Voyage dans le monde de l’humour juif

Co-écrit par André Djaoui et de Philippe Grimbert, le Retour a fait un carton lors de sa tournée en Israël. Entre ashkénaze et séfarade, humour noir et franche comédie, la pièce trouve le ton juste

Gabriel Villa et Jean Pierre Benaym (photo credit: SAGI ELRON)
Gabriel Villa et Jean Pierre Benaym
(photo credit: SAGI ELRON)

C’est une salle comble et enthousiaste qui s’est déplacée au théâtre Beit Shmuel de Jérusalem le 9 mars dernier pour assister à la prestation des acteurs Jean-Pierre Benaym et Gabriel Villa. Très ancrée dans l’histoire juive et israélienne, le Retour met en scène un Juif polonais rescapé des camps de la mort et réfugié en Amérique (interprété par Gabriel Villa), venu rechercher son amour de jeunesse connu à Varsovie, dans le Jérusalem des années 1990. Obstacle conséquent, cette dernière, installée en Israël depuis la fin de la guerre, a épousé un médecin juif séfarade (incarné par Jean-Pierre Benaym) il y a déjà de nombreuses années. Et c’est dans l’idée folle de convaincre ce dernier de lui laisser sa femme, que notre ami ashkénaze se présente à son bureau médical. Un défi osé et impossible, pour un homme n’ayant plus rien à perdre.

Loin d’être grotesque, cette pièce se veut universaliste, désireuse d’aborder le thème de l’amour passionnel, avec comme cadre le destin de deux Juifs marqués par la vie et l’Histoire. La question des affres de la Shoah est évidemment évoquée, Gabriel Villa étant particulièrement convaincant et doué dans le rôle de l’Ashkénaze, frappé dans sa chair par les événements de la Seconde Guerre mondiale. Jean-Pierre Benaym est lui aussi très juste dans l’interprétation de ce Juif d’origine tunisienne, installé dans la Ville Sainte depuis sa lointaine jeunesse, dont la jalousie et l’humour feront rire au-delà des frontières confessionnelles. Mais l’atmosphère typique de Jérusalem est elle aussi rendez-vous. Les décors, les appels à la prière du muezzin et les cloches des églises de la Vieille Ville en effets sonores, permettant d’amplifier ce sentiment au grand plaisir du public. Une pièce certes francophone, mais surtout sioniste, dont les répliques révèlent un attachement sensible et avéré à l’égard de l’Etat hébreu.
De la drôlerie dans l’horreur
Mais le génie de cette pièce réside surtout dans sa capacité à provoquer des rires, malgré une histoire plus tragique qu’humoristique. La finesse des dialogues et les situations absurdes sont omniprésentes, ponctuées par un humour juif ashkénaze délicieux. Pourtant tournée vers le passé noir du peuple juif, Le Retour cherche avant tout à peindre l’amour de jeunesse fougueux d’un sexagénaire new-yorkais, aussi atypique que sympathique, dont le verbe est digne de la légèreté légendaire de l’humour juif nord-américain. Petite ombre au tableau, on regrettera les stéréotypes un peu trop présents dans l’histoire des protagonistes. L’image du businessman juif américain ambitieux et coureur et celle du juif séfarade devenu médecin car meurtri par la mort de sa mère, étant des raccourcis, un peu trop vus et revus dans l’imaginaire collectif. Un défaut cependant amoindri par la cocasserie de la confrontation entre les cultures séfarade et ashkénaze, dont la pièce est spécialement imprégnée. L’absence de longueurs et de situations superflues permet, elle aussi, de captiver l’auditoire, pressé de connaître le dénouement de ce conflit sentimental. Une mission donc accomplie pour Djaoui et Grimbert, qui grâce aux talents artistiques de leurs acteurs, ont réussi à porter cette pièce, jusqu’à rendre attachants ses personnages. Une bulle d’air, aussi, pour la scène théâtrale hiérosolymitaine, qui manque encore jusqu’à présent de comédies francophones de qualité. Pour clore la représentation, les acteurs ont tenu à remercier l’auditoire de sa présence et de ses rires persistants.
On retiendra particulièrement le sionisme ardent de Gabriel Villa, qui a déclaré : « J’adore cette terre pour laquelle j’ai des sentiments profonds. J’ai de nombreux amis juifs et je ressens du plaisir et de la fierté de jouer ici. Je suis un vrai sioniste. Je comprends l’attachement à la terre, étant corse moi-même. J’étais déjà venu dans ce pays avec Jean-Pierre, et c’est toujours un plaisir de revenir. Je fais partie des gens qui défendent cet Etat ». Pour Jean-Pierre Benaym, connu en France par sa marque de prêt-à-porter haut de gamme Façonnable, installé en Israël depuis un an, cette tournée israélienne était un véritable défi à relever : « Nous sommes vraiment satisfaits. Au départ, on nous avait déconseillé de jouer dans toutes les grandes villes israéliennes, le public risquant de ne pas être forcément au rendez-vous. Mais nous l’avons quand même fait et ce fut une réussite. Toutes les salles étaient pleines. On réfléchit même maintenant à traduire la pièce en hébreu. Ce rôle m’a permis de me conforter dans mon identité israélienne ». Quant aux éventuelles hostilités que la pièce pourrait engendrer en France en raison de ses attaches israéliennes, ce dernier ne semble pas inquiet : « Nous avons d’ores et déjà joué dans plusieurs grandes villes françaises où nous avons rencontré le même enthousiasme. Nous avons même joué dans un quartier sensible de Toulouse sans le moindre débordement. » Une vision partagée par Gabriel Villa, pour qui la pièce est l’occasion pour les Français de mieux connaître la culture juive trop inconnue du public.
Pour les Franco-Israéliens ayant malheureusement raté la présentation de la pièce dans l’Etat juif – la tournée israélienne ayant fait sa dernière prestation à Ashdod le
10 mars – Le Retour sera en représentation en France du
30 mars 2014 au premier semestre 2015, et passera par toutes les grandes villes. Rendez-vous pris.