La paix, l’affaire de tous, et de toutes…

Elles ont décidé de confondre les genres. De brandir leur féminité comme étendard d’unité. Une histoire de femmes, la paix ? Et pourquoi pas

La paix, l’affaire de tous, et de toutes… (photo credit: DR)
La paix, l’affaire de tous, et de toutes…
(photo credit: DR)
Quand elle apprend le kidnapping des trois adolescents israéliens, en juin dernier, Marie-Lyne Smadja, docteur en sciences de l’éducation, saisit tout de suite l’ampleur de la situation. « J’ai compris que quelque chose de grave allait se passer dans le pays », déclare cette spécialiste de la compréhension de l’autre, diplômée en intelligence émotionnelle, chercheur à l’université de Tel-Aviv. La mixité, elle connaît. Pour enseigner depuis des années à des étudiants en maîtrise ou des professeurs titulaires qui viennent se spécialiser en techniques d’enseignement, issus de tout le pays, de tous horizons, de toutes confessions.
Elle sent alors la nécessité de créer une initiative citoyenne, différente de tout ce qui peut déjà exister sur le terrain. Son idée : initier une synergie à partir de forces exclusivement féminines. Elle en parle d’abord à quelques oreilles mâles. Contrairement à toute attente, les réactions se font plutôt favorables, « tu as raison, la guéoula (délivrance) viendra peut-être des femmes », ou « on a des doutes, mais si tu réussis, ce sera notre réussite à tous. » « Je n’ai pas rencontré beaucoup d’antis », précise Smadja.
Début août, on la met en contact avec l’avocate Irit Tamir, qui vient tout juste de lancer un mouvement en concordance avec ses propres aspirations : Les femmes œuvrent pour la paix (Nachim ossot shalom). Entre elles deux, l’osmose est parfaite. Elles commencent à travailler sans se rencontrer, animées de cette même envie féroce d’en découdre avec les vieux paradigmes pour en imposer de nouveaux. Michal Barak, la fille du juge Aharon Barak, les rejoint. En deux semaines à peine, plus de 500 femmes adhèrent à leur cause. Des débuts plus que prometteurs, d’une ampleur insoupçonnée, qui renforcent encore la motivation de ces combattantes de l’ombre, bien décidées à éclaircir l’horizon obstrué d’une génération qui ne cache désormais plus son malaise dans un Israël sclérosé.
La paix ? Une nécessité pour Marie-Lyne Smadja, Française d’origine, d’âme tunisienne, arrivée en Israël en 1980. « Je n’ai pas envie d’imaginer que mes enfants et mes petits-enfants continueront longtemps à courir aux abris. C’est pour eux et pour tous les jeunes que je suis prête à me battre aujourd’hui. Pour l’ensemble du Clal (peuple) Israël. »
Quand Tamir tombe malade, c’est tout naturellement qu’elle accepte de reprendre la tête du Mouvement. Même si, précise-t-elle, « nous fonctionnons selon une structure horizontale, sans président, sans comités. Nous avons mis sur pace des équipes de travail, plus d’une dizaine dans différents domaines, avec une femme ou deux qui centralisent chaque équipe. Et le plus important, pour nous, c’est ce qui se passe sur le terrain. Nous avons tous les jours des initiatives de femmes qui proposent des idées. »
Aujourd’hui, le Mouvement compte plusieurs milliers de membres, juives pour la plupart, aux côtés de quelque 10 % de femmes arabes, universitaires ou femmes au foyer, célibataires ou mères de familles nombreuses. Premier signe de reconnaissance officiel : l’invitation par Youval Rabin, le fils de l’ancien Premier ministre, à participer le 1er novembre dernier aux commémorations du 19e anniversaire de l’assassinat d’Itzhak Rabin, sur la place qui porte désormais son nom au cœur de Tel-Aviv. « Cela n’arrive qu’une fois dans une vie », déclare Marie-Lyne Smadja encore émue d’avoir pris la parole sur la tribune, entourée de 20 Femmes qui œuvrent pour la paix, aux couleurs du mouvement.
Car, malgré son jeune âge et sa gestion par des bonnes volontés qui en sont parfois à leur coup d’essai en matière d’actions citoyennes, l’initiative a su se parer des atouts essentiels à une bonne visibilité : logo, tee-shirts, brochures, panneaux. Tout est prêt pour l’opération de lancement officielle, prévue le 25 novembre prochain. « Nous avons déjà tous les outils de communication », précise fièrement Marie-Lyne Smadja, qui se dit persuadée de leurs chances de réussir.
Entretien avec une femme de son temps qui dort désormais 4 heures par nuit et n’a pas hésité à mettre sa carrière universitaire en pause pour un mandat de 4 ans, le temps de se rapprocher le plus possible de la paix, et pourquoi pas, d’y parvenir.
Quelle est la plateforme du Mouvement ?
Nous sommes des femmes de tous bords, de tout Israël, d’opinions différentes, de tout âge, juives et arabes, réunies dans un seul but commun : exercer une forte pression au niveau citoyen pour influencer le gouvernement à trouver une solution respectueuse et en consensus avec toutes les parties qui seront impliquées dans cette décision, Israël et nos partenaires. Ce peut être l’Autorité palestinienne, ou des partenaires régionaux.
Nous ne donnons pas au gouvernement la solution au problème. Mais il y a des choses que nous ne voulons pas, comme des accords bilatéraux, ni de la part des Palestiniens ni de la part d’Israël.
En clair, vous demandez au gouvernement de trouver des solutions pour parvenir à la paix ?
Les solutions existent déjà. Toutes ne sont pas bonnes, mais il y en a certaines qui nous paraissent convenir. La solution de deux peuples pour deux Etats. Ou la solution régionale par exemple.
Mais il faut aussi, et même avant tout, qu’elles conviennent au chef du gouvernement, en l’occurrence, Benjamin Netanyahou ?
Aujourd’hui, deux, trois solutions pourraient correspondre à sa plateforme politique. En tout cas, c’est sûr pour l’une d’entre elles, celle de deux Etats pour deux peuples. Il en a parlé à deux reprises, lors de son discours à Bar-Ilan et à la fin de l’opération Bordure protectrice. Quand on est Premier ministre, on ne peut se permettre de dire publiquement des choses qui ne seront jamais réalisées.
Certains commentateurs pensent pourtant qu’il ne s’agit là que de discours et que dans les faits, Netanyahou n’est pas motivé par une solution pacifique…
C’est vrai, mais je pense que les gens analysent mal pourquoi il est si peu motivé. Je pense que ce qui le retient, ce sont avant tout les voix de l’extrême-droite qui ne représentent pourtant pas la majorité de la population. Netanyahou est un homme très intelligent. Mais il a excessivement peur de perdre son siège.
Et votre Mouvement peut l’aider à vaincre ses peurs ?
Oui. Si Netanyahou voit qu’un mouvement de femmes se lève, pas seulement des femmes de gauche, mais aussi du centre, du Likoud, s’il voit qu’il a un vrai soutien, cela peut l’encourager à aller de l’avant. Ce que nous voulons, c’est renforcer le camp des modérés. Ainsi, toutes les voix extrémistes qui refusent de croire en une solution vont s’affaiblir. Nous allons couvrir ces voix et faire entendre celles des 60 % de la population.
Netanyahou en est à son troisième mandat. Deux solutions s’offrent à lui : faire l’histoire ou maintenir le statu quo actuel. S’il décide de faire l’histoire, il peut se dire qu’il aura la gauche et le centre derrière lui, et que la seule chose qu’il risque, c’est d’essuyer les cris de l’extrême-droite. Sinon, il se satisfait de ce qu’il a déjà accompli, et évite de prendre des risques comme Begin, Sharon, ou Rabin avant lui, mais il ne laissera pas sa marque…
Vous considérez-vous comme un mouvement de gauche ?
Pas du tout. Pourquoi faudrait-il un autre mouvement de gauche ? Il existe déjà des organisations de gauche, deux partis de gauche juifs et deux partis arabes qui font leur travail. Ce n’est pas notre but que de créer un autre mouvement de gauche qui s’amuserait à diviser les femmes et les hommes. Je m’oppose catégoriquement à toute idée de division.
Notre logique est de créer un mouvement de femmes, basé sur une solide analyse de la situation et notre but, c’est vraiment de réunir des femmes de tous horizons et d’opinions politiques différentes.
Comment convaincre les femmes du Likoud ?
Elles ont vraiment intérêt à être dans ce Mouvement, vraiment. Car aujourd’hui c’est Netanyahou qui dirige le gouvernement, et le seul capable de parvenir à des accords politiques. Il faut lui montrer notre confiance. Pour moi qui vote à gauche, je considère que cette année, il est le mieux placé pour nous sortir de l’impasse. Il est censé représenter la majorité des Israéliens, et la majorité des Israéliens se déclare pour des accords politiques avec les Palestiniens. Mieux que cela, tous les sondages montrent que 70 % des Israéliens sont prêts à soutenir Bibi.
Actuellement, le pays est paralysé. Israël ne peut rien faire sur les plans social, économique, culturel, tant que le conflit ne sera pas résolu. Si Netanyahou s’y attelle, tout le crédit sera pour lui. Aujourd’hui, qui se rappelle du Mouvement des 4 mères qui a conduit au retrait du Liban ? Tout le crédit a été pour Ehoud Barak, et pourtant, leur action a été très importante.
Ce mouvement, c’est votre modèle ?
Pas vraiment. Elles ont fait des choses extras, nous avons beaucoup appris d’elles car elles ont été un levier important. Mais tout d’abord, nous ne sommes pas des mères. Il y a beaucoup de célibataires et de jeunes dans notre mouvement qui sont particulièrement impliquées, très concernées. Elles estiment qu’il est difficile de vivre en Israël, en particulier sur le plan économique. Elles ne voient plus leur avenir. Et elles pensent qu’avec des accords politiques, on pourra enfin créer un vrai plan économique qui permettra de sortir la tête de l’eau, d’étudier et de trouver un travail.
Ensuite, nous sommes contre une décision unilatérale et c’est ce qui s’est passé lors du retrait du Liban.
Enfin, la situation du Liban ne peut pas se comparer au conflit avec les Palestiniens, autrement plus complexe.
D’autres mouvements de femmes vous inspirent ?
Oui, le parti politique des femmes, en Irlande du Nord. Il y avait un conflit presque similaire au nôtre, un grave conflit de religion émaillé d’années de guerre et d’attentats. Des femmes ont alors décidé de créer un parti politique. Elles ont influencé les politiciens bien sûr, mais, un peu comme nous, elles ont fait un gros travail de terrain, elles sont parties de maison en maison, pendant le référendum, pour expliquer pourquoi il fallait parvenir à la résolution de ce conflit. Elles se sont déplacées dans des villages très reculés, et c’est en partie grâce à elle si le conflit a été résolu.
Pour résoudre un conflit, il faut des éléments des deux camps. Quelle est la place des femmes arabes au sein de votre mouvement ?
Elles sont de plus en plus nombreuses à nous rejoindre. Elles restent minoritaires en proportion, un peu plus de 10 %, soit moins que la répartition de la population totale qui est de 80 %/20%, mais leurs rôles sont déterminants, nombre d’entre elles sont des chefs d’équipe.
Quels sont vos rapports avec la classe politique ?
Nous avons appris du mouvement des tentes. Leur révolte était née d’un vrai besoin de la population israélienne qui disait ne plus pouvoir continuer économiquement. Et ils ont réussi à faire sortir un million d’Israéliens dans la rue. Un tour de force, car l’Israélien est tellement dans la survie, il occupe parfois plusieurs emplois, qu’il n’a pas le temps de se révolter, il est « abruti » par la vie et désespéré. On enregistre d’ailleurs une perte vertigineuse d’espoir dans le pays depuis 20 ans. Mais le mouvement a commis une erreur fondamentale. Ses leaders ont fui tous les politiciens comme la peste, se sont voulus apolitiques. Conclusion : une seule loi est passée suite à leur mouvement, qui concerne l’enseignement gratuit à partir de 3 ans. Malheureusement, par manque de budget, elle est très mal appliquée.
Actuellement, 70 parlementaires se prononcent pour des accords politiques ou régionaux. Et un lobby de 40 membres a signé une pétition en faveur d’accords. Notre message est clair : pas un jour ne doit se passer sans que les députés mettent la résolution du conflit à leur agenda.
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