? Un tel changement
produirait un véritable renversement de situation dans la région et aurait
d’énormes répercussions.
Selon Amos Yadlin, ancien chef des renseignements militaires et directeur de
l’Institut pour les études de stratégies nationales basé à Tel-Aviv, les
Etats-Unis doivent, coûte que coûte, coopérer avec la Russie afin d’accélérer
la fin du régime Assad et mettre un terme au bain de sang. Et parce que les
enjeux sont si importants, Yadlin préconise que Washington envisage un
marchandage avec Moscou sur d’autres sujets d’intérêts pour les Russes.
L’expert suggère également que les Etats-Unis décident d’une zone d’exclusion
aérienne, en coopération avec l’Otan et la Turquie, tout en bombardant des
infrastructures vitales pour le régime de Damas, depuis la frontière turque,
afin que la guerre prenne fin.
Mais le Premier ministre a des doutes là-dessus. Pour Netanyahou, le régime est
encore loin de s’effondrer.
Et il lui semble plus probable que la guerre civile dure encore de long mois,
avant de faire place à une sévère fragmentation civile et avec des prises de
pouvoir multiples par différents groupes dans tout le pays. Bibi ne fonde pas
davantage d’espoir sur un éventuel régime pro-occidental et anti-iranien. « Nos
options en Syrie sont mauvaises, très mauvaises et pires encore », se plaît-il
à répéter, vu la nature islamiste de l’opposition à Assad.
En clair : l’Etat hébreu n’envisage pas d’intervenir en Syrie sous quelle condition
que ce soit, à l’exception peut-être d’une éventualité où les armes chimiques
tomberaient entre de mauvaises mains. « Nous sommes focalisés sur des arsenaux
spécifiques en Syrie et sur ceux qui les contrôlent », confirme ainsi une
source officielle de l’establishment militaire.
John Kerry, déterminé jusqu’à l’obsession
Obama n’amènera pas un nouveau projet
de paix dans ses bagages. Mais les pourparlers entre Israéliens et Palestiniens
tiendront une place de choix dans son programme. « Nous n’allons pas débarquer
avec un plan, en expliquant à tout le monde ce que chacun doit faire. Je veux
mener des consultations et le président veut écouter », a ainsi assuré le
nouveau secrétaire d’Etat John Kerry au mois de février.
En coulisses, Washington n’en a pas moins ardemment travaillé avec les
négociateurs, israéliens comme palestiniens, pour donner une nouvelle chance au
processus de paix, toujours basé sur la solution à deux Etats. Côté israélien,
c’est le conseiller à la sécurité nationale Yaakov Amidror et l’avocat Itzhak
Molcho, représentant spécial du Premier ministre, qui se sont rendus dans la
capitale américaine pour plusieurs semaines consécutives au mois de février.
Côté palestinien, c’est l’éternel Saeb Erekat, négociateur en chef de
l’Autorité palestinienne qui est venu rencontrer John Kerry à peu près au même
moment.
Selon certains, le secrétaire d’Etat serait « déterminé jusqu’à l’obsession » à
obtenir un tournant majeur dans les négociations israélo-palestiniennes. « Une
si grande partie de ce que nous souhaitons réaliser et de ce que nous devons
accomplir au plan international est en rapport avec le Maghreb, l’Asie du sud,
l’Asie du centre-est, et tout au long du Golfe.
Mais tout cela pourra ou ne pourra pas se faire en fonction de la situation
israélo-palestinienne », a déclaré le diplomate lors de ses audiences de
confirmation à la Commission des relations étrangères au Sénat, au mois de
janvier.
Son équipe prépare d’ores et déjà des propositions destinées aux deux parties
pour la relance des pourparlers. D’ici quelques mois, ces propositions
pourraient accoucher de nouveaux paramètres américains sur les questions de
fond afin de pousser les négociateurs à se mettre d’accord. Dans ce contexte,
la visite d’Obama, qui se rendra à Jérusalem comme à Ramallah, pourrait poser
les jalons d’une plus ample initiative de paix à venir.
Par le passé, la position de Netanyahou a été de reprendre les négociations
sans aucune forme de préconditions. Ce qui a été interprété par les
Palestiniens comme un retour à la case départ, et le largage par-dessus bord
tous les accords et compromis précédemment atteints par les parties au cours
des négociations. Bibi a même refusé d’accepter le principe des frontières de
1967 avec échanges de territoires, basé sur des négociations territoriales
alors que l’ancien Premier ministre Ehoud Olmert et le président de l’Autorité
palestinienne Mahmoud Abbas s’étaient entendus sur ce point.
Les Palestiniens, eux, voulaient reprendre les pourparlers là où Abbas et
Olmert les avaient laissées en 2008 ; Netanyahou voulait recommencer à zéro.
Vers la paix ?
Avec Obama à Jérusalem, le leader sera-t-il prêt à aller plus
loin pour attirer de nouveau les Palestiniens à la table des négociations ? «
Nous sommes prêts à jouer notre rôle pour reprendre les pourparlers », réagit
laconiquement une source diplomatique officielle. Difficile d’en comprendre
davantage, faute de détails, mais la formule semble indiquer une disposition
israélienne à aller de l’avant. Ce qui pourrait mener à nouvelle situation,
basée sur des concessions et de gestes de bonne volonté, soutenus par des
moyens de défense américains et des garanties économiques.
Par exemple, l’Etat hébreu pourrait se montrer prêt à discuter d’un accord
territorial basé sur les frontières de 1967 et des échanges de territoires. En
retour, les Palestiniens pourraient accepter de discuter de la sécurité et des
territoires d’abord, pour laisser les sujets ultrasensibles de Jérusalem et des
réfugiés à plus tard. Israël pourrait également libérer les prisonniers
palestiniens et geler les constructions à l’extérieur des grands blocs
d’implantations.
En échange de quoi, les Palestiniens pourraient se réengager à la non-violence,
éviter toute incitation anti-israélienne et abandonner toute revendication sur
l’Etat juif une fois conclu un accord permanent. Tout cela pourrait s’ébaucher
durant la visite d’Obama, d’autant que Netanyahou paraît plus déterminé cette
fois-ci à parvenir à un accord avec les Palestiniens.
Le Premier ministre semble en effet avoir été influencé par l’impatience
internationale croissante face à la situation dans les territoires
palestiniens, qui dure désormais depuis 45 ans. Netanyahou craint également les
humeurs de l’opinion israélienne pour qui seul un Premier ministre qui
accomplit de grandes choses a des chances de se faire réélire.
Plus important encore, la nouvelle équipe américaine est prête à se donner à
fond pour voir les choses avancer dans le bon sens. Et la nomination de Tzipi
Livni à la tête des négociations avec les Palestiniens est un signal du nouvel
engagement de Bibi. Reste à savoir si ce dernier souhaite vraiment parvenir à
une solution à deux Etats ou simplement maintenir la communauté internationale
à distance.
La rencontre entre Obama et Netanyahou ce mois-ci a peu de chances de déboucher
sur une belle amitié. Les deux hommes ne se supportent tout simplement pas.
Mais il est impératif qu’en ces circonstances historiques, ils mettent leurs
différences personnelles de côté afin de relever les innombrables défis qui les
attendent.