Le festival de Cannes, dans l’ombre et la lumière

Mirage doré, fête glamour, Cannes n’a rien perdu de son éclat.

P20 JFR 370 (photo credit: Reuters)
P20 JFR 370
(photo credit: Reuters)

On le sait, le festival de Cannes est une des manifestationscinématographiques les plus importantes au monde et aussi une des plusmédiatisées. Pendant 10 jours, la planète palpite au rythme des stars quidéfilent et des films signés par les grands noms du 7e Art.
Ce 66e Festival n’a pas échappé à ses multiples traditions comme la mythiquemontée des marches sur le désormais célèbre tapis rouge, parfois glissant etimbibé de pluie, mais qui suscite toujours autant d’envie. Les grands hôtelsbourrés de stars et interdits au public. Ou encore cette Croisette envahie parles « gens » du métier.
Car ici dans l’antre des privilégiés, pas de places pour des festivaliers «normaux » ou néophytes en mal de cinéma. La règle d’or de Cannes et le sésamede cette « transe collective » est un badge aux différentes couleurs. Cetteaccréditation, miroir aux alouettes, vous permet ou vous interdit d’accéder auxdifférentes sélections, aux plages, aux hôtels… Car aucun ne vous autorisel’entrée à la grande soirée de 19 heures et à l’ascension convoitée des marchesqui vous avale dans le tourbillon de la compétition et des stars. Ainsi, commel’a noté la directrice d’une célèbre école française de cinéma, ces badges quel’on obtient si facilement scellent davantage votre exclusion et signent votrenon-appartenance à ces différentes castes.
Rencontres au hasard de… 
D’autres, comme Sophie Dulac qui est là pourtravailler, haussent les épaules. Productrice, distributrice exploitante, ellevirevolte avec grâce et passe d’une projection à une autre et à ses multiplesrendez-vous sans état d’âme… Pourtant dès 20 heures, elle dîne tranquillementet se retire dans son hôtel aux tentures rougeoyantes et aux allures de manoiranglais.
Robert Sender, célèbre journaliste de la communauté juive a réglé le problème,il va à toutes les projections à 8 h 30 du matin et ne fréquente aucune de cesfêtes tant convoitées.
L’acteur Stéphane Freiss suivi de son producteur arpente les lieux du crime,cherchant pour son premier long-métrage, en tant que réalisateur, un producteurisraélien. Rodé aux ficelles de ce jeu, il confesse qu’après deux jours « c’estbon ». Star oblige, il ne fera pas l’économie de la montée des marches, letemps d’un soir, au bras de la superbe réalisatrice et écrivain GéraldineMaillet… Quant à Michel Abramowicz, le chef opérateur en titre du réalisateurAvi Nesher, président de l’AFC (association française du cinéma), il faitpartie du jury de la Caméra d’or qui récompense un premier film et dont laprésidente est Agnès Varda. Le temps se déroule au rythme des projections, ce quiarrange ce technicien hors pair qui fuit les mondanités sous toutes ses formes…mais qui avoue être ravi du dîner de clôture qui réunira tous les membres dujury de toutes les catégories.
Son de cloche opposé chez la productrice Nelly Kasfi qui vient de coproduire unfilm avec Marek Rozenbaum, sur le destin tragique du joueur de boxe juif YoungPerez qui finira à Auschwitz. Elle fera, en compagnie du metteur en scèneJacques Ouaniche et de l’acteur Brahim Asloum, « une montée des marches ». Lasortie du film étant prévue en octobre, Cannes est donc un moyen de faireconnaître cette oeuvre franco-israélienne.
Le caricaturiste israélien Michel Kichka était là aussi et exposait dansl’enceinte du Palais des festivals ses célèbres dessins en compagnie de Plantu.La traversée de la mer Rouge semblerait plus facile que les 200 mètres qui nousséparaient… Barrages de police, marée humaine… Voitures noires aux vitresteintées amenant peut-être celui qui nous recherchions… 
Mais où donc est passéSteven Spielberg ?
Ainsi l’homme de La Liste de Schindler et de Munich, est leprésident du Festival. A force de le voir à la « une » des magazines et à latélévision, on finit par croire comme l’enfant de E.T. qu’on pourrait letoucher du doigt, ici au coeur des étoiles… On a beau arpenter les lieux entous sens à travers cette foule si dense qu’on peut à peine mettre un pieddevant l’autre, l’homme est invisible. On aurait tant de choses à lui demander…On connaît son lien fort avec Israël et l’extraordinaire travail qu’ilentreprend sur la mémoire, en filmant à travers sa fondation des milliers detémoignages d’anciens déportés. On murmure qu’il se serait réconcilié avecLanzmann, ici dans ce lieu improbable et si loin de Pitchipoï.
On se souvient de cette querelle historique entre les deux hommes à proposd’erreurs insoutenables pour le réalisateur de Shoah dans La Liste deSchindler. Notre demande d’interview a été déclinée poliment avec beaucoupd’amabilité par l’assistante de Spielberg… Mais en dehors des paillettes, lefestival de Cannes est un marché où tous les gens de cinéma ont desrendez-vous, font des affaires. Stands, villages. Tous les pays du mondedéploient leurs bannières.
Israël à l’honneur 
Israël, bien sûr, n’est pas en reste à Cannes avec ledéveloppement, ces quinze dernières années, de ses productions comme l’attestela fébrilité de Katriel Schory, directeur de l’Israël Film Fund qui court d’unendroit à l’autre et donne ses rendez-vous dans l’immense stand israélien dumarché.
Le temps du festival, on peut voir les films israéliens produits en 2013 etsusceptibles d’être achetés par différents pays.
Parmi eux citons Cupcakes d’Eytan Fox, Le congrès d’Ari Folman, Water de YaëlPerlov. Ciné fondation qui propose des courts métrages d’étudiants compte quatreproductions israéliennes, ce qui montre la bonne santé des écoles, qui, nel’oublions pas, sont au nombre de 17, chiffre mirobolant pour la surface dupays.
L’école Sam Spiegel située à Jérusalem a été sélectionnée pour le film de Gande Lange : Babaga. C’est au cours d’une grande soirée sur la plage donnée parKatriel Schory en l’honneur du cinéma israélien que l’on peut croiser lespersonnalités israéliennes. On évoque le dernier film d’Ari Folman Le congrès,projeté en ouverture de la quinzaine des réalisateurs.
Diamétralement opposé à Valse avec Bachir, ancré dans un contexte politiqueisraélien, Le congrès est un film de sciencefiction mi-réel, mi-animé. Toutautant extraordinaire en émotion qu’en fantaisie : Ari Folman emmène sonspectateur là où on ne s’y attend pas. Le Congrès sort en Israël début juin.
La Cinémathèque de Jérusalem est aussi représentée dans le village, enceinteplus aérée, sorte de grand chapiteau.
Sur la croisette, on va également croiser Raphaël Nadjari et l’équipe de A strangecourse of events. Un homme est arrivé essoufflé à 14 heures sur une des plagesoù la « dream team » du dernier film de Nadjari (Tehilim, Avanim) lui avaitdonné rendez-vous. C’est Moni Moshonov, l’acteur de James Gray qui est aussi àCannes pour un autre long-métrage, The Immigrant. Dans le film de Nadjari, MoniMoshonov, avec son talent habituel, incarne un père qui revoit son fils aprèsdes années d’absence.
Entièrement tourné à Haïfa, ce film évoque avec beaucoup d’émotion les liens etles relations familiales. Présenté à la quinzaine des réalisateurs aussi, il aété ovationné par un public amateur de films israéliens et qui recherche uncinéma plus confidentiel loin des robes longues et des crépitements de flashs… 
Coup de coeur : Claude Lanzmann
Lui qui déteste les officiels qu’il appelle «le mobilier national » a eu droit au toit du monde, au haut du panier pour saprojection hors compétition de son documentaire Le dernier des injustes. Onjacasse dans la salle, on échange des sourires. La première dame du pays est làsous les traits de Valérie Trierweiler, qui a fait le déplacement exprès toutcomme Aurélie Filippetti, ministre de la Culture.
Dans la salle on reconnaît quelques têtes, Serge Toubiana, directeur de laCinémathèque, le cinéaste Arnaud Desplechin. Tous sont venus pour assister à lagrandmesse lanzmanienne, à cet incroyable film coup de poing qui dure 3 heures38 minutes. Je tue les nazis avec ma caméra, aime à répéter ce cinéaste degénie qui encore une fois nous a surpris avec le témoignage de BenjaminMumelstein, qui était au conseil des juifs dans le camp de Theresienstadt.
Seul survivant, il collaborera avec Eichmann pendant sept ans. Comme à sonhabitude, Claude Lanzmann déroute, et laisse le choix au spectateur de décidersi cet homme retiré à Rome et dont l’intelligence n’a rien perdu de son acuitéest coupable. Réfutant la théorie d’Hannah Arendt et sa banalité du mal,Mumelstein, à force d’argument, démontre comment le mal chez Eichmann est à laracine de cet être, voleur et voyou dès son premier âge.
Un film d’une force inouïe qui révèle sur Theresienstadt des informationsessentielles et montre que ce camp modèle pour les nazis était aussi un enferhorrible où tout était faux : « on fait comme si », répète Mumelstein. Un peucomme à Cannes…