De la dissuasion à la prévention ?

Après l’attentat faisant 5 morts israéliens, Israël réfléchit à ses prochains pas

bourgas (photo credit: Stoyan Nenov/ Reuters)
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(photo credit: Stoyan Nenov/ Reuters)

Le général debrigade Danny Efroni, avocat général de Tsahal, aime les livres. Derrière sonbureau des quartiers généraux de l’armée, la Kyria à Tel-Aviv, de lourdsouvrages de droit, des arrêtés de la Cour suprême et des analyses de loismilitaires internationales s’entassent jusqu’au plafond. Avec sa couverturenoire et son titre jaune, un livre en particulier attire le regard : Preemption(en français : anticipation), cosigné par le professeur d’Harvard Alan Dershowitz.

Le texte analyse les menaces terroristes modernes qui pèsent sur le mondeoccidental. Monde occidental, qui selon l’auteur, doit passer de la politiquede dissuasion à la prévention. Ce livre n’est pas là par hasard.
Mercredi 18 juillet, quelques heures après l’attentat à la bombe de Damas qui afait plusieurs morts dans l’entourage proche du président syrien Basharel-Assad, le chef d’état-major Benny Gantz tenait une réunion de hauts gradés.Etaient réunis des officiers du renseignement militaire, du commandement Nord,de l’aviation ainsi qu’Efroni. Les services secrets étaient là pour informer dela situation en Syrie, le commandement Nord devait faire état de sondéploiement le long de la frontière et l’armée de l’air garantir son niveaud’alerte. Quant à Efroni, il devait apporter un éclairage légal sur certainsaspects pouvant émerger de la révolte en Syrie.
Parmi les possibilités abordées : et si le Hezbollah ramenait au Liban lesarmes chimiques syriennes ? L’Etat hébreu pourrait-il alors exercer un droit depréemption en attaquant le complexe militaire ? La même question se poseconcernant le programme nucléaire iranien. A l’heure actuelle, le Renseignementisraélien le confirme, Téhéran ne construit pas encore de bombe. Jérusalem at-elle pour autant le droit de lancer une attaque préventive contre lesinfrastructures nucléaires des Mollahs ? En l’absence de justification valable,Israël peut néanmoins faire usage de l’attaque en Bulgarie pour motiver desreprésailles contre l’Iran ou le Hezbollah. Une telle action pourrait alorsmener à un plus large conflit, et voir l’Etat juif bombarder les arsenauxd’armes chimiques syriennes ou encore les complexes militaires syriens.
Mais est-ce vraiment ce que souhaite Jérusalem ? La décision en revient auPremier ministre Binyamin Netanyahou et à son cabinet, qui doivent réfléchir àleur réponse à l’attentat de Bourgas. Le contexte actuel rend assez peuprobable une réponse militaire. Le bombardement de Damas et la perte decontrôle toujours plus grande du clan Assad sur la Syrie présentent certes uncertain nombre d’impossibles défis à Israël. En particulier en ce qui concernela prolifération des armes chimiques. Riposter instinctivement à l’attentat enBulgarie pourrait avoir de larges répercussions et éventuellement distraireIsraël de la menace qui gronde pardelà le Golan.
Ne pas laisser passer

 

Les conversationstéléphoniques de Netanyahou et de son ministre de la Défense Ehoud Barak, le 18juillet au soir, avec le président américain Barack Obama et son secrétaire àla Défense Leon Panetta étaient en partie destinées à exprimer les condoléancesaméricaines, mais certainement plus encore à jauger les plans israéliens.
L’administration d’Obama ne veut pas être prise de court.
Il y a néanmoins un revers à la médaille. Si le gouvernement israélien neréplique pas, cette absence d’action contribuera notoirement à la détériorationde son effet de dissuasion. Message pour l’Iran et le Hezbollah : ces attaquessont tolérées et peuvent continuer. C’est pourquoi, en attendant, la réponseisraélienne passera par les voies diplomatiques.
Le Mossad, les renseignements militaires et le Shin Bet (Agence de sécuritéintérieure) travaillent à compiler des preuves concrètes de l’implication deTéhéran et des mouvances libanaises dans l’attaque en Bulgarie, ainsi que dansles attentats avortés ces dernières années en Thaïlande, à Chypre, en Turquie,à Azerbaïdjan, en Géorgie, en Inde et au Kenya.
Les ambassadeurs israéliens à l’étranger vont appeler les ministres desAffaires étrangères et les dirigeants de leurs pays respectifs -particulièrement en Europe - à imposer davantage de sanctions à l’Iran et àdéclarer le Hezbollah organisation terroriste illégale, comme c’est le cas parexemple aux Etats-Unis.
L’enquête israélienne sur l’attentat va se faire en coopération avec lesautorités bulgares. Les liens entre les deux pays sont solides depuislongtemps. A peine un mois avant l’attentat, des représentants du Mossad setrouvaient en déplacement à Sofia pour des réunions avec leurs homologues. Enjanvier dernier, les deux pays ont coopéré pour éviter une attaque semblablesur un bus israélien. Et en 2010, le chef du Mossad d’alors, Meïr Dagan, avaitrendu visite au Premier ministre bulgare Boyko Borisov. Une rare photo des deuxhommes avait alors été publiée.
A l’heure d’aujourd’hui, l’enquête cherchera avant tout à déterminer l’identitédu terroriste, comment a-t-il obtenu ses explosifs, qui les a assemblés pourlui, comment est-il entré en Bulgarie, d’où venait-il et pourquoi a-t-ilprécisément choisi ce bus-là. Une fois l’investigation achevée, de nouvellesmesures de sécurité devraient faire leur apparition dans le pays.
Une cible “de second rang”

 

Fait marquant pour Israël : l’attaque a eu lieu à la date du 18eanniversaire de l’attentat du Centre communautaire juive (AMIA) à Buenos Aires,attaque menée par l’Iran et le Hezbollah, qui avait fait 85 morts.
Le recours à un terroriste suicide ne fait pas partie des tactiques habituellesdu mouvement libanais, qui préfère en général laisser moins de traces derrièrelui. Lors des derniers attentats déjoués, des missiles aériens et des voiturespiégées devaient remplir leur sordide mission.
Rien de directement compromettant. Selon certains hauts gradés, le recours à unterroriste suicidaire signifie que le Hezbollah a compris que pour éviterl’échec, il fallait s’assurer qu’un être humain soit là pour appuyer sur ladétente et s’approcher de la cible. Le choix de cette dernière est également àsouligner. Si le Mouvement de Nasrallah cherchait à venger l’élimination de soncommandant Imad Moughniyeh, tué dans une explosion attribuée au Mossad, à Damasen 2008, il aurait certainement choisi une cible plus importante, telle qu’undiplomate israélien, une ambassade, un consulat ou une institution juive.
Un bus de touristes est considéré comme une cible “de second rang”. Elle estplus facile à attaquer, d’une part, parce que moins protégée, et ne provoquepas la même réaction israélienne qu’une attaque sur une ambassade, par exemple.
Quant à l’intérêt iranien dans cet attentat, il est double : venger leséliminations des scientifiques et des chefs terroristes attribuées au Mossad aucours des dernières années.
Et surtout, montrer sa tentaculaire capacité opérationnelle et lancer unavertissement à la communauté internationale : en cas d’attaque sur son sol,l’Iran n’hésitera pas à semer le chaos.
Quoi qu’il en soit, l’attaque survient à un moment clé dans l’affrontementirano-israélien. Alors que les négociations avec le groupe 5+1 ne progressentpas, les chances d’une frappe israélienne augmentent. Le silence de Jérusalem,après un an de menaces à peine voilées, n’en paraît que plus inquiétant pour lacommunauté internationale.
De plus, nous voilà en juillet, à seulement quelques mois de ce que Barak avaitqualifié de “zone d’immunité” iranienne, c’est-à-dire une période au cours delaquelle une frappe militaire ne serait plus effective pour stopper les plansde Téhéran. Bien que le ministre ait depuis changé de ton, il existe unefenêtre opérationnelle jusqu’à la fin de l’année qu’Israël ne voudra pasmanquer.
Historiquement, c’est ce laps de temps qu’a employé l’Etat hébreu pour attaquerdeux anciens réacteurs - celui de l’Irak en 1981 puis de la Syrie en 2007. Etl’été garantit aussi une bonne visibilité aux pilotes et aux équipes dereconnaissance pour localiser les cibles et évaluer les dégâts post-frappes.
Dernier argument à considérer : l’exercice israélo-américain de défenseantimissile prévu pour octobre. Les systèmes de défense antimissile américainsseront alors déployés en Israël, offrant un niveau supplémentaire de sécuritéau pays.
Toujours chaud, l’été au Proche-Orient risque cette année de l’être biendavantage.