Le Cinéma de la réconciliation

Sur les 20 pays représentés au festival du film Religion Today (la religion aujourd’hui) de Trente en Italie, l’Iran et Israël sont les plus prolixes

Le Cinéma de la réconciliation (photo credit: DR)
Le Cinéma de la réconciliation
(photo credit: DR)
«Je voudrais que vous soyez le premier Israélien à voir mon film », déclare un cinéaste iranien, en remettant une copie DVD de son film long métrage à un réalisateur israélien, lors d’un festival de cinéma italien. Le film, intitulé Le quatrième enfant, raconte l’histoire d’un travailleur humanitaire iranien qui sauve un bébé africain en Somalie.
Attendez ! Stop ! Retour arrière. Un geste de convivialité entre un Iranien et un Israélien ? Une mission humanitaire iranienne en Afrique ? Que se passe-t-il ici ?
En fait, il s’agit du 17e festival de cinéma Religion Today (la Religion aujourd’hui) à Trente, en Italie, un événement annuel qui rassemble cinéastes chrétiens, musulmans et juifs du monde entier, et présente des films dont le sujet tourne autour du dialogue interreligieux, de la compréhension interculturelle et de la spiritualité.
« Trente est vraiment le lieu idéal pour un festival de ce genre », déclare la directrice artistique du festival Katia Malatesta. Cette ville du Nord de l’Italie a, en effet, été le théâtre du fameux rassemblement du XVIe siècle qui a tenté de combler le fossé entre le protestantisme et le catholicisme.
« Le Concile de Trente a certes échoué dans sa mission, mais l’idée de réconciliation semble vivre dans ce que nous essayons de faire ici », ajoute Malatesta. Journaliste et dramaturge, sa production musicale originale sur la coopération interconfessionnelle entre les aumôniers pendant la Première Guerre mondiale a été projetée en avant-première au festival, cette année.
Sur les 20 pays représentés au festival, le plus grand nombre de films, curieusement, proviennent d’Iran et d’Israël.
L’autre visage de l’Iran
Puisque les opus israéliens ne sont pas projetés en Iran, le festival a permis à certains des six cinéastes iraniens participants de s’initier pour la première fois au cinéma israélien. De même, vu que la couverture médiatique du régime des Mollahs en Israël se cantonne essentiellement à la sphère politique, la plupart des participants israéliens ont acquis un nouveau regard sur certaines facettes ignorées de la société iranienne. Ainsi, ils ont été surpris de découvrir la contribution importante de l’Iran en matière d’aide humanitaire en Afrique. La mission présentée dans Le quatrième enfant met en vedette l’actrice iranienne Mahtab Keramati qui, dans la vraie vie, travaille pour l’UNICEF.
Un autre film iranien, un court-métrage de fiction intitulé « Rangan 99 », semble briser les stéréotypes ethniques, même aux yeux des spectateurs iraniens. Le scénario se déroule sur fond de guerre Iran-Irak dans les années 1980-1988. La première scène montre un prisonnier de guerre irakien conduit à travers le champ de bataille par un soldat iranien. Quand ils trébuchent sur une mine, les deux protagonistes réagissent à la catastrophe qui s’ensuit de façon si humaine qu’ils finissent par apparaître comme des héros. Le jeune réalisateur iranien Tiyam Yabandeh, 27 ans, narre son épopée sans avoir recours au moindre dialogue mais avec un flair visuel, qui rappelle les œuvres du réalisateur iranien oscarisé Asghar Farhadi. Yabandeh a, de toute évidence, une grande carrière de cinéaste devant lui.
Une femme rabbin et un cardinal juif
Un autre long-métrage présenté au festival utilise un narratif cinématographique poétique : Regina, un documentaire sur la première femme au monde à avoir été ordonnée rabbin.
Le film dépeint la lutte de Regina Jonas face à l’establishment rabbinique de Berlin dans les années 1930, ainsi que son travail inlassable de rabbin avant sa déportation au camp de concentration de Theresienstadt. Jonas finira dans les cendres d’Auschwitz. Elle laisse derrière elle une seule photo et une valise de lettres qui ne seront découvertes que dans les années 1970.
Ce peu de matériel ne décourage pas la cinéaste hongroise Diana Groo, qui tisse habilement sa trame grâce à des images d’archives allemandes du début des années 1900 qu’elle fait défiler au ralenti, image par image, accompagnées en voix off par la lecture des lettres de Jonas. La réalisatrice plonge ainsi le spectateur dans l’univers de la jeune femme, et dépeint la vie en Allemagne sous les yeux de Jonas. L’impact émotionnel associatif rappelle un autre film au style innovant, basé sur des images d’archives : Children of the Sun (Enfants du soleil), du cinéaste israélien Ran Tal, en 2007, une épopée sur la vie au kibboutz.
Presque sur mesure pour le festival, Le cardinal juif est un film biographique sur Jean-Marie Lustiger, juif converti au christianisme dans sa jeunesse qui finira archevêque de Paris. Lustiger a continué à entretenir des relations étroites avec sa famille juive, dont son père né en Pologne, survivant de la Shoah, tout en étant parallèlement le confident du pape Jean-Paul II, lui aussi d’origine polonaise.
Dans le film, le cinéaste français Ilan Duran Cohen montre le dilemme de Lustiger déchiré par sa double identité. Il doit faire face aux conséquences politiques d’événements comme l’épisode des carmélites qui veulent construire un monastère à Auschwitz. Ou encore la demande de son père mourant qui souhaite voir son fils réciter le kaddish, la prière juive du deuil, lors de ses funérailles.
Cohen cherche également à briser la vision caricaturale et simpliste de cardinaux et de papes rigides et unidimensionnels. Pour cela, il a recours à une forme de licence poétique assez audacieuse. Il met en scène Lustiger et Jean-Paul II, lancés l’un contre l’autre dans une course à la nage, dans une piscine, vêtus seulement de leurs sous-vêtements.
Antisémitisme en images
Les films projetés au festival ne peignent pas tous, cependant, un tableau idyllique des relations interconfessionnelles. Le film espagnol Un Dieu interdit raconte l’histoire de missionnaires catholiques clarétains assassinés pendant la guerre civile espagnole.
Le Kalusz que je pensais connaître, un documentaire israélien, dénonce les croyances antisémites transmises par l’Eglise au cours des siècles. Dans le film, on interroge un vieil agriculteur ukrainien de 85 ans à qui l’on demande pourquoi Hitler voulait tuer les Juifs. Et celui-ci de répondre : « Il fallait punir les Juifs pour avoir crucifié Jésus-Christ. »
Soulever le sujet de l’antisémitisme au festival du film de Trente tombe à point nommé. La ville a en effet été le cadre d’une célèbre accusation de crime rituel en 1475, lorsque le cadavre d’un enfant chrétien de deux ans, nommé Simon, est découvert pendant la semaine de Pâques. Les rumeurs se répandent rapidement : l’enfant aurait été assassiné par les Juifs pour utiliser son sang dans la cuisson de la matsa de Pessah. L’ensemble de la communauté juive est alors arrêtée et forcée de confesser sous la torture. Quinze Juifs sont brûlés sur le bûcher.
Cet événement majeur inspire les accusations de meurtres rituels qui se propagent dans les villages à travers l’Europe et conduisent à des pogroms qui vont continuer pendant des siècles. Par ailleurs, Simon est vénéré par la communauté catholique locale et une chapelle est construite en son honneur.
Cette chapelle, située juste au coin de la salle de cinéma, le Teatro San Marco, où se déroule le festival de cinéma Religion Today, a été transformée en galerie d’art privée. Sur le plafond du bâtiment, une fresque colorée représente l’assassinat présumé du jeune Simon. La peinture grandeur nature montre des Juifs barbus coiffés de turbans, en train d’étrangler un garçonnet à l’air angélique tout en prélevant le sang de ses cuisses nues.
En 1992, l’Eglise catholique prend finalement des mesures pour dénoncer l’hérésie de cette histoire, et pose, avec le concours de la communauté juive, une plaque de réconciliation en centre-ville.
Plus encore que par la pose de cette plaque, la ville de Trente semble faire amende honorable à travers le festival Religion Today – un exemple unique que d’autres festivals internationaux feraient bien d’imiter.
Un pas vers le dialogue
En Israël, les trois grands festivals de cinéma du pays (DocAviv de Tel-Aviv, le Festival international du film de Jérusalem et le Festival International du film de Haïfa) présentent régulièrement des films traitant du judaïsme. Mais aucun n’offre une sélection d’opus centrés spécifiquement sur les autres religions ou sur le dialogue interreligieux.
Seul le Festival du film juif de Jérusalem peut se targuer d’avoir fait un pas dans cette direction. Ces dernières années, il a permis la projection d’une sélection de films interconfessionnels provenant du festival de Trente, Religion Today. Mais l’édition prévue cette année du 16 au 23 décembre, n’a pas toute latitude pour faciliter la réconciliation, note le directeur artistique du festival Daniella Tourgeman.
« Seuls les films iraniens qui font l’objet d’une coproduction étrangère, généralement européenne, sont distribués en Israël », explique Tourgeman, qui siège également cette année au jury international du festival Religion Today.
Or, ni Le quatrième enfant ni Rangan 99 n’ont de coproducteurs étrangers, note-t-elle. Les spectateurs israéliens devront donc attendre une opportunité de voir ces films remarquables.
© Jerusalem Post Edition Française – Reproduction interdite