Se préparer à une guerre surprise

En 2007, en bombardant le réacteur syrien, Israël avait pris le monde par surprise. Au train où vont les choses, tout le monde s’attend désormais à une attaque sur l’Iran

Masque (photo credit: Marc Israël Sellem)
Masque
(photo credit: Marc Israël Sellem)

Le samedi 27 décembre 2008, le colonel Ofer Levy, commandantadjoint de la brigade Guivati, était sorti pour déjeuner lorsqu’il reçoit unappel téléphonique. Son interlocuteur l’informe que la guerre de Gaza vientd’être lancée. Peu après, c’est au tour du général de brigade, Herzi Halevy, commandant desopérations parachutistes, de recevoir un appel similaire. Il est chez lui avecsa famille. On l’avise alors que l’armée de l’air vient de procéder à des frappes aériennescontre des cibles du Hamas sur toute la bande de Gaza. Pourquoi n’étaient-ils pas à leurs bases, sur le pied de guerre, alors que cequi allait devenir la plus grande offensive depuis le retrait d’Israël de Gaza,en 2005, se préparait ? La réponse est simple : ils ne savaient pas quel’opération serait menée ce samedi-là.
Car la côte de confidentialité de l’opération avait été maintenue à un niveauparticulièrement élevé. L’armée israélienne voulait débusquer par surprise leHamas de ses caches souterraines, et mettre hors d’état de nuire un maximum depostes de direction de ses opérations lors d’une première série de frappesaériennes, une mission militaire plus communément connue sous le nom “Oiseauxde proie”. Ce qui voulait dire que même les officiers qui mèneraient au combat leur unitédans Gaza avaient été tenus à l’écart par le secret-défense. Lorsque l’on envisage une action militaire potentielle contre l’Iran, deuxaspects sont souvent négligés. D’une part, la nécessité de ne pas mettre aucourant toute la communauté internationale avant même que ladite mission nesoit menée. D’autre part, l’impératif de s’assurer que l’armée est prête, touten évitant de laisser transparaître qu’un conflit est imminent.
Dans le cas de l’Iran, cela concerne principalement le Commandement Nord quipourrait être amené à se retrouver dans un conflit armé avec le Hezbollah, siles groupes de guérilla libanais se décidaient à attaquer Israël, en cas defrappes contre les installations nucléaires iraniennes. Une réaction qui nesurprendrait pas. Les forces devront être sur le pied de guerre à un niveau depréparation optimal, prêtes à pénétrer le territoire libanais pour enrayer lestirs de roquettes sur le front intérieur israélien. Mais comment pourront-ellesêtre opérationnelles, si elles ne savent pas à quel moment précis lesopérations seront déclenchées ? 
Accepter l’idée d’une guerre 
Très peu de gensconnaissaient jusqu’à l’existence même d’un réacteur en Syrie, y compris dehauts responsables syriens - et encore moins sur les intentions israéliennes dele bombarder. Alors lorsqu’Israël a procédé à son bombardement, en 2007,l’armée disposait d’un avantage tactique et stratégique. Mais avec l’Iran, la situation est radicalement différente. Les dirigeants politiques et militaires israéliens claironnent à tout va quel’armée dispose d’une option militaire crédible et viable, afin de retarder leprogramme nucléaire iranien, voire d’y mettre fin. Pour Ehoud Barak, la question ne se pose pas : le ministre de la Défense avaitdéclaré le 25 juillet dernier qu’Israël ferait mieux de procéder à unbombardement sur l’Iran que de vivre aux côtés d’une de leurs bombes. Autrement dit, la seule et unique solution pour Israël reste la frappe tactiqueinattendue. Seul le déclenchement précis des opérations reste un mystère.
Avec le réacteur syrien, l’armée devait non seulement se préparer à une tellefrappe, mais aussi justifier son geste qui aurait pu déboucher sur un conflitouvert avec Damas. Très peu d’officiers savaient ce qui se passait. Et il fallait éviter lessoupçons. C’est ainsi que Tsahal a découvert le mot anglais “miscalculation”,une erreur de calcul que les officiers supérieurs ont avancée tout au long duprintemps et de l’été 2007 : ils faisaient alors allusion à un malentendu quipourrait survenir entre les commandants militaires israéliens et syrienspositionnés le long de la frontière, et déboucher sur une guerre totale.
Le président Bashar al-Assad doutait de la force et de la capacité de l’arméeisraélienne, suite à ses piètres performances lors de la seconde guerre duLiban, l’été précédent. Une situation dont Tsahal allait profiter. Sous prétexte de renforcerl’entraînement de ses troupes, l’armée s’est progressivement attelée à déployerdes unités plus importantes sur les hauteurs du Golan. Mais il fallait surtout préparer l’opinion publique et les médias israéliensquant à l’éventualité d’une guerre avec Damas. Tsahal s’est alors employée àfaire savoir que les Syriens avaient gagné en expérience lors de la secondeguerre du Liban et que, même s’ils n’étaient pas en mesure de défaire l’arméeou d’envahir le territoire israélien, ils avaient développé une nouvellestratégie basée sur certaines des tactiques que le Hezbollah avait utiliséesavec succès contre l’armée israélienne.
Tsahal a ainsi fait en sorte de noyer les médias du pays de rapports sur denouvelles unités antichars syriennes de type Hezbollah, qui apparemment sedéplaçaient en motos, à l’instar de leurs homologues libanais. Puis, des révélations sur l’investissement de la Syrie dans la constructionclandestine de systèmes de défense souterrains et la percée de tunnels acommencé à faire surface. Il s’agissait de réserves notoires du Hezbollah en remplacement des fameusespitas syriennes (de petites positions de défense de type “pita” au sommet descollines le long de la frontière, particulièrement en vogue au cours desdernières décennies). Ces rapports ont prouvé leur efficacité et l’armée commençait sérieusement à sepréparer pour une guerre avec la Syrie. Au moment où Israël bombardait leréacteur syrien d’Al- Kibar, le 6 septembre 2007, le pays entier avait acceptél’idée d’une guerre.
Pour Israël, la question est maintenant de savoir comment réitérer le succès del’année 2007. La plupart des discussions sur la question sont conduites par lebureau militaire du renseignement et de la sécurité. Une façon peut-êtred’utiliser la situation actuelle instable en Syrie - et plus particulièrementles craintes sur la possible prolifération d’armes chimiques - comme prétextepour placer l’armée en état d’alerte à tout moment le long de la frontièreNord. Puis, quand celle-ci sera prête, Israël attaquera l’Iran. Une autre option estde simplement maintenir l’armée en état d’alerte maximal - pour une période deplusieurs mois - et d’expliciter ce choix par une éventuelle offensive d’Israëlsur l’Iran. L’avantage de l’armée en état d’alerte maximal permettrait à Israël d’attirerl’attention de la communauté internationale et ainsi de créer une pressiondiplomatique menant à la mise en place de nouvelles sanctions. Et cela pourraitégalement acculer les Iraniens par la peur, et les conduire à une suspension deleur programme d’enrichissement d’uranium.
Problème : le maintien d’une armée en état d’alerte prolongée a un coût élevé.Et les soldats se plaindront de ne pas avoir de congés, ce qui aura uneincidence sur le programme de formation générale de l’armée, au risque d’unesuspension totale de celui-ci. Peu importe l’option qu’Israël choisira, la partie la plus difficile sembleencore à venir : à savoir si Israël doit ou non attaquer l’Iran. Ces dernièressemaines, la classe politique a laissé entendre que l’option était sur latable, plus que jamais. Netanyahou a récemment souligné que la meilleuredéfense face à une menace de missiles est la capacité de frapper en premier. Etau sein de Tsahal, les officiers supérieurs affichent des visages sombres,vraisemblablement signe d’un conflit armé inévitable.
Ehoud Barak, dans ses remarques, est allé encore plus loin. Le ministre de laDéfense avait fait remarquer qu’Israël et les Etats-Unis considèrent la menacedifféremment et selon des calendriers différents. Israël, a-t-il laisséentendre, est limité dans ses capacités et ne peut donc pas attendre aussilongtemps que les Américains, qui pourraient encore attaquer et détruire lesinstallations iraniennes, même fortifiées et placées dans des abrissouterrains. En fin de compte, a souligné Barak, Israël prendra ses décisions en fonction deses propres intérêts nationaux. Pour le moment, ce sentiment d’urgence reste encore le plus souvent verbal. Unefois qu’il commencera à prendre forme, il sera probablement temps de commencerà dépoussiérer les abris sécurisés.