André Djaoui, ou la maturation d’un juif

Un homme qui a passé 40 ans à errer entre paillettes et show-biz, avant de retrouver la route qui l’a conduit jusqu’à Israël.

JFR P20 370 (photo credit: DR)
JFR P20 370
(photo credit: DR)

Cet homme, c’est AndréDjaoui, célèbre producteur de films, exmari de la chanteuse Jane Manson et pèrede Shirel. Né dans une famille modeste de juifs tunisiens, il débarque enFrance à l’âge de 5 ans. Son premier métier : la publicité. Il travaille pourl’agence Havas pendant 10 ans, jusqu’à ce qu’un ami le présente à Martin Gray.Coup de foudre amical et professionnel, il abandonne alors les sloganspublicitaires pour la production cinématographique.
Pour Au Nom de tous les miens, en 1981, le premier d’une longue série d’opuscoproduits, Djaoui risque une partie de ses économies. « C’est le jeu, engénéral quand on travaille sur le montage financier d’un film, il manquetoujours 15 à 20 % que l’on risque », explique celui qui s’est retrouvé àplusieurs reprises avec des pertes sèches de plusieurs millions d’euros. Unevie jalonnée de hauts et de bas, « beaucoup de bas », précise-t-il, mais debeaux succès aussi.
Au total, un quart de siècle de productions plurielles et variées commeLiberté, égalité, choucroute de Jean Yanne, « qui n’a pas marché » ou safructueuse période italienne qui lui permettra de devenir le spécialiste de lacoproduction française des grands films italiens de Scola ou Fellini. Et enpoint final, en 2006, le long-métrage d’Elie Chouraqui, O Jérusalem, d’après leroman de Lapierre et Collins, qui ne rencontrera pas le public français et luivaudra une querelle avec le réalisateur, aujourd’hui oubliée.
C’est donc l’histoire d’un homme « qui a été producteur pendant 25 ans, mais nevoulait pas l’être. Un homme qui s’est mis en danger, régulièrement, a rebondi». Mais tout cela, explique Djaoui, « ce n’est autre que le chemin d’Israël ».
« Ce qu’il y a en Israël : “moi” » 
Car c’est bien en Terre promise qu’il a éludomicile depuis 5 ans. Dans une des pittoresques allées de Neve Tsedek, au sudde Tel-Aviv. A quelques encablures de sa fille, la chanteuse Shirel, et de sesdeux petits-enfants. Israélien depuis février 2008, il décrit l’aliya comme «une libération de l’exil ». Exit les strass et les paillettes, André Djaoui aeu besoin de changer de vie. Ne plus produire la créativité des autres, maislaisser libre cours à celle qui, depuis toujours, est en lui. Quelle qu’ellesoit, sous toutes ses formes. Aujourd’hui, cet artiste réconcilié aveclui-même, peint, filme, joue, écrit.
Avec Israël ou le monde juif pour source d’inspiration.
A son actif : expositions de ses tableaux, dont la prochaine prévue en décembre; une pièce de théâtre Le Retour, qu’il a co-écrite avec Philippe Grimberg qui vient d’être interprétée àBruxelles par Jean-Pierre Benaym et Gabriel Villa avant d’aller à la rencontre du public français, et qui devraitbientôt être portée à l’écran par le réalisateur John Voigt. Mais aussi unlivrefilm, Israel My Home, coffret d’art qui parle de la terre et du peuple d’Israël,sur fond de photographies aériennes de l’Etat hébreu.
Aujourd’hui, André Djaoui est arrivé « à la maison, sur sa terre, dans sa têteet sur le plan professionnel ». Il lui a juste fallu le temps de prendreconscience qu’il n’était pas chez lui en France. « On se justifie de vivre endiaspora », explique-t-il, « mais comment peut-on se sentir chez soi dans unendroit où, gentiment ou pas, les gens vous font sentir que vous n’êtes paségaux. » Il faut le temps se débarrasser de la klipa, de l’écorce, ajoute-t-il,« à l’instar d’Abraham qui s’est séparé de Lot, d’Isaac qui s’est séparéd’Ismaël et de Jacob qui s’est séparé d’Esaü pour pouvoir s’appeler Israël ».
Dans l’exil diasporique, on accumule tous des couches d’imposture, estimeDjaoui.
Et l’aliya, « c’est être confronté à la réalité, s’accepter tel qu’on est. Jeme suis donné des rendez-vous auxquels je ne suis pas allé et où j’ai envoyé unautre pendant 40 ans.
Puis quand je suis venu, je me suis retrouvé en face de quelqu’un qui n’étaitpas celui que je croyais. Mais c’était moi. Je me suis évité pendant 40 ans, jeme suis raconté des histoires pendant 40 ans, j’ai fait le people et leshow-biz pendant 40 ans. Et quand les gens me demandent aujourd’hui ce qu’il ya en Israël, je leur réponds tout simplement : “moi” ».
Le détour, c’est la route 
Djaoui mettra pourtant du temps pour accepter derencontrer Israël. Sa première visite date de 1979, quand son ex-femme, JaneManson, est alors invitée à Jérusalem dans le cadre du concours Eurovision de lachanson. Le couple en profite pour visiter la Vieille Ville ou Massada. « Al’époque, je ne ressens rien », confie André Djaoui qui reviendra 11 ans plustard, à l’occasion des fêtes de Pessah, « pour faire plaisir à ses parents ».
Le déclic se produit alors, mais très discrètement. Il faudra encore 20 ans àl’ancien producteur pour effectuer ce cheminement qui relève aujourd’hui del’évidence. « La certitude c’est très mauvais, le doute est beaucoup plusfondateur », déclare-t-il, « mais le fait d’être chez soi en Israël, pour unjuif, c’est la seule certitude qu’on puisse avoir. Pour le reste, on n’est sûrde rien. » « L’aliya, c’est une maturation », poursuitil, « chacun a son rythmequ’il ne faut pas accélérer, un rythme naturel. Comme une pomme qui mûrit,chaque juif effectue son parcours, vers son identité. Pour certains, à titreindividuel, la prise de conscience est instantanée, pour d’autres, comme moi,cela peut prendre des décennies, ou parfois encore, toute une vie. Mais à titrecollectif, le mouvement est irrémédiable, c’est un accomplissement messianiquequi peut s’étaler sur des siècles. Une chose est sûre, tout le monde est enchemin. Il n’y a pas de détour ; le détour, c’est la route. » Dandy ténébreux,André Djaoui met aujourd’hui sa créativité artistique au service d’Israël.L’homme fourmille d’idées.
Comme par exemple créer une encyclopédie des 100 juifs qui ont changé le monde,vus par 100 témoins contemporains qui seront interrogés pour en parler. RobertoBenini racontera Groucho Marx, ou Woody Allen s ’ e x p r i m e r a sur Freud.Mais également un film sur un des fils de la dynastie Rothschild, Edmond àl’origine de la branche française, qui a investi toute sa fortune pour acheterla moitié des terres d’Israël, qui seront ensuite cédées à l’Etat. Aujourd’hui,les vignes fleurissent et les héritiers du baron n’ont gardé que la Fondationpour faire vivre la mémoire de feu leur père. Et enfin un livre-film sur les 7chrétiens sionistes qui constituent les « piliers d’Israël ». Car derrièrechaque étape de l’Etat, « se cache un chrétien évangéliste, comme Lord Balfour», explique-t-il.
Comprendre l’inexplicable 
Les évangélistes constituent un public nonnégligeable dans la mission que s’est fixée Djaoui : dire au monde tout le bienqu’il pense de son nouveau pays. « Les évangélistes constituent aujourd’hui lesseuls vrais amis d’Israël », estime-til, « sur le milliard et demi dechrétiens, 600 millions sont évangélistes et considèrent Israël comme le lieude l’accomplissement de la prophétie messianique. Ils veulent donc aider l’Etatjuif. Ce sont des chrétiens sionistes ».
Une approche que partagent les autorités israéliennes qui, ces dernièresannées, s’emploient à séduire les masses évangélistes. Un projet de télévisionà leur attention avait même été évoqué.
Tourbillon créatif, Djaoui a plus d’un tour dans son sac. Egalement à son ordredu jour : ressortir – tout spécialement à l’attention des évangélistes – undouble album enregistré il y a 30 ans avec Jane Manson, sur la Bible.
L’opus n’avait pas marché à l’époque, « c’était trop en avance sur son temps »,estime celui qui bouillonne de projets. Mais il va donner lieu aujourd’hui àune comédie musicale, basée sur l’Ancien et le Nouveau Testament qui paraîtraen CD et DVD, sur les images de Israel My Home et sera réenregistré avecl’orchestre symphonique de Jérusalem, des artistes évangélistes connus et deschanteurs israéliens. Première représentation prévue à Pessah 2014.
Aujourd’hui, l’homme a trouvé sa voix et son équilibre. Il n’a plus d’attachesen France et savoure chaque jour un peu plus les bienfaits de l’aliya «libératrice, fondatrice, régénératrice ». « L’aliya, c’est une route vers savérité », lance-t-il, « c’est la différence avec l’imposture, l’artificiel. Onsaisit mieux pourquoi le monde ne comprend pas Israël, car on ne peut pascomprendre quelque chose qui relève d’une autre dimension. C’est cetteinexplicabilité-là qui fait le matériau d’Israël. On ne peut pas demander decomprendre quelque chose d’inexplicable. »