Hollywood et les Jours redoutables

Traditions et racines juives dans le cinéma américain

Cinema (photo credit: .)
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Ah ! La magie du premier film parlant ! 1927,outre- Atlantique : Le Chanteur de Jazz sort aux Etats-Unis, avec plusieursscènes chantées et quelques dialogues. Jackie Rabinowitz est le fils d’unchantre qui voudrait le voir se conformer à la tradition et chanter à ses côtésle Kol Nidré, prière qui ouvre le service de Yom Kippour. Mais alors que lesfêtes approchent, le père apprend que Jackie, 12 ans, chante dans un bar. Ulcéré,il ramène son fils à la maison et lui administre une bonne volée. Le garçondécide alors de quitter son foyer. Tandis que son père entonne la prière à lasynagogue, Jackie part se consacrer à sa passion du jazz.

Des années plus tard, celui qui se fait désormaisappeler Jack Robin (joué par le grand Al Jolson, dont la vie a inspiré le film)voit sa carrière décoller. Il vient rendre visite à ses parents pour le 60eanniversaire de son père et annonce fièrement qu’il se produira bientôt àBroadway, espérant faire la paix avec les siens. Sa mère l’accueille à brasouverts, mais son père lui ordonne de partir. Quelques temps après, levieillard tombe malade et demeure entre la vie et la mort. La mère de Jackdéboule alors en pleines répétitions, à Broadway, et supplie son fils de venirchanter Kol Nidré à la place de son père. Mais Yom Kippour tombe le soir de lapremière. Dilemme moral de l’artiste.

On ne dévoilera pas la fin, sauf pour dire que lefilm aurait été incomplet sans une version de Kol Nidré par Jolson. Ou du moinsqui y ressemble : chantés par la star, les couplets d’araméen sont radicalementabrégés et répétés, encore et encore, sur un air d’improvisation. Kol Nidrérevisité par le jazz. Un subtil portrait du passage de la tradition à unemodernité créative, symbole de la transformation des Juifs du Nouveau monde.

1937, en Pologne, des Juifs adaptent au cinéma la célèbre pièce en yiddish deShalom Anski, Le Dibbouk. Appelé également Entre deux mondes, le film met enscène deux Juifs hassidiques, Sender et Nisn, des amis de longe date qui sevoient peu, si ce n’est à l’occasion de pèlerinages auprès du rabbin deMiropolye, en Ukraine. Un jour, ils s’engagent à marier leurs enfants pasencore nés. Peu après, Nisn se noie et Sender, tourmenté par des problèmesd’argent, oublie la promesse faite à son ami.

Des années tard, un étudiant ruiné du nom deKhonen arrive à Brinitz, la ville de Sender. Invité à un dîner de Shabbat parcelui-ci, il tombe instantanément amoureux de sa fille Léa, qui répond à sonamour. Ignorant que Khonen est le fils de son ami décédé, le père estinflexible : Léa épousera le plus riche prétendant qui se présentera.

Désespéré, le jeune homme se lance dans la magiekabbalistique pour essayer de faire apparaître des barils d’or. Alors que lemariage de sa bien-aimée avec un homme riche est annoncé, Khonen, de plus enplus déséquilibré, se tourne vers Satan pour obtenir de l’aide et finit parmourir. Léa est alors possédée par l’esprit de son défunt amant. Son pèrel’emmène à Miropolye, implorant le rabbin d’exorciser son âme à la dérive.

Le film, un des dernières oeuvres culturellesjuives polonaises, dresse un riche portait de la vie et la tradition juived’avant la modernité. Il s’ouvre sur un sermon passionné du rabbin, alors queles deux futurs pères sont encore jeunes. L’homme religieux leur raconte lacélébration de Yom Kippour autrefois, lorsque le Grand prêtre avertissait : siune pensée impure entrait dans le Saint des Saints, “le monde entier seraitdétruit”.

Et le rabbin de comparer la citation avec le pénible voyage de certaines âmesmalheureuses, vivant plusieurs vies (ces Juifs croyaient en la réincarnation)cherchant désespérément leur origine, le Trône de Gloire, pour être en fin decompte rejetées une fois arrivées aux cieux. C’est à ce moment-là du sermon queles deux hommes choisissent maladroitement de l’informer de leur pacte. Unegénération plus tard, lorsque Khonen fantasme sur son union avec sa bien-aimée,il ne cesse de s’y référer comme au “Saint des saints”. Rétrospectivement, lesermon du rabbin était donc une prophétie du tragique destin du jeune homme.

Mais le film ne cesse d’exalter le lien amoureuxdes amants, bien que la cour rabbinique fasse de son mieux pour le défaire. Lemoment sacré de Yom Kippour, bien qu’entaché par la catastrophe, demeure dèslors un symbole de la résistance des jeunes gens à un monde aliéné par l’argentet le système de classes.

Entre mémoire et modernité

Un troisième film, Liberty Heights (1999) de BarryLevinson, est une comédie nostalgique sur l’enfance du réalisateur en tant queJuif à Baltimore dans les années 1950. Il s’ouvre et se finit sur Rosh Hashana,alors que les Kurtzman se rendent à la synagogue. Nate Kurtzman a son propre rituellors de ce jour solennel : s’échapper de l’office avant la fin pour allercontempler les nouveaux modèles de l’année chez le concessionnaire Cadillac àproximité. Il s’offre tous les ans une nouvelle voiture, grâce aux profits d’unpetit commerce illégal qu’il tient à côté de son activité en tant que directeurde music-hall.

En dehors de cela, Nate est un citoyen respectable, bon père et bon mari, partide rien, qui a su se servir de ses poings dans sa jeunesse contre lesantisémites de son quartier. Le film traite principalement des aventures de sesdeux fils, Van et Ben (Adrien Brody et Ben Foster) et de leurs relations avecdes filles goys - la cour de Van à une belle aristocrate appelée Dubbie, qu’ilrencontre à une soirée, et l’amitié de Ben avec Sylvia, la seule jeune fillenoire de son lycée. Liberty Heights dépeint ainsi la perte d’influenceprogressive de la tradition, qui peine à faire le poids face au nouveau monde.

Le Dibbouk aussi a été en réalité créé par des Juifs modernes. Anski est unlaïc, socialiste et révolutionnaire. Les créateurs du film étaient issus del’avant-garde théâtrale et du mouvement expressionniste, tandis que leréalisateur, Mihal Waszynski, était un homosexuel qui avait abandonné sonéducation orthodoxe et prétendait ne pas parler le yiddish.

Ce qui fait le lien entre les trois films n’estpas seulement leur profonde sensibilité au monde laïc (cachée dans Le Dibbouk)mais leur volonté de présenter la tradition comme un critère de référence. LesJours redoutables ont beau représenter un héritage culturel qui tend às’effacer, leur sens continue de toucher les cinéphiles, juifs ou non.