Cabale : "trouver la plénitude"?

Le très charismatique Eitan Yardeni ne se contente pas de guider des grands noms de Hollywood comme Madonna à travers les secrets du mysticisme juif. Il entend aider tout un chacun à agir sur sa vie de façon significative

Madonna (photo credit: Reuters)
Madonna
(photo credit: Reuters)

Recevoirl’illumination est une expérience merveilleuse. Mais pour qui ne l’a pas vécue,cela revient à se sentir exclu d’une blague particulièrement drôle. Lescentaines de personnes qui se dirigent vers les luxueux locaux du Centre de laCabale de Tel-Aviv en ce dimanche soir de décembre se tiennent le ventre derire, au figuré. Bien habillée, bien coiffée, cette population d’Israéliensashkénazes de 25 à 45 ans brillants, heureux et surexcités ressemble à s’yméprendre au public d’une pièce de théâtre en vogue.

Toutefois, l’établissement dans lequel ils pénètrent n’a rien d’un lieu dedistractions. Du moins, pas comme la majorité d’entre nous pourrait l’entendre.Le rabbin Eitan Yardeni, sans doute le professeur de Cabale le plus célèbre dumonde, s’apprête à donner une conférence gratuite et ouverte à tous. “Je suislà parce qu’un ami qui étudie dans ce centre m’en a parlé et que ça m’a paruintéressant”, explique Rina Kahan, habitante d’Herzliya d’une quarantained’années, qui dirige une association d’aide aux petites amies de soldatsdisparus. “Je ne connais pas grand-chose à la Cabale, mais cela m’intéressed’écouter Yardeni. Je vais tout de même m’asseoir près de la sortie, pourpouvoir m’en aller au cas où...”
Une heure plus tôt, près de la fontaine Agam, sur la morne place Dizengoff, uncouple de jeunes gens bien mis distribuent des prospectus. “Conférence sur laCabale ce soir !”, lancent-ils à la ronde. La plupart des passants ne font pasattention à eux, mais certains prennent le prospectus qui indique le thème dujour : “2012 : Des certitudes dans un monde d’incertitude”.
Un homme d’âge moyen à bicyclette demande : “Quoi ? On prévoit quelque chose demauvais pour 2012 ?” Lorsqu’on évoque la légende Maya, qui prédit un événementcataclysmique entraînant la destruction du monde cette année-là, il se met àrire. Comprenant sans doute qu’on lui parle de la destruction répond : “Depuisque nous sommes là, tout le monde essaie de nous tuer. Ne vous en faites pas,tout se passera bien !”
Il s’en va en riant tout seul, tandis que plus de 500 autres personnes, qui nepartagent apparemment pas son optimisme ou sont curieuses d’entendre lesparoles de sagesse de Yardeni, descendent vers le Centre de la Cabale prèsd’une demi-heure avant l’heure annoncée. Depuis quand les Israéliensarrivent-ils en avance à un événement ?
Le centre, tout proche de la place Dizengoff, est un bâtiment impressionnant,moderne et soigné dans ce quartier négligé aux immeubles décrépits. Beaucoupd’argent a été consacré à la décoration.
Un salon-librairie chic et spacieux, avec gros canapés de cuir et murslambrissés, propose les livres de Yehuda et Michael Berg, les fils de Philip etKaren Berg, fondateurs du Centre de la Cabale, avec des titres comme : Lesrègles spirituelles de l’engagement, La vraie prospérité, ou encore des volumeset des volumes de la Bible des cabalistes. Des objets sont également en vente,en particulier des bijoux, dont certains portent le motif des “72 noms de Dieu”dans la Cabale. Il y a des colliers, des bagues et des bracelets avec desinscriptions comme : “Fabriqué en Israël/ Plongé dans l’eau de la Cabale” ; etpuis, bien sûr, beaucoup de fils rouges (le ‘roite bindele’ popularisé par lesstars de Hollywood), qui viennent d’une tradition cabalistique et que l’onporte au poignet gauche pour se préserver du mauvais oeil.
Une version “McDonald’s” de la Cabale ?
Deux heures avant la conférence, le personnel du centre se prépare à accueillirla foule des visiteurs. On installe les stands d’information et les chevaletsportant des affiches, on diffuse un parfum de lavande dans le foyer et lalibrairie. À l’extérieur, on a accroché des grappes de ballons bleus pourreprésenter 2012 et signifier aux spectateurs que ce ne sera pas une année dedésastre, mais de célébration.
Eitan Yardeni, 46 ans, nous rencontre dans une salle de réunion. Svelte,affublé d’une kippa noire, de lunettes à montures dorées et d’une barbe poivreet sel, cet enfant de Kiryat Ono pourrait passer pour un directeur de yeshivadécontracté, plutôt q u ’ u n mentor qui initie de grands noms c o m m eMadonna ou G w y n e t h Paltrow aux mystères du mysticisme juif. Il a aussiune autre élève studieuse, comédienne et personnalité de la télévisionisraélienne, Tzofit Grant (l’épouse de l’entraîneur de football Avram Grant),qui dira, en présentant Yardeni au public, qu’il lui a sauvé la vie.
“Chaque professeur a sa façon à lui d’inciter les gens à l’écouter, et je nepas si je possède moimême un don particulier sur ce plan”, explique la voixdouce d’Eitan Yardeni, qui vit à avec sa femme et ses cinq enfants. “En fait,quand j’ai étudié l’art oratoire à l’armée, j’ai failli ne pas réussir lediplôme. Mais je continue à travailler làdessus et j’essaie de m’améliorer enpermanence.”
Le don que possède Yardeni réside plutôt dans l’art d’expliquer la complexitéet les mystères de la cabale, codifiée à Safed au XVIe siècle par le rabbinIsaac Luria et popularisée par les Hassidim au XIXe, d’une façon que lesadeptes de spiritualité (juifs ou non juifs) peuvent comprendre et adopter.
Longtemps réservée aux hommes mariés de plus de 40 ans, car la compréhensiondes concepts subtils qu’elle renferme nécessite une certaine maturité, l’étudede la Cabale a été mise à la portée de tout un chacun grâce à l’action duCentre de la Cabale. Et la voix séduisante de Yardeni, qui définit pour nous ceque sont la Cabale et le Zohar, le texte fondateur de la pensée cabalistique,nous explique pourquoi. “La Cabale est un enseignement universel très ancienqui nous aide à comprendre le but et le sens de la vie et nous fournit desoutils pratiques pour nous réaliser de façon pure et durable.”
Peut-être est-ce cette essence très New Age qui a suscité la colère del’establishment juif. Celui-ci n’a cessé de critiquer les Berg et leurs Centresde la Cabale (qui sont plus de 50 à travers le monde), pour avoir créé cetteversion “McDonald’s” de la Cabale.
Interviewée par le Jerusalem Post en 2009, Karen Berg avait accepté cettecritique, mais justifié l’ouverture de l’étude de la cabale aux masses. “Audébut, on se contente de suivre les cours. On ne devient pas un maître du jourau lendemain, évidemment”, avait-elle dit. “C’est la même chose qu’apprendre leyoga ; on ne devient pas yogi tout de suite.”
Une génération désenchantée...
Yardeni, lui, est devenu yogi beaucoup plus vite que les autres. C’est en 1981,à l’âge de 17 ans, qu’il assiste à son premier cours de Cabale, donné parPhilip Berg. Issu d’une famille profondément laïque, il s’était toujours posédes questions sur le sens de la vie. “Il me semblait qu’il me manquait quelquechose”, dit-il. “Je me suis tout de suite senti à l’aise avec la Cabale.”
Son service militaire dans l’aviation, puis sa participation, en 1982, à laguerre du Liban, le contraignent à interrompre les cours. Mais quand il devientformateur en missiles Hawk, au cours de sa dernière année d’armée, il trouve letemps de les reprendre : Berg lui donne des leçons particulières à 4 heures dumatin deux fois par semaine et, chaque soir, il travaille comme bénévole auCentre de la Cabale. “Quand j’ai terminé l’armée, je ne me suis pas posé dequestion : je savais que j’étais sur terre pour ça.”
À peine cinq mois après avoir quitté les rangs de Tasahal, en 1985, Berg envoieYardeni à . Sa mission ? Recruter des élèves et enseigner dans les Centres dela Cabale de cette ville. Par la suite, il aidera à la création d’autrescentres à et à , avant de s’installer à . Pour lui, c’est le désenchantementvis-à-vis des religions organisées qui a provoqué l’explosion de la popularitéde la Cabale.
“Certaines personnes sont déçues par la religion à laquelle ellesappartiennent”, explique-t-il. “Nous vivons une époque où les gens se posentdes questions sur eux-mêmes : ‘Est-ce que je suis heureux ?’, ‘Est-ce que je mesuis accompli ?’ Je ne pense pas qu’il y a 80 ans, les gens se posaient cesquestions- là. Ce phénomène a débuté dans les années 1960. Le monde nous pousseà nous interroger, à changer, à nous transformer. Voilà pourquoi l’idée du‘aide-toi toi-même’ est devenue si populaire.”
Quand les stars s’invitent dans le système
Cette niche occupée par la Cabale dans cet univers du “prends-toi en main” doitsa popularité à l’intérêt que lui témoignent des célébrités comme Madonna,Donna Karan, Roseanne Barr, Demi Moore, Ashton Kutcher et bien d’autres.Yardeni, pourtant, affirme ne pas être intéressé par ces stars ni par leprestige que leur présence confère au centre. “J’avais entendu parler deMadonna, mais je ne l’avais jamais vue”, raconte-t-il, évoquant l’époque où la“Material Girl” s’est présentée au centre de pour suivre son cours. “L’une demes élèves m’avait dit qu’elle l’amènerait au cours de présentation à la Cabaleque je donnais. Cela m’a fait plaisir qu’elle ait ainsi l’occasion de se connecter,mais je n’ai pas pensé à tout ce que cela entraînerait.”
Madonna devient vite une élève modèle. Elle assiste aux cours collectifs etprend aussi des leçons particulières avec Yardeni, un rythme qu’elle conserveencore aujourd’hui. Yardeni se dit heureux, mais pas surpris. “Notre objectifn’est pas seulement d’enseigner, mais de voir nos élèves aller plus loin ettransformer leur vie. Madonna a suivi ce processus comme tous les autres, maiselle est persévérante, c’est sa force. Elle vient régulièrement aux courscollectifs, et, comme les autres, elle bénéficie aussi d’un suivi individuel.”
Yardeni n’est pas étonné de voir tant de stars s’intéresser à la Cabale : “Jepense que les célébrités qui sont honnêtes avec ellesmêmes s’aperçoivent tôt outard qu’elles ont beau être riches et célèbres, il leur manque quelque chose :une grande partie d’elles-mêmes reste vide et inaccomplie. C’est làqu’intervient la spiritualité.”
Et quand on lui demande si cette publicité générée par les stars n’a pascontribué à la dévalorisation de la Cabale, il affirme qu’au contraire, elle aouvert la porte et permis à un plus grand nombre de bénéficier de sesenseignements. “Il y a une raison à tout ce qui arrive : ces célébrités, nousne sommes pas allés les chercher, ce sont elles qui sont venues à nous. Celafaisait partie du processus qui consiste à faciliter l’accès à la Cabale.Ainsi, les enseignements de celle-ci sont accessibles à tous et je considèrecela comme un développement positif.”
Des intentions pures et justes ?
La popularisation de la Cabale et la notoriété du Centre de la Cabale ontcependant eu leurs inconvénients. Le fisc s’intéresse désormais aux Berg, qued’anciens employés du centre ont accusé de détournement de fonds pour leurbien-être personnel. Et selon un récent article du Los Angeles Times, le Centreétait plus un lieu de culte pour célébrités qu’une véritable institutionreligieuse. Selon le journal, un petit cercle de très gros donateurs (que l’onappelle ‘les proches’) auraient versé des centaines de milliers de dollars,parfois même des millions, en dons déductibles d’impôts. En échange, ils ontleur place à la table du Shabbat des Berg, sont invités à des offices religieuxprivés et à des conversations en tête-à-tête. Et ceux à qui ce traitement defaveur ne plaît pas sont remis à leur place par des responsables ou d’autresélèves du centre. “Quand vous vous avisiez de critiquer la famille”, raconte unancien qui, désabusé, a quitté le centre, “on vous disait que vous aviez dansvotre conscience une faille où se glissait Satan. Que vous ne faisiez pas assezd’efforts pour atteindre la lumière.”
Yardeni ne souhaite pas s’exprimer sur l’enquête en cours ni sur les articles,mais il défend les Berg avec véhémence. “Il est évident que tout ce qui a étéfait l’a été avec des intentions pures et justes”, affirme-t-il. “Nous sommessûrs que toute cette histoire finira bien. Chaque fois que quelque chose prendde l’importance, les gens se mettent à vous juger.”
La foule qui se presse aux abords du Centre ne se soucie ni du fisc ni desarticles diffamatoires. Ces gens ont hâte d’écouter Yardeni. Quand les portesde l’auditorium s’ouvrent, les membres du personnel abordent chaqueparticipant, notent son nom et son numéro de téléphone, lui demandent commentil a appris qu’il y avait une conférence ce jour-là et lui accrochent un badgeportant son nom.
2012, à la croisée des destins
Orna, mère au foyer de Tel-Aviv, est là avec son mari. Tous deux étudient dansce centre depuis douze ans. Chacun s’arrête pour la saluer et l’embrasser.“Depuis que j’ai commencé à étudier la Cabale, il ne m’est arrivé que desbonnes choses”, explique-t-elle. Son mari est un des rares hommes del’assistance à porter une kippa et ils se décrivent l’un comme l’autre comme traditionalistes.
“Cela a amélioré mes relations avec mon mari et ma famille”, poursuit Orna.“Cela m’a donné de l’énergie et apporté une meilleure vie. Cela m’a appris quenous nous dirigeons tous vers la même destination, mais en passant par deschemins différents.”
En quelques minutes, l’auditorium est bondé et l’on doit apporter d’autreschaises. Quand Tzofit Grant monte sur l’estrade, des dizaines de spectateursrestent debout au fond de la salle. La foule bruyante fait silence quand lastar de la télévision prend la parole pour expliquer comment la Cabale a changésa vie. “Quand je me lève le matin, je suis impatiente de faire la tfilatshahar (la prière du matin) et quand je n’en ai pas le temps, j’ai l’impressionque ma journée est incomplète”, affirme-t-elle, applaudie par l’assistanceessentiellement non religieuse.
A son entrée, Yardeni est acclamé. “Si nous sommes réunis ici ce soir, c’estpour nous efforcer d’ouvrir les yeux afin de comprendre dans quelle directionet vers quel lieu l’univers est en train de nous pousser. 2012 approche et lespossibilités de choix qui nous sont offertes deviennent de plus en plusextrêmes. Nous avons vu des révolutions politiques et des révolutions sociales,tout se succède à un rythme effréné”, dit-il, tandis qu’en toile de fond, unfilm montre Daphni Leef s’exprimant devant la foule des manifestants de l’étédernier.
“Ce que je veux vous dire, c’est que nous avons le choix : n’attendons pas quedes choses mauvaises se produisent en 2012. Nous sommes à un carrefour où nouspouvons créer le changement et éviter le chaos, la souffrance et la douleur. Enaffaires, quand les marchés ou l’immobilier fluctuent, on procède à descorrections et à des ajustements. Dans la vie, c’est la même chose : quand lesdéséquilibres sont trop importants, quand il y a trop d’égoïsme et de désordre,il faut faire des corrections. Devons-nous attendre que le chaos s’installepour cela, ou est-il possible d’agir concrètement, tout de suite, pour changerla situation ?”
La suite du discours, ponctuée d’applaudissements, expose les outils quefournit l’étude de la Cabale pour aider à opérer ces changements et incite lepublic à s’inscrire aux cours du centre. Selon Yardeni, 60 % des spectateursprésents ce soir-là ne s’étaient encore jamais intéressés à la Cabale.

Rina Kahan est restée jusqu’à la fin.Elle a apprécié la conférence, mais pas au point de vouloir explorer le sujetplus avant. “Cela ressemble un peu aux autres rencontres sur la motivationauxquelles j’ai pu assister et qui visent à accroître notre degré deconscience. En fait, c’est toujours la même chose, sauf que parfois, on appelleça la lumière, d’autres fois la réussite... Mais de toute façon, moi, je necherche rien...”

Ce n’est apparemment pas le cas des autres spectateurs. Laplupart d’entre eux prennent les brochures qui les attendent à la sortie etferont sans doute le grand saut pour explorer les eaux ténébreuses de laCabale. Après tout, si l’on vous donnait l’occasion d’entrer dans le cercle desinitiés, ne la saisiriez-vous pas ?