Il était une fois en Israël

La police israélienne connaît un succès limité dans la lutte contre la vague de crimes mafieux. Une frêle lueur d’espoir semble poindre cependant.

Natanya (photo credit: MUNICIPALITÉ DE NATANYA)
Natanya
(photo credit: MUNICIPALITÉ DE NATANYA)
Paul Alster
En fin de soirée du 23 mars 2014, dans la zone industrielle de la ville portuaire d’Ashdod, 40 kilomètres au sud de Tel-Aviv, une voiture file lentement à côté d’un homme de 25 ans. Cinq coups de feu retentissent. L’homme s’effondre. La voiture s’éloigne en accélérant. Les ambulanciers du Magen David Adom arrivent rapidement sur les lieux. Trop tard. La victime est déclarée morte sur place. Des barrages de police sont immédiatement mis en place, mais les tireurs réussissent à passer à travers les mailles du filet.
Le crime est clairement établi : une source de police observe, sur la scène du meurtre, que le défunt était « connu des services de police ». L’expression désormais familière signifie inévitablement qu’il était lié à une organisation criminelle.
La mafia a encore frappé. Cela vient s’ajouter à la longue liste de fusillades, attentats à la voiture piégée, et morts de toutes sortes de causes non naturelles.
La violence est le reflet des guerres intestines entre les principales organisations criminelles qui ont fleuri ces vingt dernières années. Racket, drogues illicites, traite d’êtres humains, jeu illégal, blanchiment d’argent, prêt usuraire, et réseaux de prostitution sont leur pain quotidien.
Le jour même de l’assassinat d’Ashdod, le corps de Meir Levi, 60 ans, de Bat Yam, est découvert à proximité d’une station d’essence, dans le district voisin de Holon, au sud de Tel-Aviv. Levi était porté disparu depuis une semaine, sa voiture abandonnée avait été retrouvée non loin de là, à Yaffo. Il aurait eu sur lui plusieurs centaines de milliers de shekels en espèces, monnaie courante pour quelqu’un supposé s’enrichir des prêts usuraires. Selon le Jerusalem Post, la police locale considérerait sa disparition comme liée à ses activités illicites.
Dix jours plus tôt, dans la ville côtière de Natanya, à 30 kilomètres au nord de Tel-Aviv, Eyal Sofer, 43 ans, met sa camionnette an marche. Le véhicule explose aussitôt, blessant grièvement l’homme qui a déjà survécu à un certain nombre de précédentes tentatives d’assassinat. Sofer est également « connu » depuis longtemps « des services de police ». Il a été arrêté en 2010, soupçonné de tentative de meurtre sur le patron d’une famille de la pègre rivale, Charlie Aboutboul. Ce dernier aurait lui aussi tenté, quelques mois plus tôt, d’assassiner Sofer (généralement considéré comme « affilié » à la famille arabe du crime israélien, Karinja).
L’attentat à la voiture piégée de Natanya est au moins le 12e du genre dans le pays ces six derniers mois. Aboutboul est décédé récemment à son domicile de Natanya, apparemment de blessures par balles causées par sa propre négligence.
Les médias ne savent pas tout
« A entendre le chef de la police, on dirait qu’il y a un énorme éléphant dans la pièce et que vous êtes incapable de le voir », signifiait le député du Likoud Moshé Feiglin au commandant de la police israélienne Yohanan Danino, le 2 mars dernier.
Appelé à témoigner devant la commission de l’Intérieur et de l’Environnement à la Knesset, le représentant de la loi, sur la sellette, tente de convaincre les députés que les crimes sérieux en Israël sont en déclin. Selon lui, les médias donnent régulièrement une fausse image de la police.
« On a vraiment l’impression d’une perte de contrôle dans la lutte contre la criminalité », estime le député travailliste Nahman Shaï, poursuivant le contre-interrogatoire de Danino. « Un sentiment de gêne extrême quant au comportement de la police ». Shaï fait allusion à la démission du général Menashe Arviv, le 9 février dernier. Ce dernier a quitté son poste à la tête de l’unité anti-corruption Lahav 433, suite aux allégations du Rav Yoshiyahou Pinto, Rosh Yeshiva de New York, impliqué dans une enquête pour corruption.
Pinto affirme avoir donné de l’argent à Arviv lorsque l’officier de police était attaché à l’ambassade d’Israël à Washington. Arviv rejette avec véhémence ces accusations et, à ce jour, aucune charge n’a été retenue contre lui. Soumis au détecteur de mensonges avant sa démission, le test indique qu’il dit la vérité. Mais pour Arviv, la décision du procureur général Yéhouda Weinstein d’enquêter sur les allégations de Pinto est apparemment la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
« L’unité Lahav est complètement opérationnelle en dépit de la démission de son chef », affirme le porte-parole de la police, l’inspecteur en chef Micky Rosenfeld. « Peu importe qui est à sa tête. Elle compte des centaines d’officiers de cinq ministères différents. »
« La police n’est pas efficace »
Rosenfeld est catégorique. Selon lui, les policiers ont marqué des points importants, ces dernières années, dans la lutte contre les organisations criminelles. Même si la couverture médiatique laisse parfois penser le contraire. « Les médias et l’opinion publique ne sont pas toujours au courant de ce qui se passe, et c’est normal. C’est la même chose pour l’armée israélienne qui mène des opérations dans certains domaines que l’on ne peut pas divulguer. Des opérations policières sont en cours et des arrestations ont lieu constamment. En 2010-2011, plus de 500 membres de l’armée du crime ont été arrêtés et mis sous les verrous. La plupart d’entre eux (les « soldats » pourrait-on dire) ne sont que des intermédiaires, qui vendent des armes et de la drogue. »
Le crime organisé ronge toutes les sociétés à un degré ou à un autre. Comme bon nombre de leurs homologues à travers le monde, les forces de l’ordre en Israël ont parfois du mal à endiguer le flot.
« Je pense que l’action de la police dans ce domaine n’est pas efficace », estime Simon Perry, professeur à l’Institut de Jérusalem de criminologie de l’Université hébraïque et codirecteur du programme de maintien de l’ordre et de la sécurité intérieure. « La vérité est qu’elle est excellente dans la lutte contre le terrorisme, mais face à des organisations criminelles, de nombreux faits ont été négligés et c’est ce qui nous amène à la situation actuelle… Je pense cependant que le taux de criminalité en Israël reste bien en dessous de celui de la plupart des villes aux Etats-Unis. »
Légaliser le jeu ?
Pour le Dr Perry, un cas notoire, qui remonte à 2002-2003, a été le catalyseur de l’augmentation de l’activité du crime organisé en Israël. « Etti Alon, qui travaille à la Trade Bank, vole alors 250 millions de shekels pour payer les dettes de jeu de son frère et de son père à la mafia. Cet argent n’a jamais été retrouvé. C’était une source de blanchiment d’argent et la police ne s’en est pas occupée. Leur attention s’est juste concentrée sur la femme auteur du vol. » Alon a été condamnée à 17 ans de prison pour le détournement de cette somme colossale.
Quand le scandale a éclaté, la Trade Bank a dû cesser ses activités. Mais les criminels ont trouvé une nouvelle source pour légaliser leurs fonds, à travers un site web appelé Donbet. En 2012, celui-ci est la cible d’une opération de police très réussie, au cours de laquelle 44 personnes connectées avec le blanchiment d’argent par le biais du site sont arrêtées, dont 14 seront plus tard inculpées. Donbet aurait fait circuler plus d’un milliard de dollars pendant les deux seules années précédentes.
Il ne fait aucun doute que les opérations de jeu illégales constituent l’un des principaux flux de revenus pour les syndicats du crime. Aussi la question se pose-t-elle de savoir s’il serait pertinent de légaliser le jeu et de le faire passer sous les auspices de l’Etat avec impôts à la source (comme dans de nombreux pays développés dans le monde) au lieu de le laisser gonfler les poches de la mafia ?
« Je serais en faveur du contrôle des jeux par l’Etat », explique Perry, lui-même brigadier-général à la retraite de la police israélienne, où il a servi pendant 30 ans dans le renseignement. « Le jeu illégal fournit un terrrain propice pour le crime, comme dans le cas de la Trade Bank. Il semble que les disputes autour de cette énorme somme d’agent allouée aux organisations criminelles soient à l’origine de la série de meurtres. Vous vous souvenez peut-être du premier acte terroriste criminel, rue Yéhouda Halevi à Tel-Aviv en décembre 2003. Une organisation criminelle tente alors d’éliminer le chef d’une bande rivale, Zeev Rosenstein. Ils manquent leur coup, mais tuent au passage trois passants innocents et font de nombreux blessés. C’était uniquement une affaire d’argent. »
Un trafic d’armes très lucratif
Il est clair, depuis la récente vague d’attentats à la bombe et de fusillades, qu’il y a prolifération d’armes aux mains de la pègre, en provenance notamment des stocks de Tsahal, volées dans les arsenaux de l’armée israélienne et vendues au marché noir.
Dans un rapport de la police militaire, en 2013, il est fait mention de 11 incidents confirmés de cambriolages dans des bases et armureries militaires. 26 autres incidents sont reportés, impliquant le vol d’armes à partir d’unités de Tsahal.
La tendance croissante de vols d’armes de l’armée (une arme qui coûte environ 2 000 dollars peut maintenant se vendre à plus de 10 000 dollars au marché noir) coïncide avec la fermeture de la frontière israélo-égyptienne, qui, selon la police militaire, a enrayé l’introduction d’armes illégales en Israël.
La tentation, pour les soldats rebelles, de voler des armes militaires contre de fortes récompenses s’est donc accrue d’autant. Ce qui a entraîné la recrudescence du détournement d’armement de Tsahal vers les syndicats du crime.
Si ces vols restent une source de préoccupation, les chiffres de 2013 indiquent cependant une baisse de ces incidents par rapport à l’année précédente, signe sans doute d’une vigilance accrue.
« Au cours des six derniers mois, on a vu augmenter les attentats à l’explosif », remarque Rosenfeld. « Un certain nombre d’explosions se sont produites à Ashkelon, Ashdod et ailleurs, suffisamment graves pour effrayer les civils innocents. De nombreux passants ont été blessés. Contrairement au passé, les organisations criminelles ont réussi à faire main basse sur des engins explosifs avec une relative facilité. »
« Maintenant, je peux dire que nous contrôlons mieux la situation », poursuit Rosenfeld. « Les opérations de police se sont intensifiées dans la lutte contre le crime organisé. Il faut savoir que de nombreuses opérations sont menées… dans des endroits comme Ashdod, Ashkelon et Petah Tikva, par exemple, dont on ne parle pas, accompagnées de nombreuses arrestations. On ne peut pas le mettre sur la place publique ou révéler d’où l’on tient ces renseignements parce que le but est de remonter plus haut. »
Les Parrains commencent à tomber
S’exprimant à Eilat le 27 mai dernier, le procureur général Weinstein a annoncé son intention de déployer « les autorités civiles et administratives gouvernementales et d’appliquer le droit pénal dans la lutte contre le crime organisé ».
Pour Weinstein, si par le passé les efforts de plusieurs divisions gouvernementales contre l’infrastructure criminelle ont été couronnés de succès, cela provient essentiellement de la bonne volonté de responsables locaux à titre individuel. En revanche, il entend maintenant faire jouer son autorité afin d’exiger « la coopération des pouvoirs locaux, dans le respect de critères concrets pour juguler la criminalité ».
Comme pour les grandes figures de la mafia américaine passées et présentes, mettre un crime directement sur le dos des grands patrons de la pègre est une tâche difficile. Micky Rosenfeld, porte-parole de la police, y fait allusion lorsqu’il affirme que la plupart des personnes emprisonnées sont de simples « intermédiaires ». Condamner les principaux chefs de gang, représentés par des avocats très puissants, tient de la gageure car les témoins clés craignent pour leur vie et refusent de témoigner.
Une dizaine de villes à travers le pays se débattent contre l’influence maléfique de familles de la mafia. Jusqu’à présent, les pouvoirs en place semblent avoir eu un impact limité sur les familles extrêmement riches du milieu, dont l’influence s’étend souvent au-delà des côtes d’Israël, en Europe et aux Etats-Unis, où un certain nombre de chefs de la mafia israélienne tristement célèbres comme Itzhak Abergel, Ilan Zarger, et Zeev Rosenstein, ont purgé des peines de prison pour diverses infractions de grande envergure.
Cependant, le 17 mars, Eitan Haya, ancien patron du Gang de New York, puissant importateur américain d’héroïne et de cocaïne, est arrêté en Israël sur des accusations d’extorsion de fonds liées à une figure majeure dans la hiérarchie du football local. Avi Ruhan, patron supposé d’une importante famille du crime, soupçonné d’être impliqué dans un certain nombre de meurtres violents attribués à la mafia dans la région, depuis un certain nombre d’années, est arrêté moins de deux semaines plus tard.
L’optimisme prudent affiché par les officiers de police judiciaire, qui semblent enfin s’attaquer à la situation, est porteur d’espoir. Ce fléau de la société pourrait finalement se trouver confronté à un véritable défi de la part des autorités, malgré le scepticisme de nombreux observateurs qui n’y voient qu’une frêle lueur vacillante. uPaul Alster
En fin de soirée du 23 mars 2014, dans la zone industrielle de la ville portuaire d’Ashdod, 40 kilomètres au sud de Tel-Aviv, une voiture file lentement à côté d’un homme de 25 ans. Cinq coups de feu retentissent. L’homme s’effondre. La voiture s’éloigne en accélérant. Les ambulanciers du Magen David Adom arrivent rapidement sur les lieux. Trop tard. La victime est déclarée morte sur place. Des barrages de police sont immédiatement mis en place, mais les tireurs réussissent à passer à travers les mailles du filet.
Le crime est clairement établi : une source de police observe, sur la scène du meurtre, que le défunt était « connu des services de police ». L’expression désormais familière signifie inévitablement qu’il était lié à une organisation criminelle.
La mafia a encore frappé. Cela vient s’ajouter à la longue liste de fusillades, attentats à la voiture piégée, et morts de toutes sortes de causes non naturelles.
La violence est le reflet des guerres intestines entre les principales organisations criminelles qui ont fleuri ces vingt dernières années. Racket, drogues illicites, traite d’êtres humains, jeu illégal, blanchiment d’argent, prêt usuraire, et réseaux de prostitution sont leur pain quotidien.
Le jour même de l’assassinat d’Ashdod, le corps de Meir Levi, 60 ans, de Bat Yam, est découvert à proximité d’une station d’essence, dans le district voisin de Holon, au sud de Tel-Aviv. Levi était porté disparu depuis une semaine, sa voiture abandonnée avait été retrouvée non loin de là, à Yaffo. Il aurait eu sur lui plusieurs centaines de milliers de shekels en espèces, monnaie courante pour quelqu’un supposé s’enrichir des prêts usuraires. Selon le Jerusalem Post, la police locale considérerait sa disparition comme liée à ses activités illicites.
Dix jours plus tôt, dans la ville côtière de Natanya, à 30 kilomètres au nord de Tel-Aviv, Eyal Sofer, 43 ans, met sa camionnette an marche. Le véhicule explose aussitôt, blessant grièvement l’homme qui a déjà survécu à un certain nombre de précédentes tentatives d’assassinat. Sofer est également « connu » depuis longtemps « des services de police ». Il a été arrêté en 2010, soupçonné de tentative de meurtre sur le patron d’une famille de la pègre rivale, Charlie Aboutboul. Ce dernier aurait lui aussi tenté, quelques mois plus tôt, d’assassiner Sofer (généralement considéré comme « affilié » à la famille arabe du crime israélien, Karinja).
L’attentat à la voiture piégée de Natanya est au moins le 12e du genre dans le pays ces six derniers mois. Aboutboul est décédé récemment à son domicile de Natanya, apparemment de blessures par balles causées par sa propre négligence.
Les médias ne savent pas tout
« A entendre le chef de la police, on dirait qu’il y a un énorme éléphant dans la pièce et que vous êtes incapable de le voir », signifiait le député du Likoud Moshé Feiglin au commandant de la police israélienne Yohanan Danino, le 2 mars dernier.
Appelé à témoigner devant la commission de l’Intérieur et de l’Environnement à la Knesset, le représentant de la loi, sur la sellette, tente de convaincre les députés que les crimes sérieux en Israël sont en déclin. Selon lui, les médias donnent régulièrement une fausse image de la police.
« On a vraiment l’impression d’une perte de contrôle dans la lutte contre la criminalité », estime le député travailliste Nahman Shaï, poursuivant le contre-interrogatoire de Danino. « Un sentiment de gêne extrême quant au comportement de la police ». Shaï fait allusion à la démission du général Menashe Arviv, le 9 février dernier. Ce dernier a quitté son poste à la tête de l’unité anti-corruption Lahav 433, suite aux allégations du Rav Yoshiyahou Pinto, Rosh Yeshiva de New York, impliqué dans une enquête pour corruption.
Pinto affirme avoir donné de l’argent à Arviv lorsque l’officier de police était attaché à l’ambassade d’Israël à Washington. Arviv rejette avec véhémence ces accusations et, à ce jour, aucune charge n’a été retenue contre lui. Soumis au détecteur de mensonges avant sa démission, le test indique qu’il dit la vérité. Mais pour Arviv, la décision du procureur général Yéhouda Weinstein d’enquêter sur les allégations de Pinto est apparemment la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
« L’unité Lahav est complètement opérationnelle en dépit de la démission de son chef », affirme le porte-parole de la police, l’inspecteur en chef Micky Rosenfeld. « Peu importe qui est à sa tête. Elle compte des centaines d’officiers de cinq ministères différents. »
« La police n’est pas efficace »
Rosenfeld est catégorique. Selon lui, les policiers ont marqué des points importants, ces dernières années, dans la lutte contre les organisations criminelles. Même si la couverture médiatique laisse parfois penser le contraire. « Les médias et l’opinion publique ne sont pas toujours au courant de ce qui se passe, et c’est normal. C’est la même chose pour l’armée israélienne qui mène des opérations dans certains domaines que l’on ne peut pas divulguer. Des opérations policières sont en cours et des arrestations ont lieu constamment. En 2010-2011, plus de 500 membres de l’armée du crime ont été arrêtés et mis sous les verrous. La plupart d’entre eux (les « soldats » pourrait-on dire) ne sont que des intermédiaires, qui vendent des armes et de la drogue. »
Le crime organisé ronge toutes les sociétés à un degré ou à un autre. Comme bon nombre de leurs homologues à travers le monde, les forces de l’ordre en Israël ont parfois du mal à endiguer le flot.
« Je pense que l’action de la police dans ce domaine n’est pas efficace », estime Simon Perry, professeur à l’Institut de Jérusalem de criminologie de l’Université hébraïque et codirecteur du programme de maintien de l’ordre et de la sécurité intérieure. « La vérité est qu’elle est excellente dans la lutte contre le terrorisme, mais face à des organisations criminelles, de nombreux faits ont été négligés et c’est ce qui nous amène à la situation actuelle… Je pense cependant que le taux de criminalité en Israël reste bien en dessous de celui de la plupart des villes aux Etats-Unis. »
Légaliser le jeu ?
Pour le Dr Perry, un cas notoire, qui remonte à 2002-2003, a été le catalyseur de l’augmentation de l’activité du crime organisé en Israël. « Etti Alon, qui travaille à la Trade Bank, vole alors 250 millions de shekels pour payer les dettes de jeu de son frère et de son père à la mafia. Cet argent n’a jamais été retrouvé. C’était une source de blanchiment d’argent et la police ne s’en est pas occupée. Leur attention s’est juste concentrée sur la femme auteur du vol. » Alon a été condamnée à 17 ans de prison pour le détournement de cette somme colossale.
Quand le scandale a éclaté, la Trade Bank a dû cesser ses activités. Mais les criminels ont trouvé une nouvelle source pour légaliser leurs fonds, à travers un site web appelé Donbet. En 2012, celui-ci est la cible d’une opération de police très réussie, au cours de laquelle 44 personnes connectées avec le blanchiment d’argent par le biais du site sont arrêtées, dont 14 seront plus tard inculpées. Donbet aurait fait circuler plus d’un milliard de dollars pendant les deux seules années précédentes.
Il ne fait aucun doute que les opérations de jeu illégales constituent l’un des principaux flux de revenus pour les syndicats du crime. Aussi la question se pose-t-elle de savoir s’il serait pertinent de légaliser le jeu et de le faire passer sous les auspices de l’Etat avec impôts à la source (comme dans de nombreux pays développés dans le monde) au lieu de le laisser gonfler les poches de la mafia ?
« Je serais en faveur du contrôle des jeux par l’Etat », explique Perry, lui-même brigadier-général à la retraite de la police israélienne, où il a servi pendant 30 ans dans le renseignement. « Le jeu illégal fournit un terrrain propice pour le crime, comme dans le cas de la Trade Bank. Il semble que les disputes autour de cette énorme somme d’agent allouée aux organisations criminelles soient à l’origine de la série de meurtres. Vous vous souvenez peut-être du premier acte terroriste criminel, rue Yéhouda Halevi à Tel-Aviv en décembre 2003. Une organisation criminelle tente alors d’éliminer le chef d’une bande rivale, Zeev Rosenstein. Ils manquent leur coup, mais tuent au passage trois passants innocents et font de nombreux blessés. C’était uniquement une affaire d’argent. »
Un trafic d’armes très lucratif
Il est clair, depuis la récente vague d’attentats à la bombe et de fusillades, qu’il y a prolifération d’armes aux mains de la pègre, en provenance notamment des stocks de Tsahal, volées dans les arsenaux de l’armée israélienne et vendues au marché noir.
Dans un rapport de la police militaire, en 2013, il est fait mention de 11 incidents confirmés de cambriolages dans des bases et armureries militaires. 26 autres incidents sont reportés, impliquant le vol d’armes à partir d’unités de Tsahal.
La tendance croissante de vols d’armes de l’armée (une arme qui coûte environ 2 000 dollars peut maintenant se vendre à plus de 10 000 dollars au marché noir) coïncide avec la fermeture de la frontière israélo-égyptienne, qui, selon la police militaire, a enrayé l’introduction d’armes illégales en Israël.
La tentation, pour les soldats rebelles, de voler des armes militaires contre de fortes récompenses s’est donc accrue d’autant. Ce qui a entraîné la recrudescence du détournement d’armement de Tsahal vers les syndicats du crime.
Si ces vols restent une source de préoccupation, les chiffres de 2013 indiquent cependant une baisse de ces incidents par rapport à l’année précédente, signe sans doute d’une vigilance accrue.
« Au cours des six derniers mois, on a vu augmenter les attentats à l’explosif », remarque Rosenfeld. « Un certain nombre d’explosions se sont produites à Ashkelon, Ashdod et ailleurs, suffisamment graves pour effrayer les civils innocents. De nombreux passants ont été blessés. Contrairement au passé, les organisations criminelles ont réussi à faire main basse sur des engins explosifs avec une relative facilité. »
« Maintenant, je peux dire que nous contrôlons mieux la situation », poursuit Rosenfeld. « Les opérations de police se sont intensifiées dans la lutte contre le crime organisé. Il faut savoir que de nombreuses opérations sont menées… dans des endroits comme Ashdod, Ashkelon et Petah Tikva, par exemple, dont on ne parle pas, accompagnées de nombreuses arrestations. On ne peut pas le mettre sur la place publique ou révéler d’où l’on tient ces renseignements parce que le but est de remonter plus haut. »
Les Parrains commencent à tomber
S’exprimant à Eilat le 27 mai dernier, le procureur général Weinstein a annoncé son intention de déployer « les autorités civiles et administratives gouvernementales et d’appliquer le droit pénal dans la lutte contre le crime organisé ».
Pour Weinstein, si par le passé les efforts de plusieurs divisions gouvernementales contre l’infrastructure criminelle ont été couronnés de succès, cela provient essentiellement de la bonne volonté de responsables locaux à titre individuel. En revanche, il entend maintenant faire jouer son autorité afin d’exiger « la coopération des pouvoirs locaux, dans le respect de critères concrets pour juguler la criminalité ».
Comme pour les grandes figures de la mafia américaine passées et présentes, mettre un crime directement sur le dos des grands patrons de la pègre est une tâche difficile. Micky Rosenfeld, porte-parole de la police, y fait allusion lorsqu’il affirme que la plupart des personnes emprisonnées sont de simples « intermédiaires ». Condamner les principaux chefs de gang, représentés par des avocats très puissants, tient de la gageure car les témoins clés craignent pour leur vie et refusent de témoigner.
Une dizaine de villes à travers le pays se débattent contre l’influence maléfique de familles de la mafia. Jusqu’à présent, les pouvoirs en place semblent avoir eu un impact limité sur les familles extrêmement riches du milieu, dont l’influence s’étend souvent au-delà des côtes d’Israël, en Europe et aux Etats-Unis, où un certain nombre de chefs de la mafia israélienne tristement célèbres comme Itzhak Abergel, Ilan Zarger, et Zeev Rosenstein, ont purgé des peines de prison pour diverses infractions de grande envergure.
Cependant, le 17 mars, Eitan Haya, ancien patron du Gang de New York, puissant importateur américain d’héroïne et de cocaïne, est arrêté en Israël sur des accusations d’extorsion de fonds liées à une figure majeure dans la hiérarchie du football local. Avi Ruhan, patron supposé d’une importante famille du crime, soupçonné d’être impliqué dans un certain nombre de meurtres violents attribués à la mafia dans la région, depuis un certain nombre d’années, est arrêté moins de deux semaines plus tard.
L’optimisme prudent affiché par les officiers de police judiciaire, qui semblent enfin s’attaquer à la situation, est porteur d’espoir. Ce fléau de la société pourrait finalement se trouver confronté à un véritable défi de la part des autorités, malgré le scepticisme de nombreux observateurs qui n’y voient qu’une frêle lueur vacillante.
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