La droite israélienne et sa solution à un Etat

Des alternatives au paradigme de deux Etats pour deux peuples font des émules.

P11 JFR 370 (photo credit: Reuters)
P11 JFR 370
(photo credit: Reuters)

Maintenant que John Kerry a annoncé victorieusement la reprisedes négociations israélo-palestiniennes, l’aile droite du Likoud revient enforce avec sa proposition originale d’un seul Etat, comme pour contredireShimon Peres qui affirme qu’il n’y a pas d’alternative à une solution à deuxEtats pour deux peuples et que toute autre proposition serait un non-sens etdéclare : « Il est impossible d’avoir la paix dans un pays avec des individusaussi dissemblables. Cela ne servirait qu’à perpétuer le conflit, pas àconstruire la paix. » 

Le fait que Peres se soit senti contraint de faire cettedéclaration prouve à quel point les arguments de l’aile droite en faveur d’unseul Etat ont le vent en poupe et gagnent du terrain. Et plus Kerry va marquerdes points en faveur de la solution à deux Etats, et plus l’aile droite vaintensifier la promotion de sa proposition en vue de lui faire obstacle, prêteà investir le vide laissé par un possible nouvel échec des négociations, àl’exploiter en sa faveur. Et ce, surtout si les jeunes faucons du Likoudcontinuent leur ascension au sein du parti et pour le cas où le Likouddemeurerait le parti majoritaire au pouvoir.

Cette puissante combinaison d’une idéologie radicale repose sur l’idéemaîtresse que les Palestiniens vont très certainement résister à toute avancéevers la paix.
Cette fameuse alternative émane de la droite de la droite et prône un seulEtat. Elle propose ainsi d’annexer la Judée-Samarie à l’Etat d’Israël etd’octroyer aux Palestiniens une pleine citoyenneté israélienne, y compris ledroit de vote pour élire les députés à la Knesset.
Suggérée il y a cinq ans par le journaliste Ouri Elitzour (chef du cabinet deBinyamin Netanyahou à la fin des années 1990), elle est aujourd’hui largementsoutenue par la ministre des Transports Tzipi Hotovely qui en fait unepromotion active. Et l’idée gagne du terrain auprès des ministres du Likoud etparmi ses électeurs, avec une influence qui va croissant, au-delà même duparti.
Pour les ténors de la droite, les avantages sont évidents : Israël garderaitles implantations érigées sur les sites bibliques, assurerait la sécurité detoute la Judée-Samarie et tout cela sous une bannière démocratique afin derecueillir les suffrages de la communauté internationale qui n’aurait plus qu’àapplaudir.
La batailledémographique

D’un point de vue démographique, ce plan B a gagné en faisabilité depuisdeux événements majeurs : le retrait unilatéral de Gaza d’une part, qui a exclu1,5 million de Palestiniens de cette équation, et un recensement de lapopulation palestinienne, mené par le groupe de recherche américano-israéliende démographie, un organisme qui penche à droite et a revu les taux decroissance de la population arabe à la baisse, en comptabilisant 1 million dePalestiniens de moins qu’initialement prévu. Autrement dit, des statistiquesqui semblent teintées d’opportunisme politique.

Pour Hotovely, cela signifie qu’une fois la Judée-Samarie annexée, les Juifsseraient majoritaires à raison de 7 pour 3 Palestiniens, et qu’il n’y a aucunrisque pour la communauté juive d’être dépassée par la natalité des Arabespalestiniens.
Mais selon la Haute Administration des territoires de Judée-Samarie et lebureau central des statistiques, le ratio est plus près des 6 pour 4. Et siGaza était inclus dans cette partition, ce qui serait probablement le cas à lademande même des Palestiniens, une parité virtuelle serait acquise d’emblée.
Ces conclusions sont confirmées par des experts notoires comme Sergio DellaPergola de l’Université hébraïque et Arnon Sofer de l’Université de Haïfa, quine relèvent pas moins de 21 affirmations erronées dans le rapport de lacommission américano-israélienne.
Une démocratie àdeux vitesses
Mis à part ces considérations démographiques, cette solution soulève aussides questions sur le plan démocratique. Par exemple Hotovely voudrait que lalégislation entérine le statut juif de l’Etat, alors même que la majorité juiveau sein de l’Etat ne serait pas assurée. Israël assurerait la sécurité dans lesvilles à majorité palestiniennes et superviserait les cursus éducatifs desPalestiniens.
Autre point qui fait débat : la nationalité israélienne ne serait pasautomatiquement accordée à tous les Palestiniens. Selon les différentesversions de cette approche, il y aurait un processus de 5 ans avant qu’ilspuissent bénéficier de la nationalité, assorti d’une étude de la languehébraïque, de la culture israélienne, après quoi les postulants devraient jurerloyauté et fidélité à l’Etat. Une procédure qui ressemble en tout point à celleen vigueur aux Etats-Unis et s’applique aux postulants à la naturalisation,mais les candidats à l’immigration aux USA le sont de leur plein gré, alors queles Palestiniens nés dans les territoires disputés ne voudront peut-être pasfaire partie du Grand Israël.
Certains défenseurs de ce plan – ceux qui semblent moins sûrs des statistiques— prévoiraient aussi quelques restrictions au droit de vote des Palestinienspour élire les membres de la Knesset. Le ministre du Logement, Ouri Ariel, duparti HaBayit HaYehoudi, suggère ainsi une transition qui irait de la proportionnelleà une représentativité directe pour les élections municipales d’abord,suggérant un charcutage savant des circonscriptions, afin d’assurer unemajorité juive écrasante. Par exemple en incorporant des régions à fortemajorité palestiniennes avec des zones à majorité juive, c’est-à-dire enfaisant fusionner Djénine avec Afoula, Naplouse avec la plaine côtière du GoushDan, Ramallah avec la Jérusalem unifiée etc.
Une solution àproblèmes
Hotovely qui semble aussi quelque peu douter de cette suprématiedémographique juive propose de booster la population juive par une aliyamassive. Le but étant d’accueillir un million d’immigrants en une décennie.Mais d’où viendraient-ils ? Et que faire de l’immigration palestinienneconcomitante ? D’autres contradictions internes viennent encore corser leproblème. Par exemple après avoir réussi leur processus de naturalisation puispromis fidélité à l’Etat, les Palestiniens devraient-ils servir sous lesdrapeaux et, quand bien même ils le souhaiteraient, cela leur serait-il permis? Il est au contraire plus probable qu’ils rejettent le processus denaturalisation en bloc, préférant continuer leurs pressions séparatistes, trèsvraisemblablement avec violence.
De plus, ils clameraient dans l’arène internationale qu’Israël ne ferait queperpétuer son occupation sous une autre forme.
Israël serait alors inévitablement blâmé pour ce conflit récurrent, et plus quejamais exposé aux campagnes de dé légitimation. L’Etat pourrait se retrouverconfronté à des sanctions économiques et contraint par la communauté nationaled’accepter le ratio d’un vote par individu sans restriction, ce qui conduiraità terme à une très possible majorité arabe aux commandes du pays. Un scénariocauchemardesque pour beaucoup.
La partition à 3Etats et autres initiatives

D’autres leaders de droite sont plus circonspects. Alléguant que lasolution d’un seul Etat menacerait la majorité juive et les normes humanitairesinternationales, le ministre de l’Economie Naftali Bennett, propose un plan en7 points pour gérer la situation à un seul Etat, mais pas pour solder leconflit.

Sous l’appellation d’« Initiative pour une stabilité israélienne », legouvernement annexerait la zone C, qui correspond à 61 % de la Judée-Samarie oùrésident la majorité des 300 000 habitants des implantations et seulement 50000 à 100 000 Palestiniens. Les Palestiniens en nombre relativement faible enzone C obtiendraient alors la pleine nationalité israélienne sans que cela nepèse de manière significative dans la balance démographique. Et les 2,5millions restant, installés sur 39 % des terres seraient pleinement autonomessous administration palestinienne.
La libre circulation des biens et des personnes serait assurée dans toute laJudée-Samarie et des investissements massifs seraient déployés pour promouvoircette coexistence et assurer sa viabilité. Israël continuerait d’assurer sasécurité dans toute la zone et aucun droit au retour dans ces territoires neserait accepté.
Mais tout comme la solution à un Etat, il y a fort à parier que ce plan Bennettserait lui aussi désapprouvé par les Palestiniens et la communautéinternationale. Après tous les événements qui ont marqué l’après-Oslo, aucunPalestinien n’accepterait de n’obtenir que 40 % des territoires disputés. De plus,en annexant irrémédiablement la zone C, le « plan de stabilité » infirmedéfinitivement la viabilité d’un Etat palestinien vivant en paix à côtéd’Israël.
Pour tenter de remédier à ces écueils, le ministre de la Défense, le députéDanny Danon, nouvellement élu président du comité du Likoud, propose quant àlui ce qu’il appelle une solution à 3 Etats, qui impliquerait Israël, laJordanie et l’Egypte.
Dans cette variation, Israël annexerait la zone C, les 40 % de la Judée-Samarierestants iraient à la Jordanie et Gaza serait rattachée à l’Egypte. Danon yvoit l’avantage qu’il n’y aurait pas dans ce cas d’Etat palestinien proprementdit. Mais c’est justement le talon d’Achille de cette variation, qui netrouverait preneur, ni chez les Palestiniens, ni chez les Jordaniens, ni chezles Égyptiens, et n’aurait pas non plus les faveurs de la communautéinternationale.
Une confédérationd’Etats

Une propositionbeaucoup plus sophistiquée, qui impliquerait aussi la Jordanie et l’Egypte, estcelle proposée par le général de réserve Giora Eiland, autrefois conseiller àla Sécurité nationale, et qu’il a exprimée pour la première fois à l’occasiondu retrait unilatéral de Gaza en 2005.

Eiland avance de nombreuses raisons, pour affirmer que la solution à deux Etatsest une chimère qui n’a aucune chance de fonctionner sur le terrain. D’une partparce que les deux populations sont trop différentes et que d’autre part, quandbien même ils tomberaient d’accord sur un certain nombre de points, les terressituées entre le Jourdain et la Méditerranée sont trop étroites pour permettrela viabilité de deux Etats côte à côte.
De plus Eiland maintient qu’une solution intérimaire comme celle de Bennettn’est pas envisageable, d’une part parce que les Palestiniens ne l’accepteraientjamais, et d’autre part parce que ce ne serait pas dans l’intérêt d’Israël quiconnaîtrait des pressions internationales constantes pour effectuer d’autresretraits dans les lignes d’armistice du 4 juin 1967, pressions quideviendraient vite intenables.
C’est pourquoi il envisagerait pour sa part une confédération d’Etats, ce quipermettrait d’augmenter les terres disponibles attribuées à chaque Etat. Unefédération jordano-palestinienne aurait son pouvoir central à Amman. LaJudée-Samarie, Gaza et la Transjordanie seraient des Etats fédéraux en accordavec la partition américaine.
Un tel arrangement présenterait un double avantage, d’une part les Palestiniensalignés avec les Jordaniens, auraient une viabilité plus grande que dans lapartition qui propose deux Etats, et Israël pourrait annexer une partie plusimportante des territoires disputés sans que cela se fasse au détriment de laviabilité d’un état palestinien minuscule et isolé.
L’Egypte, Israël et la Palestine se verraient contraints à des échangesterritoriaux. Dans cette variation, l’Egypte transférerait les 720 km2 du Sinaïà Gaza, triplant ainsi sa taille. La Palestine céderait 12 % (environ 720 km2)de la Cisjordanie à Israël. Israël céderait 720 km2 à l’Egypte dans la régiondu Paran au sud-ouest du Néguev et autoriserait la construction d’un tunneldans le Néguev qui relierait l’Egypte à la Jordanie, offrant à l’Egypte undébouché sur la mer Rouge et une voie terrestre directe qui ouvrirait surl’Arabie Saoudite et les pays du Golfe.
Le problème évident qui ressort de toutes ces réflexions, c’est qu’il est trèspeu probable que les Jordaniens, les Egyptiens ou les Palestiniens soient prêtsà accepter l’une ou l’autre de ces partitions, même partiellement, ni mêmed’envisager quelque combinaison que ce soit aménagée à partir de ces options.
Tous les regards se tournent alors vers Kerry qui vient de parvenir à ramenerles parties à la table des négociations, et Peres, qui exhorte les Israéliens àne pas laisser passer cette chance d’en finir avec le conflit. Reste à voir siles sceptiques ont raison de ne pas y croire. Un échec des pourparlers nemanquerait pas de donner un coup de fouet aux différentes initiatives de ladroite de la droite.