Hommage : La disparition d’Arik Einstein laisse les Israéliens orphelins

Le chanteur est brutalement décédé la semaine dernière, provoquant une onde de choc dans tout le pays. Hommage à celui qui a si bien su chanter Israël.

P18 JFR 370 (photo credit: Reuters)
P18 JFR 370
(photo credit: Reuters)

Aimé de tous.Arik Einstein est décédé mardi 26 novembre d’une rupture d’anévrisme, laissantles Israéliens inconsolables. Star depuis plus de 40 ans, il avait conservé lamodestie des générations précédentes. Au point de sembler parfois presque gênépar sa renommée. De toute évidence, ce qui lui importait, c’était sa musique.Il a travaillé avec tous les grands compositeurs de l’époque, Shalom Hanoch,Miki Gavrielov, Yoni Rechtern, et bien d’autres. Mais peu importe qui avaitécrit les paroles et la musique, quand il chantait, c’était une chanson d’ArikEinstein… Il savait la faire sienne. Des générations d’auditeurs sont tombésamoureux de sa musique, et bon nombre sont tombés amoureux (amoureuses ?)de lui aussi. Le Frank Sinatra israélien, a-t-on écrit partout la semainedernière. Il était tant de choses encore. Portrait d’une icône, par une olahadacha.

Je découvre samusique pour la première fois à la radio dans les années 1980. Mes colocatairesisraéliens me jouent Toi et moi (Ani ve Ata) et m’expliquent que ce titre estdevenu un hymne du mouvement israélien pour la paix. Très vite, la musiqued’Arik Einstein devient le prisme au travers duquel je découvre Israël. Jem’étonne de voir que beaucoup d’Israéliens de ma connaissance écoutent la radiotout le temps, mais coupent le son au moment du journal (la période est sombre,la guerre du Liban fait toujours rage et les soldats tombent chaque jour). Ilsm’expliquent qu’ils ne veulent tout simplement pas savoir ce qui se passe, queça les déprime trop. Pour faire valoir leur argument, ils me jouent Temps mortd’Arik Einstein (Pesek Zman), avec les paroles « faire une pause et ne paspenser… Peut-être que c’est juste une petite crise, et ça va passer ».

J’apprendsl’hébreu en traduisant les paroles de chansons telles que Qu’est-ce qu’il y aavec moi ? (Mah Iti ?) ; et j’ingurgite un peu d’histoired’Israël avec Yoel Moshé Salomon (sur l’établissement de Petah Tikva) etAvshalom (sur le héros d’avant la création de l’Etat, Avshalom Feinberg). Maispourquoi Arik est-il triste dans la chanson Conduis lentement (Sa Le’at) quandl’équipe Hapoel a perdu ? Mes colocataires israéliens m’éclairent sur lesaffiliations politiques des équipes de football en Israël. Et quid de cesparoles tragiques : « Et je pense que, dans peu de temps, il y aGaza/Qu’ils ne jettent pas une grenade/Laissons aller, mincealors » ? J’ouvre de grands yeux, une grenade peut vraiment êtrejetée depuis la bande de Gaza sur l’autoroute ? « On ne saitjamais », me répond-on laconiquement.

Un demi-dieu enjeans

Mais il ne s’agitpas seulement de politique et d’histoire. Je découvre aussi l’humour et laculture israélienne. Difficile de ne pas rire de la parodie de l’idéal maternelà l’israélienne, réalisée avec une vraie tendresse, sur la chanson Ma mère (ImaSheli). Trois, quatre et au travail (Shalosh, Arba La’avoda) s’amuse de l’ethosdu pionnier. Arik Einstein chante : « Trois, quatre, autravail », puis : « Trois, quatre à aimer, tu le dois àtoi-même, tu le dois à ta famille ». Les copains, eux, fredonnent lesparoles de Quand tu pleures, tu n’es pas jolie (Keshe at Bocha at lo yaffa), etTout est dans ta tête (Zeh Rak be’Rosh Shelach), la chanson classique d’excusedu type qui trompe sa petite amie.

Je suis sous lecharme. Mais c’est en allant voir le film Metzitzim à la Cinémathèque deJérusalem avec un de mes colocataires que je succombe complètement. Surl’écran, un demi-dieu grand et anguleux, en jeans. Mes amis soulignent d’un airapprobateur qu’il a été champion de saut en hauteur d’Israël. En plus d’êtrebouleversée par ses regards, je réalise que le duo que lui et son ami Uri Zoharincarnent dans le film – deux amis qui passent la plupart de leur temps sur laplage à courir après les femmes et ne sont pas d’honnêtes citoyens – est à biendes égards beaucoup plus révolutionnaire, voire incendiaire, que ne le sont despersonnages similaires en Amérique. Difficile aujourd’hui de dire si Einsteinétait un bon acteur, tant il jouait essentiellement son propre rôle (beaucoupne se rendent pas compte qu’il a un rôle clé dans la comédie classique SallahShabbati de 1964).

J’apprends aussique la femme qu’il traite de façon aussi insensible dans Metzitzim estinterprétée par Sima Eliyahu, sa partenaire dans la vie, et qu’il a divorcé desa femme, Alona, devenue ultraorthodoxe. Que Zohar, réalisateur, agitateur etécrivain surdoué, est lui aussi revenu à la religion. Je suis sidérée quand lafille aînée d’Arik et Alona épouse un des fils de Zohar, imitée quelques annéesplus tard par sa cadette. Une drôle d’histoire, ironique et poétique à la fois,qui symbolise les années où les ultraorthodoxes commencent à prendre leur placeen Israël. A bien des égards, le parcours et les nombreuses contradictions dela vie d’Einstein reflètent l’évolution de l’Etat hébreu.

Einstein arrêtela scène il y a quelques années, après un grave accident de voiture. S’il n’aplus envie de se produire, il continue d’écrire et d’enregistrer. Sa reprised’une chanson d’Aviv Geffen, Pleurer pour toi, devient un hymne au milieu desannées 1990 pour ceux qui étaient en deuil après l’assassinat du Premierministre Itzhak Rabin. Sa chanson J’ai l’amour et il triomphera (Yesh Bi Ahava)prouve aussi qu’il n’a rien perdu de sa générosité. C’est si bon que tu soisrentré à la maison (Kama Tov Sheh Ba’ta Habayita) a souvent été utilisée dansla campagne pour la libération du soldat de Tsahal Guilad Shalit et a été jouéedurant la cérémonie quand Guilad est effectivement rentré à la maison.

Nous pensionstous vieillir avec lui

Les gens rassembléessur la place Rabin la semaine dernière pour pleurer Einstein étaient plutôtd’âge mûr. Mais le chanteur a des fans de tous âges, y compris des enfants. Unepartie de son sex-appeal provenait d’ailleurs de son côté ludique et enfantin,et il a chanté pour les petits comme personne. Mes fils, ainsi que desgénérations d’enfants, ont grandi sur ses nombreuses et merveilleuses chansonsécrites pour eux, dont les classiques comme Adon Shoko (Monsieur Choco),Shabbat Matin, Que font les font les faons ? (Mah osot haayelot) et biend’autres. Ils peuvent fredonner et chanter autant de chansons d’Einstein que moi.

De retour du côtédes adultes, le chanteur évoque dans la chanson culte Vole, oisillon (OufGozal), le moment où on laisse ses enfants quitter le nid. « C’est sympade vieillir », y chante-il. Et si quelqu’un pouvait rendre cette phraseconvaincante, c’est bien Einstein. Je pense que le sentiment que nous allionstous vieillir ensemble, Einstein et nous, est une des causes du choc quebeaucoup ressentent aujourd’hui. « C’est comme s’il était toujours là,difficile de croire qu’il est parti », a dit Ninette Tayeb, une chanteusebeaucoup plus jeune, dans une interview à Aroutz 2 le soir de sa mort. Ladernière fois que j’ai écouté Ouf Gozal, c’était lors d’une excursion avecl’école de mon fils, école pour les enfants autistes. Les enfants écoutaient ensilence, et certains ont chanté avec le moniteur qui jouait à la guitare. Lesvoix n’étaient pas celle d’Einstein, mais il les a inspirées, et il continuerad’en inspirer beaucoup d’autres. Il a vraiment changé notre monde.

 

 

Les adieuxd’une nation

Des milliers depersonnes ont rendu un dernier hommage à Einstein, mercredi 27 novembre àTel-Aviv. « Nous avons tous grandi sur les chansons d’Arik, chacun d’entrenous », a déclaré Netanyahou.

Ben Hartman

Ils se sontrendus par milliers sur la place Rabin, à Tel-Aviv, mercredi dernier, pour direadieu à Arik Einstein. Pour beaucoup, l’homme était bien plus qu’un chanteur,il était un symbole dans leur vie, pour leur pays, et représentait tout unpassé israélien. « Petits enfants, grands enfants, bons enfants, mauvaisenfants, tu sais maman, nous sommes tous les enfants de la vie », a chantéShalom Hanoch sous un ciel couvert, ce jour-là. C’était un moment émouvant quede voir l’ami légendaire d’Einstein et son ancien complice, debout à côté ducercueil, devant une foule de milliers de personnes qui se sont déplacées danssa ville natale, lui rendre hommage par une chanson pleine d’amour et detendresse.

Des enfants detous âges emplissaient les lieux mercredi, certains déjà dans la soixantaine ouplus, faisant le deuil d’un homme qui a bercé leur enfance, leur adolescence,leurs service militaire et leurs années universitaires avec ces mêmes chansonsqu’ils ont ensuite eux-mêmes chantées à leur progéniture.

La foule étaitsilencieuse, portant haut les téléphones portables pour enregistrer leschansons ou photographier la cérémonie. Tous les participants ont décrit leurhéros comme un homme qui a transcendé la musique, la gloire et la culture pop.Parlé d’un homme dans lequel ils se reconnaissent. Une vie passée, les beauxjours inscrits dans les souvenirs, un Israël plus doux et plus léger qui n’a,peut-être, jamais vraiment existé.

« Il représentequelque chose qui fait toujours défaut », a déclaré Sharon Hochman, 42ans, venu depuis Hadera avec sa fille. « Il était le chanteur quireprésentait le vieil Israël, le temps où les paroles [des chansons] étaientencore importantes. Il est une icône d’Israël, quelque chose qui n’a pas encoredisparu ». Et d’ajouter qu’Einstein est et restera la bande originale quiaccompagne tous les voyages familiaux, une tradition qu’elle espère transmettreà sa fille.

Rouge commeHapoel

De la foule sedégageait une couleur rouge foncé, arborée par les fans de l’équipe de footballHapoel Tel-Aviv, celle qu’Einstein affectionnait et supportait depuis desdécennies. Il a même été dit qu’Einstein « portait deux casquettes, cellede l’Hapoel et celle de la Terre d’Israël ».

Un fan del’équipe de foot de Tel-Aviv Agé, Tsour Sadeh, âgé de 21 ans et venuspécialement de Haïfa, a décrit Einstein comme le « père spirituel del’Hapoel et de chacun d’entre nous. Nous l’aimions, il représentait un symbolequi nous unissait tous ». Et ses amis de plaisanter qu’Einstein devait seretourner dans sa tombe en recevant les éloges d’un supporter de l’équipeennemie de l’Hapoel, le Beitar Jerusalem – en l’occurrence le Premier ministreBinyamin Netanyahou – avant d’ajouter que cela prouvait à quel point l’ensemblede la société l’estimait.

Fan de Beitar oupas, Netanyahou a évoqué la considération profonde qu’il avait pour Einstein.« En venant, j’ai entendu à la radio tes paroles qui montraient à quelpoint tu aimais la Terre d’Israël », a dit Netanyahou, s’adressant audéfunt. « Arik, nous t’avons tous aimé énormément. Nous avons tous grandisur tes chansons, ri aux larmes à tes sketches, et été émus en regardant tesfilms. Ton art est ancré dans le peuple d’Israël et le restera à jamais ».

Le contrasteentre Einstein, le modeste génie des mots, et les fastueuses pop-starsd’aujourd’hui a souvent été relevé. D’autant plus que sa mort fait suite àl’énorme scandale sexuel qui a fait les couvertures des médias pendant plusd’une semaine, impliquant Eyal Golan, le géant de la musique en Israël.

Changer le monde

Des politiques detous horizons – gauche, droite, religieux, laïques, Juifs et Arabes – ontégalement rendu hommage à Einstein, mercredi 27 novembre. En plus de Netanyahouet de sa femme Sara, la vice-ministre des Transports Tzipi Hotovely (LikoudBeiteinou), la députée Stav Shaffir (Avoda), et d’autres députés ont assistéaux funérailles.

A la Knesset, leprésident de la commission pour l’Education, la Culture et le Sport, AmramMitzna (Hatnoua), a ouvert une séance en présence de chefs d’établissementsscolaires, par le clip de la chanson d’Einstein Toi et moi, allons changer lemonde. « La nuit dernière, nous avons été frappés d’une grande tristesseen apprenant la mort de notre chanteur national, Arik Einstein, aimé detous », a déclaré le président de la Knesset, Youli Edelstein. « Arika chanté Toi et moi, allons changer le monde. J’espère que ce parlementcontinuera à changer le monde pour le meilleur, pour les citoyens d’Israël ».

Des membres de laKnesset, du parti HaBayit HaYehoudi à celui de Hadash, ont également entaméleurs interventions par un hommage à Einstein. Le vice-ministre des relationsavec le gouvernement, Ophir Akunis (Israël Beiteinu), a déclaré que persuaderle reste du monde d’être plus strict avec l’Iran à propos de ses capacitésnucléaires pouvait être l’une des formes de ce changement. Le ministre del’Economie, Naftali Bennett (HaBayit HaYehoudi), a rappelé avoir utilisé leschansons d’Einstein lorsqu’il était conseiller des Bnei Akiva. Il a cité lesparoles « Comme je t’aime, Terre d’Israël, pourquoi suis-je si triste,Terre d’Israël ».

Les députésultraorthodoxes ont souligné que les enfants et les petits-enfants d’Einsteinsont religieux. « Il les aimait beaucoup et était fier d’eux », a ditle député Ouri Maklev (Judaïsme unifié de la Torah) à propos de la famille duchanteur. « Il y a deux ans, je l’ai vu au mariage de son petit-fils… J’aivu la façon dont il l’a enlacé son petit-fils et le grand amour qu’il luiportait. En plus de ses chansons, cet héritage juif est plus important que toutce qu’il peut laisser derrière lui ».