Une force toute feminine

La police palestinienne de Judée-Samarie déploie sa nouvelle arme secrète

Casque (photo credit: © Police palestinienne)
Casque
(photo credit: © Police palestinienne)

Les descentes de police menées simultanément dans diverssecteurs de la ville de Hébron devaient débuter à 2 heures du matin, au coeur d’unenuit glaciale de février. Sept unités de policiers palestiniens triés sur levolet devaient, au profit de l’obscurité, pénétrer dans les domiciles présumésd’une centaine de criminels palestiniens, lors d’une opération qui devait êtrela première du genre jamais menée par la Police spéciale palestinienne.

Tandis que l’on apportait la touche finale aux préparatifs, un téléphone s’estmis à sonner sur le bureau de Inshallah Abou Allan, membre de la toute nouvelleunité féminine de la police anti-émeutes palestinienne.
Au bout du fil, l’un des individus recherchés. Des informations avaient filtrésur le raid en préparation, révélait- il, railleur, et il savait qu’on allaitvenir frapper à sa porte. Toutefois, il n’y avait aucune chance qu’il soitcapturé.
Il en sera pour ses frais... Le lendemain matin, aux petites heures du jour,Abou Allan et 13 de ses collègues se sont adjointes, deux par deux, aux septunités de police réparties dans la ville. Pris par surprise, 56 des malfaiteursvisés ont été arrêtés, au cours d’une opération impeccable, et mis sous lesverrous.
“J’ai moi-même arrêté celui qui m’avait téléphoné l’après-midi”, raconte AbouAllan. “Ses amis et lui s’étaient dissimulés dans un placard de sous-vêtementsféminins. Quand ils nous ont vues, ils n’en sont pas revenus. Ils n’avaient pasimaginé une seconde que des femmes puissent violer ce refuge qu’ils croyaientsûr, à l’intérieur de leur propre maison !”

Sous les jupes des femmes

Cetteunité de 25 femmes de la Police spéciale de Hébron est devenue l’arme la plusefficace de l’Autorité palestinienne (AP), à l’heure où celle-ci mène un combatacharné contre les délinquants civils.

Dans cette ville conservatrice entre toutes, où le Hamas jouit d’uneconfortable majorité, il serait inconcevable qu’un policier homme fouille,voire même touche une femme. Il ne pourrait même pas entrer dans une maison quine comporterait que des femmes.
Les hors-la-loi profitent de ces traditions religieuses et sociales trèsstrictes qui règnent dans leur ville pour se cacher littéralement sous lesjupes des femmes. Les trafiquants de drogue utilisent les femmes comme“transporteurs”, cachant les produits de contrebande sous leurs vêtements,convaincus que jamais un policier palestinien ne s’aventurera à les fouiller.Jusque-là, les descentes dans les maisons suspectes n’avaient rien donné, carla drogue et les produits illégaux étaient dissimulés avec les femmes de lamaison.
La nouvelle unité féminine sonne donc le glas de cette immunité dont jouissentles criminelles et les délinquantes.
Les 25 femmes associées à la police des émeutes ont été choisies parmi les 39policières déployées à Hébron. Elles ont bénéficié d’un entraînement intensifde deux semaines prodigué à l’école de police de Jéricho, où on les a initiéesaux méthodes modernes de maîtrise des émeutes, à la dispersion des foules aumoyen d’armes non léthales et à l’utilisation d’un équipement spécialisé.
“On nous a appris à disperser les manifestations, les foules, les piquets degrève et les marches auxquelles participent des femmes, mais aussi à maintenirl’ordre dans les stades durant les matchs”, explique Abou Allan, entrée dans lapolice de l’AP en 1996. “Nous avons aussi appris comment intervenir dans desconflits familiaux ou tribaux à Hébron, comment assurer la protection du publicdans les cérémonies et les fêtes, comment escorter des prisonnières réputéesdangereuses de la prison au tribunal et comment assurer la protection des VIP.”
La formation comportait des sessions où les apprenties policières se faisaientcribler de pierres ou attaquer avec des pneus enflammés dégageant une épaissefumée noire ; en d’autres occasions, on leur faisait aussi subir une tensionphysique et psychologique intense plusieurs heures d’affilée.
“Cette formation a considérablement accru la confiance que nous avions en noscapacités et en notre potentiel”, affirme Abou Allan.
Les égales des hommes

Depuis qu’elles sont sur le terrain, ces policières sonttrès sollicitées, de jour comme de nuit, à Hébron et dans les villagesenvironnants.

“Les femmes savent mieux s’y prendre face à d’autres femmes, et de toute façon,la loi palestinienne ne permet pas aux hommes de discuter avec des femmes”,explique le lieutenant-colonel Midhet Hijou, qui commande la Police spéciale del’Autorité Palestinienne en Judée- Samarie.
Ce dernier, qui a 1 400 policiers sous ses ordres, qualifie de “très efficace”le travail d’Abou Allan et de ses collègues. Il affirme que le besoin se faitdésormais sentir de recruter d’autres femmes pour renforcer leur unité.
Le temps et les ressources que l’on consacre à la nouvelle unité témoignent del’importance qu’elle revêt pour la police palestinienne. Les femmes qui lacomposent ont droit à des entraînements spéciaux et bénéficient de tous les équipementsqu’elles jugent nécessaires.
Si cette unité féminine pourrait certes faire des émules dans les autres villesde Judée-Samarie, le besoin s’en est surtout fait sentir à Hébron, où desmilliers de femmes du Hamas sont descendues dans la rue, début 2009, pourprotéger les manifestants qui défilaient contre l’invasion massive de Gaza parl’armée israélienne. Elles ont formé un cordon autour d’eux, empêchant lesforces de police ordinaires de disperser la foule et de réprimer les émeutesqui n’ont pas manqué d’éclater. D’autant que les policières d’alors,contrairement à leurs collègues masculins, n’avaient pas été formées à contenirla violence des foules. Frustrées de leur propre manque d’efficacité, elles ontalors réclamé qu’on les traite en égales des hommes.
“C’est nous qui sommes allées demander au colonel Ramadan Awad, qui commande lapolice de Hébron, une formation anti-émeutes”, raconte Abou Allan. “Un jour,nous avions été envoyées pour disperser une manifestation de femmes du Hamas :seulement, nous n’avions ni casques, ni boucliers, ni gilets pare-balles. Aubout de deux heures, nous n’en étions toujours pas venues à bout. Nos collèguesmasculins de la Police spéciale, bien entraînés et bien équipés, sont alorsarrivés à la rescousse et ont achevé le travail en quelques minutes !”

Commedans les films étrangers

“La sélection des femmes pour la nouvelle unité s’estfaite selon plusieurs critères : leur désir d’en faire partie d’abord, leurcapacité à accomplir ce genre de travail et leur condition physique”, expliquele premier lieutenant Naël Attawneh, formateur de la Police spéciale de Hébron.

L’équipe a alors suivi le même entraînement que les hommes de la policeanti-émeutes : entraînements sportifs, autodéfense, utilisation des boucliers,maniement des matraques et usage des gaz lacrymogènes. Ces femmes ont apprisles procédures d’arrestation, les fouilles au corps et les fouillesd’appartements, les droits de l’Homme. Si l’accent est mis sur les méthodes nonléthales dans la dispersion des foules, les femmes ont également été formées àl’utilisation de pistolets et de fusils d’assaut Kalashnikov AK-47. Attawnehprécise que les résultats ont été immédiats.
“Dès leur première mission sur le terrain, il était clair qu’elles avaientconfiance en elles et en leurs compétences.
Elles n’avaient pas peur. Elles ont travaillé avec une efficacité remarquable,époustouflante, même !”, commente-t-il.
La nouvelle unité féminine, qui n’en est encore qu’à ses débuts, déconcerte leshabitants de Hébron et de sa région, peu habitués à voir des femmes en uniformeet portant un pistolet à la ceinture.
Sur les 8 500 policiers de la force civile palestinienne de Judée-Samarie, oncompte aujourd’hui 500 femmes, que le commandant en chef Hazim Attallah encouragevivement à faire concurrence à leurs collègues masculins pour l’obtention despostes à responsabilité. Parmi les femmes qu’il a lui-même nommées à de telspostes : Wafa Sharqawi dirige la prison centrale de Ramallah, et la lieutenant-colonelle Abeer Abou Sara est responsable du poste de police de Beit Sahour,des interrogatoires de police de Qalqilya et la chef des opérations policièresde Jéricho.
“La première fois que mes collègues et moi, nous sommes rentrées chez nous, àDahriyeh, au sud de Hébron, avec notre uniforme et notre pistolet, lescommerçants du marché sont tous accourus et se sont appelés les uns les autrespour que tout le monde voie ça !”, raconte Abou Allan. Certains se sont mêmefait prendre en photo avec elle en lui disant qu’elle ressemblait auxpolicières que l’on voit dans les films étrangers.
La prochaine ambition d’Abou Allan est d’être autorisée à conduire une Jeep dela Police spéciale, afin de pouvoir partir patrouiller entre femmes, avecgyrophare et sirène, sans besoin d’un homme pour tenir le volant.