Monde arabe Le crépuscule des Frères

La chute du mouvement islamiste en Egypte a des conséquences pour l’ensemble de la Confrérie

Confrontations violentes en Egypte (photo credit: REUTERS)
Confrontations violentes en Egypte
(photo credit: REUTERS)

Mauvaise passe pour les Frères musulmans. Leur victoire en Egypte rendait soudain possible leur vieux rêve de restaurer le califat ; ils tombent aujourd’hui de haut et peinent à accepter la nouvelle réalité. C’est un coup très dur pour l’Organisation mondiale de la Confrérie – OMC – créée dans les années 1930 par le fondateur du mouvement, Hassan el Banna. Ce forum dont la première tâche avait été de créer de nouvelles branches de la Confrérie dans le monde islamique et en Occident sert aujourd’hui d’organe de coordination entre ces branches et réunit des leaders déchus chassés de leur pays, ou l’ayant fui, par crainte des persécutions. Son secrétaire général, Ibrahim Mounir, ancien membre du Conseil de guidance du mouvement en Egypte, réside à Londres.

Un nouvel espoir était né avec le triomphe de Mohammed Morsi, salué comme le premier pas d’une conquête des pays arabes rendue possible par le « Printemps arabe ». En Tunisie, le parti des Frères, Nahada (Renouveau) était devenu le premier parti du pays après les élections tenues après la fuite de Ben Ali ; au Maroc, « Justice et Progrès », leur parti a rencontré un tel succès que le roi lui a confié la formation du gouvernement. En Algérie, en Libye et au Yémen, les partis des Frères représentent une force politique avec laquelle il faut compter ; en Jordanie, ils sont à la pointe de l’opposition. En revanche, l’Arabie Saoudite et les pays du Golfe – à l’exception du Qatar – sont viscéralement opposés à ce mouvement qui a donné naissance aux organisations terroristes se réclamant du djihadisme et d’al-Qaïda. Quant au Qatar, c’est un allié de longue date de la Confrérie ; dans les années cinquante, il a accordé l’asile aux Frères fuyant la colère de Nasser. C’est sous leur impulsion que l’insignifiant royaume bédouin s’est transformé et leur influence se fait sentir dans la politique extérieure de l’Emir et dans la puissante chaîne de télévision Al Jazeera. Cette chaîne se fait le porte-parole du mouvement et notamment de sa section égyptienne au point que le nouveau régime au Caire en a fermé les bureaux et emprisonné le personnel.
Les dirigeants de l’Organisation mondiale de la Confrérie avaient observé avec inquiétude la montée des oppositions au régime en Egypte ; forts de leur propre expérience, ils en avaient compris la signification et avaient fait part de leurs craintes lors des journées décisives de juin 2013, pressant Morsi d’accepter les nouvelles élections présidentielles réclamées par l’opposition afin de désamorcer la crise et de sauver le parti. Aveuglés par leur triomphe, le président et les membres du Bureau de guidance n’ont rien voulu entendre, précipitant leur chute et infligeant à la Confrérie une défaite peut-être irréversible non seulement en Egypte mais dans l’ensemble du monde arabe.
La bataille de l’après-Morsi
L’OMC ne se déclara pas vaincue pour autant et, après l’arrestation de Morsi, le 3 juillet, lance une vaste campagne internationale visant à rendre son siège au « président légitime » : dans une interview au quotidien égyptien « Al Watan », le 12 juillet, Ibrahim Mounir accuse l’armée d’avoir « porté un coup » à « toutes les forces de l’islam politique », ajoutant que son organisation avait appelé à la mobilisation de tous les pays dans lesquels la Confrérie était présente – environ 80. Il menace ouvertement le ministre de la Défense Abdel Fattah Al Sissi et déclare que les Etats-Unis ne soutiendront pas le nouveau régime et que l’OMC pressera l’Union européenne de faire de même. Ce qui revient à dire que l’organisation a ses entrées tant à la Maison-Blanche qu’auprès de l’UE ; de fait, les deux se refusent aujourd’hui encore à soutenir officiellement le nouveau régime et se montrent très réservées à l’égard de Sissi.
Il faut encore souligner que l’expression « islam politique » est le terme édulcoré utilisé pour évoquer les organisations terroristes jihadistes et salafistes. Les organisations jihadistes établies au Sinaï avaient proclamé avant le 3 juillet que l’arrestation de Morsi « ouvrirait les portes de l’enfer pour l’Egypte ».
L’Egypte connaît quelques semaines difficiles. Des confrontations de plus en plus violentes font plus de 1 500 victimes – dont près du tiers au sein des forces de l’ordre. Pourtant aujourd’hui, si le terrorisme au Sinaï est toujours virulent, la Confrérie ne peut plus mobiliser les masses. Le régime a d’abord arrêté la plupart de ses dirigeants et interdit toutes ses activités, puis a purement et simplement décrété qu’il s’agissait d’une organisation terroriste.
L’Organisation mondiale fait un nouvel effort et organise une rencontre au Pakistan, loin des médias, sous les auspices du mouvement extrémiste pakistanais « Jamat-e-Islami ». Elle se tient le 25 septembre 2013 à Lahore, à deux pas de la frontière avec l’Afghanistan où se trouve la plus vaste base opérationnelle d’al-Qaïda. Des représentants des Frères et d’autres organisations islamiques de Jordanie, du Yémen, du Maroc, du Hamas, de Somalie, de Malaisie, du Soudan, de Libye, de Mauritanie, de Syrie, de Algérie et de Tunisie répondent présents. Il s’agit de traiter de plusieurs problèmes, dont la Syrie, mais là encore on évoque surtout l’Egypte.
Sans programme
En fin de compte les Frères musulmans et leurs alliés salafistes n’ont pas réussi à paralyser le pays ou même à bénéficier d’un soutien populaire ; ils n’ont même pas réussi à convaincre l’opinion publique internationale de réclamer le retour de Morsi. Malheureusement tout de même, l’Occident n’est pas pressé d’accepter le maréchal Sissi. Les Russes se sont empressés d’occuper le terrain et Sissi rentre d’une visite à Moscou où il a préparé avec son homologue russe un traité de coopération militaire et technologique qui comprendrait un contrat d’achat d’armes pour un montant de deux milliards de dollars, l’Arabie Saoudite et les Emirats assurant une partie du financement. L’Egypte a manifesté son mécontentement pour le soutien apporté à la Confrérie par la Turquie et le Qatar en convoquant leurs ambassadeurs respectifs et a rappelé son ambassadeur à Ankara ; elle n’a pas hésité à exiger (sans succès) l’extradition de Youssef Kardawi, le théologien du mouvement qui est de nationalité égyptienne et vit au Qatar.
En Tunisie, les Frères, qui avaient provoqué une crise politique sans précédent entraînant l’assassinat de deux membres de l’opposition laïque, ont su tirer à temps les leçons des événements du Caire et ont volontairement abandonné le pouvoir à un gouvernement neutre chargé de préparer de nouvelles élections. Une initiative saluée par l’Occident qui y voit un symbole de démocratie. La vérité est qu’à Tunis comme au Caire, les Frères sont arrivés au pouvoir sans programme de gouvernement et sans savoir comment diriger un pays. Tout de même Nahada reste dans la course et constitue aujourd’hui le dernier espoir de la Confrérie dans ses efforts pour accéder démocratiquement au pouvoir. Quand bien même cet espoir se réaliserait, cela ne compenserait en rien la perte de l’Egypte.
Pendant ce temps, al-Qaïda et ses satellites n’ont rien perdu de leur détermination, et le triste sort du mouvement qui a inspiré leurs créateurs ne les empêchera de poursuivre leurs sanglants objectifs. 
L'auteur est ancien ambassadeur d’Israël en Egypte et chercheur au JCPA.
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