Rendre à la femme, ce qui est à la femme

Elles ont largement contribué aux fondements de l’Etat : il était normal qu’un musée leur soit dédié. Tel est du moins le souhait de Yaël Nitzan

Musee des femmes (photo credit: Israel21c)
Musee des femmes
(photo credit: Israel21c)

Un palais de Haïfa, vieux de 200 ans, abritera prochainement le Musée de laFemme israélienne. Dès que Yaël Nitzan aura collecté les six millions dedollars nécessaires au projet. Nitzan est productrice de télévision etféministe dans l’âme. Spécialiste en histoire de l’art et auteure, elle imaginece musée depuis des années. Son rêve a finalement fait un pas de géant, lorsquela municipalité de Haïfa a accepté de lui allouer ce site.

Si Israël compte le ratio le plus élevé au monde de musées par habitant,aucun d’entre eux n’est dédié aux femmes, actrices méconnues des réseauxsociaux, agricoles et commerciaux du pays. “Je raffole des histoires quiracontent tout ce que les femmes ont accompli en Israël”, s’exclame Nitzan.

La majorité des 40 femmes qui figureront dans les expositions du musée neseront pas toutes aussi célèbres que Golda Méir, première et unique femmePremier ministre du pays. Même si cette leader d’exception fait bien sûr partiede la sélection. “Golda Méir a apporté 100 millions de dollars à Israël : 50millions au début de la guerre d’Indépendance ; et 50 millions après. BenGourion lui avait demandé de se rendre en Amérique, alors elle a rassemblé despetits groupes de femmes dans chaque ville pour collecter des fonds. Ce sontdonc les femmes qui ont réellement bâti le pays !”, souligne Nitzan.

Elles ont aussi été quelque 4 000 à servir dans la Brigade juive de l’arméebritannique, dont Sonia Peres, la défunte épouse du président Shimon Peres. Et“cinq femmes originaires de ce corps d’armée ont ensuite fondé la division desfemmes de l’armée israélienne”, déclare l’ancienne capitaine de Tsahal.

Au cours des dernières années, Nitzan a glané des idées aux musées desFemmes du Danemark, de New York et à partir d’une exposition itinérante sur lesfemmes innovantes aux Etats-Unis. Pourtant, les musées consacrés aux femmes nereflètent pas la norme, même dans les grands pays. Pas de quoi découragerNitzan. “Rien n’égale Israël dans le monde”, rappelle-t-elle. “Et rien ne vautles femmes d’Israël !”

Pilotes de chasse, agricultrices, scientifiques

Tout a commencé voilà plusieurs années, quand Nitzan est invitée par un amià une conférence de l’historienne Esther Carmel-Hakim, qui compte parmi lesprincipales expertes sur les femmes d’Israël. Carmel-Hakim présente alors sathèse de doctorat sur Hanna Maisel (1883-1972), l’une des huit personnalitésdont elle a rédigé la biographie pour l’Encyclopédie des femmes juive en ligne.

Maisel, un doctorat en agriculture en poche, avait quitté l’Europe pours’installer en Palestine et y fonder des fermes et des écoles d’agriculture pourfemmes, entre 1911 et 1926. Elle récolte des donations de femmes en Suisse eten Allemagne et contribue à fonder la WIZO, organisation internationalesioniste pour les femmes, en coopération avec Rivka Ziv (Rebecca Sieff), qui aégalement mis en place ce qui deviendra plus tard l’Institut Weizmann desSciences.

Ziv figure bien sûr sur la liste de Nitzan, à l’instar de Rachel YanaitBen-Zvi, “deuxième femme la plus importante en Israël après Hannah Maisel”.Elle a enseigné aux femmes de Jérusalem comment traire les vaches, fairepousser des légumes et préparer du fromage. Grâce à elle, les femmes étaient enmesure de produire leur propre nourriture, et leurs maris pouvaient ainsi vaquerà d’autres occupations, telles que la construction de l’Etat ! Carmel-Hakim aaidé Nitzan à choisir les femmes de son exposition. Son objectif : promouvoirla contribution des femmes en Israël en les exposant dans tous les musées.

“Et pas dans un seulement !” Dans le cadre du cours “Femmes en Israël” qu’elledispense à l’Université de Haïfa, Carmel-Hakim a emmené ses étudiants au muséede Rishon Letzion, où ils ont découvert de notables immigrantes, tels qu’EstherShapira, première enseignante du pays pour les tout petits.

Egalement au programme : l’Institut Ayalon, près de Rehovot, où les femmespréparaient des balles dans une usine souterraine secrète pendant la guerred’Indépendance. “J’essaie de placer Shoulamit Goldstein, la première femmepilote, au Musée de l’Aviation”, déclare Carmel-Hakim. Cette immigranteukrainienne née en 1914 a appris à voler dans une formation en Egypte. Plustard, elle a rejoint une brigade de travail à Rosh Pina, a enseigné à l’écolematernelle (le Premier ministre Ehoud Olmert compte parmi ses élèves), et géréun élevage de volailles.

Expositions de femmes d’exception

Dans les années 1930, plus de 20 % des médecins en Palestine étaient des femmes,souligne Carmel-Hakim. “Et les femmes dentistes étaient plus nombreuses queleurs confrères masculins.” La spécialiste suggère également que la premièrePremière dame du pays soit représentée.

Vera Weizmann, médecin, a aidé à la réhabilitation des blessés durant laguerre d’Indépendance, recueilli des fonds pour établir le centre médical deTel Hashomer, et travaillé pour le compte du département de l’Aliya pour lajeunesse.

Autre proposition : Dorothy Bar-Adon, une journaliste du New-Jersey qui aintégré l’équipe du Palestine Post (devenu le Jerusalem Post) en 1933. “J’aideraiYaël par tous les moyens, pour que les femmes s’inscrivent dans notre mémoirecollective et notre système éducatif”, s’est engagée Carmel-Hakim.

Nitzan, commissaire d’une exposition d’une cinquantaine d’artistesféminines de Haïfa, dans le cadre de la Journée internationale de la femme, le8 mars de l’année dernière, a annoncé que ses archives personnelles sur lesfemmes israéliennes seront installées dans le futur musée. Elle espère tenir lerôle de directrice d’ici peu. “Je pense que nous terminerons d’ici deux ans”,assure-t-elle avec la confiance d’une femme qui a produit plus de 45 films et100 émissions de télévision sur 25 ans.

“Nous voulons organiser une convention annuelle dédiée aux femmes etremettre un prix. Seuls 10 % des lauréats du Prix d’Israël sont des femmes,tandis que 80 % des artistes d’Israël sont des femmes”, remarque-t-elle. LeMusée de la Femme israélienne comprendra un mémorial en souvenir de cescentaines de femmes soldates tombées durant leur service militaire, et Nitzanenvisage également des cours pour officiers de sexe féminin sur place.