Géorgie : le nouvel eldorado des Israéliens ?

Alors que les économies européennes sont dans le rouge, la Géorgie connaît un boom inédit. Les Israéliens l’ont bien compris, et profitent de ces opportunités dans le Caucase.

Georgie (photo credit: Bernard Dichek)
Georgie
(photo credit: Bernard Dichek)

La Géorgie a connu une mutation si soudaine que même sa jeune génération enest époustouflée. “Je me souviens que dans ma jeunesse, nous n’avions pas toujoursl’électricité, ni de quoi manger, juste des dons de la Croix-Rouge”, raconteLevan Danelia. Ce jeune banquier de 24 ans fait allusion au marasme économiquequi a frappé la Géorgie, après la chute de l’URSS puis tout au long des années1990.

Danelia évoque tout cela en montant les marches luisantes d’un immeubleimpeccablement restauré, le quartier général de la banque TBC, au coeur de lacapitale du pays : Tbilissi. Autour de lui s’active une foule de jeunesbusinessmen. La plupart a une vingtaine, voire une trentaine d’années.L’ambiance dynamique qui se dégage de l’entreprise témoigne d’une économie enpleine croissance. Alors même que la majorité des Etats européens sont encoreembourbés dans la crise économique et croulent sous les dettes, c’est le boomen Géorgie.

Les investisseurs israéliens n’ont pas été les derniers à s’en rendre compte,et se sont employés à profiter du potentiel qu’offre le pays. Rue Gudiashvili,une des principales artères de la capitale bordée de musées et de galeries : unimmeuble en construction. Il s’agit-là d’un projet d’appartements de luxeconduit par Itsik Moshé, d’une valeur de 15 millions de dollars. Cet Israéliennatif de Géorgie explique avec fierté le pourquoi et le comment d’un telinvestissement : “C’est très simple. Cela coûte moins cher de construire iciqu’ailleurs, par exemple en Roumanie ou en Hongrie, et les bénéfices sont bienplus élevés.”

Selon Moshé, émissaire de l’Agence juive en Géorgie à l’époque soviétique, lesIsraéliens auraient aujourd’hui investi dans une cinquantaine de programmesimmobiliers, pour un total de 300 millions de dollars. Avec son projetd’appartements de luxe, Moshé vise expressément les Géorgiens fortunés, dont lenombre augmente sans cesse.
Pourtant, il ne faut pas oublier que la grande majorité des 4,5 millionsd’habitants de ce petit pays du Caucase reste relativement pauvre, avec unsalaire moyen de 450 dollars par mois. Et ne seront donc pas prétendants auluxueux complexe de Moshé. Mais d’autres projets sont réservés à ce marché demasse, là encore proposés par des Israéliens conscients de la diversité desniches.

Un marché en pleine expansion

Oren Weiman est un expert en marketing. Il vient de s’installer récemmenten Géorgie, attiré par les opportunités commerciales du pays. Son premierconstat : les Géorgiens sont désireux d’acheter des biens de qualité malgréleur faible pouvoir d’achat. “Les gens ici n’ont pas l’argent pour consommer enquantité, comme en Israël.

Alors il a fallu adapter le marché à leurs besoins. Comme par exemple vendredes produits de marque, mais à l’unité, tels que les rasoirs ou les couchesjetables”, explique-t-il.

Les Israéliens ne sont pas les seuls étrangers à vouloir faire des affaires enGéorgie. Le magnat américain de l’immobilier, Donald Trump, a récemment annoncéla construction de deux gratte-ciel administratifs. La chaîne vestimentaireespagnole Zara s’apprête à ouvrir sa première boutique en Géorgie. Même chosepour le géant du fast-food américain, Wendy’s. Ce vent d’enthousiasme n’est passans rappeler la fièvre qui avait agité l’Etat hébreu au lendemain des accordsd’Oslo, quand le commerce international semblait désormais ouvrir grand sesportes aux investisseurs israéliens. Mais une fois encore, l’euphorie va-t-elledurer ? En 2008, la Géorgie était en guerre contre sa puissante voisine, laRussie. L’enjeu : préserver ses deux régions sécessionnistes d’Abkhazie etd’Ossétie du Sud.

Surnommée la “Guerre des Cinq Jours”, le conflit armé n’a cessé que sous lapression des gouvernements occidentaux, qui ont exigé un accord decessez-le-feu. Mais depuis, les deux pays ont rompu leurs relationsdiplomatiques et la tension reste palpable.

Mais s’il est quelqu’un de confiant quant à l’avenir de ce nouvel Eldoradocaucasien, c’est bien Dimitri Gvindadze, ministre des Finances de Géorgie. Ilrappelle que le conflit avec la Russie a eu lieu la même année que la crisefinancière, qui a provoqué la faillite de nombreuses institutions financièresdans le monde entier.

“Alors qu’en ce qui nous concerne, nous n’avons pas eu besoin de plans desauvetage bancaires, et les investisseurs n’ont pas fui le pays”, a-t-ildéclaré lors d’une conférence de presse pour les journalistes israéliens.

Peu de taxes, ni de salaires minimum

Ce ministre de 38 ans a étudié à Harvard et à Paris. Il est l’archétype deces jeunes leaders formés en Occident et qui occupent désormais des postes clésdans l’administration, le gouvernement et le secteur des affaires. C’estd’ailleurs le cas de l’actuel président, Mikhaïl Saakachvili, 44 ans, élu pourla première fois à 36 ans. La façon de gouverner est évidemment influencée parle jeune âge de ces dirigeants, qui ont parfois des ambitions bien utopiques,comme l’idée d’instaurer une société ultracapitaliste avec un marché complètementlibre. En Géorgie, il n’existe presque aucune loi du travail, pas de syndicats,pas de salaire minimum. Les taxes sont très basses et uniformisées. Lessalariés payent 20 % d’impôts, quels que soient leurs revenus (impôts quipeuvent s’élever jusqu’à 48 % en Israël). La fiscalité des entreprises est de15 %, contre 25 % en Israël.

Pour Gvindadze, le principal rôle du gouvernement consiste en la constructiondes infrastructures. Le ministre surprend agréablement son auditoire endéclarant avoir tout juste terminé la lecture de Start-up nation, le bestsellerde Shaoul Singer consacré au succès économique d’Israël. “Le principalenseignement que j’ai tiré de ce livre, c’est la nécessité de développer notresystème éducatif”, poursuit Gvindadze. Et d’ajouter que le gouvernementenvisage de fournir à chaque nouvel étudiant d’université un ordinateurportable.

Lorsqu’on lui demande si le gouvernement ne va pas trop loin dans sa stratégiede “laisser-faire” en matière d’économie, il réplique en avançant unecroissance de 7 %. Certes, le chômage reste à un niveau très élevé,reconnait-il, avec un taux de 16 %. Mais le gouvernement prévoit différentsprojets de stimulation de l’emploi grâce au développement des infrastructures.

L’industrie touristique offre notamment un beau potentiel, qu’il s’agiraitjuste de stimuler pour favoriser la création d’emplois.

Le nombre de touristes en Géorgie augmente à un rythme encourageant, avec untaux de croissance annuel de 35 %. En 2010, plus de deux millions de visiteursont séjourné dans le pays. Parmi les destinations les plus populaires : lastation balnéaire de Batumi, sur la mer Noire, aux faux-airs de la stationisraélienne, Eilat. Et avec l’ouverture de vols directs charter depuis Israëlcet été, le touriste israélien pourrait bien inscrire Tbilissi parmi sesdestinations estivales.

Un pays dépourvu d’antisémitisme

Mais là n’est pas le seul atout de ce pays du Caucase. “Les touristes israéliens ont une bonne raison supplémentaire de se sentir bienici : la Géorgie est épargnée par l’antisémitisme, au contraire du reste del’Europe”, souligne Archil Kekelia, ambassadeur de Géorgie en Israël.

Le diplomate poursuit en expliquant que l’Eglise orthodoxe géorgienne atoujours tenu à garder son indépendance par rapport aux autres Eglises. Etd’ajouter que “selon une croyance populaire, ce sont des émissaires juifs quiauraient apporté le christianisme au pays. Et les Juifs ont toujours étéappréciés ici”. Kekelia fait enfin remarquer que la visite à Jérusalem d’IliaII, chef de l’Eglise géorgienne, a été largement retranscrite dans la pressegéorgienne.

De Tbilissi à Tel-Aviv il n’y a que deux heures et demie d’avion. Il suffitalors de prendre la voiture pour se retrouver, 90 minutes plus tard, devant desuperbes paysages alpins.

“Les touristes israéliens semblent apprécier tout particulièrement les tours enJeep dans la nature”, remarque Nino Suticze. A bord de son fameux véhiculetout-terrain, cette jeune guide de 22 ans achemine un groupe d’invitésisraéliens sur le sommet d’une montagne qui surplombe une route en direction dela frontière russe. Alors qu’elle parle, un groupe de motards attire sonattention. Un signe de la main, échange de politesses, puis la conversations’engage. Il s’avère que ce sont là des touristes russes, qui ont parcouruquelque 1 100 kilomètres en moto, depuis Moscou.

Lorsqu’on l’interroge sur l’impact pour le tourisme que pourraient avoir lesrivalités entre la Géorgie et la Russie, Suticze fait la part des choses :“Nous n’avons aucun problème avec le peuple de Russie, seulement avec songouvernement”. Elle souligne notamment que la Géorgie autorise toujours lesRusses à entrer dans le pays, sans visa. Idem pour les habitants des payslimitrophes - Turquie, Arménie, Azerbaïdjan - ou du voisin iranien.

“L’instant géorgien”

Il y a environ un an, les relations entre la Géorgie et Israël ont dépasséle cadre purement commercial et touristique. Le tournant a été marqué lorsque TBC Bank, la deuxième banque du pays, a ouvertune antenne en Israël.

Cela permet aux Israéliens de faire des dépôts à court ou long-terme sur descomptes épargne, explique Doron Shevel, directeur de TBC Invest Israël. “Lefait que TMC ait choisi Israël pour ouvrir sa première antenne à l’étrangern’est pas anodin”, note Shevel, qui tient à souligner les liens entre les deuxpays.

De plus, la banque offre des taux d’intérêt nettement plus élevés que ceuxproposés par les établissements israéliens.

Si bien que les Israéliens ont répondu favorablement en déposant plus de 30millions de dollars dans la succursale géorgienne, établie à Ramat Gan. SelonShevel, arrivé d’Afrique du Sud il y a neuf ans, la majorité des clients de TBCInvest sont issus de la communauté anglosaxonne israélienne. “Une des raisons”,pointe Shevel, “vient du fait que cette population dispose bien souventd’économies en dollars ou en devises étrangères. Et chez TBC, les tauxd’intérêt sont supérieurs de 6 à 7 % par rapport aux banques israéliennes ouaux établissements de leurs pays d’origine”.

Shevel a fait ces déclarations à Tbilissi, devant un groupe de journalistesisraéliens. Attablés dans une auberge traditionnelle, le banquier a profité del’occasion pour expliquer à ses visiteurs la façon traditionnelle de dégusterle célèbre “acharuli khachapuri”, spécialité locale. Il s’agit d’un gâteau aufromage en forme de bateau, réalisé à partir d’une pâte à pizza farcie defromage, et recouverte d’un oeuf cru et d’un carré de beurre. Shevel s’empareadroitement du plat : “Il suffit de prendre un morceau de la croûte et de latremper dans la garniture”, explique-t-il.

Après le dîner, les invités ont un air plus que satisfait. A bien des égards,cette escapade aura montré ce qu’on appelle “l’instant géorgien”.