Du rôle d’Herzl, des femmes et de Jérusalem dans la presse

L’histoire des journaux israéliens secoue nos préjugés et nous fait revisiter l’histoire d’Israël.

Herzl 300 (photo credit: Cortesy)
Herzl 300
(photo credit: Cortesy)
Théodore Herzl, fondateur du mouvement sioniste,était aussi journaliste. On raconte d’ailleurs que l’idée du sionisme s’estimposée à lui alors qu’il couvrait l’Affaire Dreyfus pour un journal viennois.Il semble que cela se soit passé à Paris, précisément le 5 janvier 1895, alorsque la foule assistait à la dégradation du capitaine Alfred Dreyfus. Cejour-là, Herzl entend autour de lui des clameurs et cris antisémites, et celava bouleverser sa vie. Quelques semaines plus tard, toujours en poste à Paris,le fondateur du sionisme politique écrira L’Etat des Juifs, qui donneral’impulsion à la création du futur Etat hébreu. Or, si une presse existait déjàen Palestine mandataire, elle est véritablement née au même moment où l’idéed’Etat juif germait dans l’esprit de Herzl. Le premier journal, Halevanon, a vule jour en 1863, à Jérusalem, sous la houlette de Yoël Salomon, un desfondateurs du premier quartier juif construit à l’extérieur des murailles de laVieille Ville. Six mois plus tard, le journal Haavatzelet était créé par lerabbin Israël Beck, imprimeur à Safed qui avait déménagé à Jérusalem pourpouvoir lutter contre l’influence des missionnaires. Si Halevanon s’adressait àdes lecteurs non hassidiques, Haavatzelet, lui, avait un public hassidique. Lesdeux journaux étaient rivaux et chacun allait même jusqu’à informer le pouvoirturc des faits et gestes du concurrent. Finalement, le pouvoir ottoman fermales deux. Puis, c’est encore à Jérusalem que naît, le 24 octobre 1884, Hazvi, unhebdomadaire bien plus séculaire qui devient rapidement un quotidien, lepremier du pays. Il est fondé par Eliezer Ben-Yehouda, l’homme qui a joué unrôle fondamental dans la renaissance de l’hébreu. Ce journal, comme beaucoupd’autres publications créées par Ben-Yehouda, est le parfait outil pourl’introduction de nouveaux mots dans le lexique de la langue hébraïque. Onretrouve cette fièvre des vocables dans le nom même du journal puisqu’il changeà plusieurs reprises. De 1902 à 1908, il passe de Hazvi à Hahashkafa, puisredevient Hazvi, pour, en 1910, prendre finalement le nom de Haor. AprèsBen-Yehouda, c’est Itamar Ben Zvi, son fils, qui prend la tête du journal. Lestyle devient moins littéraire et plus sensationnel afin d’attirer plus delecteurs. En 1909, le journal atteint son pic avec 1 200 exemplaires par jour,dont presque la moitié est distribuée à Jérusalem. Durant la Première Guerremondiale, le journal, qui aspire à la création d’un Etat juif, est déclaréillégal par les autorités turques. 
Histoires de familles
 Mais le plus vieuxquotidien à avoir survécu est aujourd’hui Haaretz, qui date de 1919. Même s’ilest désormais publié à Tel-Aviv, il a été fondé à Jérusalem sous le nom deHahadashot Haaretz. Quelques années plus tard, le Palestine Post, est, lui,créé par Gershon Agron, le 1er décembre 1932. Il prend le nom de Jerusalem Posten 1950, après la fondation de l’Etat. Un autre quotidien aujourd’hui disparucomplétait le tableau de l’époque, Davar, organe de presse du syndicatHistadrout, entre 1925 et 1996. Si les journaux comptent beaucoup decollaboratrices, rares sont les patrons de presse qui laissent les femmesprendre les rênes du pouvoir. Davar et le Jerusalem Post sont les seuls à avoireu des femmes comme chefs de rédaction. Léa Ben-Dor a été la première femme -et jusqu’à présent la seule - rédactrice en chef de l’édition anglaise duJerusalem Post tandis que Hanna Zemer l’a été pour Davar, et ce durant vingtans, de 1970 à 1990. Auparavant rédactrice, elle avait occupé plusieurs fonctionsau sein du journal. Zemer, née en 1925, à Bratislava en Slovaquie, était issued’une famille orthodoxe. Elle avait été scolarisée au séminaire Beth Yaacov.Dans sa famille régnait une harmonie entre valeurs juives et cultureoccidentale. Survivante de la Shoah, elle fait son aliya en 1950, et officiebrièvement comme professeur dans une école ultra-orthodoxe. Elle s’engageensuite dans l’armée, puis intègre Omer. Cette publication est la «versionfacile» de Davar, destinée aux nouveaux immigrants, ponctuée de voyelles. Letalent d’observation et d’analyse de Zemer est vite remarqué et elle estengagée à Davar pour couvrir l’actualité de la Knesset et les affairesdiplomatiques. On lui donne de plus en plus de responsabilités. En 1966, elleest nommée secrétaire de rédaction, puis, quatre ans plus tard, chef derédaction. De par sa position, elle devient encore plus Première femmerédacteur en chef, elle nomme pour la première fois une femme au poste decorrespondante de guerre : Tali Lipkin-Shahak, jusque-là rédactrice de mode, seretrouve à écrire sur les tanks et autres affaires militaires. Cette dernièresuit là une tradition familiale puisque son père, Azaria Rapoport, avait été lepremier correspondant officiel israélien. Son frère, Hanani Rapoport, est, lui,le directeur de Jerusalem Capital Studios, agence de presse qui offre aussidivers services pour les correspondants étrangers permanents ou en visite enIsraël. Quand elle prend sa retraite, Zemer ne laisse pas le journalisme pourautant puisqu’elle enseigne à l’université Bar-Ilan dans le département decommunication et médias. Elle meurt en 2003, à l’âge de 78 ans.
 Hommage à unegrande dame 
Léa Ben-Dor, journaliste au Jerusalem Post pendant de longuesannées, n’en assumera la rédaction en chef que durant un an. Un temps court,mais suffisant pour marquer ceux qui l’ont connue et ont travaillé avec elle.Après sa mort, David Landau, ancien journaliste politique et directeur del’info au Jerusalem Post et chef de bureau pour l’agence télégraphique juive,devenu plus tard rédacteur en chef pour Haaretz - écrivait dans les colonnes duPost : «Léa Ben-Dor, ancienne rédactrice au Jerusalem Post, dont les vuesbelligérantes et acerbes sur les événements à la Knesset étaient largementrespectées, même si elles n’étaient pas partagées par ses collègues, estdécédée la semaine dernière à l’âge de 68 ans. Le maire Teddy Kollek, despersonnalités du gouvernement, des juges de la Cour suprême et despersonnalités du monde journalistique lui ont rendu hommage. Dans son élogefunèbre, Teddy Kollek a reconnu ses talents de journaliste, de commentateurpolitique et de patriote, en rappelant les divers services qu’elle avait rendusà l’Etat. Associée aux services secrets pendant les premières années de l’Etat,elle a quitté le Jerusalem Post pendant trois ans pour travailler au bureau duPremier ministre. « Madame Ben-Dor était la fille de George Halpern, figureproéminente du sionisme en Allemagne, et un des fondateurs de la Banque Leumiet de la compagnie d’assurance Migdal. Souvent, elle racontait les visites deHaïm Weizmann, le premier président d’Israël, et d’autres personnalitéssionistes, dans la maison de son père. Eduquée à Rodean, une école prestigieuseanglaise, elle fait ses études à l’Université de Cambridge et de Londres. Aumilieu des années 1930, elle rejoint le Palestine Post avant de prendre uncongé durant la Seconde Guerre mondiale pour servir dans l’armée britannique enEgypte.» « Durant les années 1950 et 1960, elle influence beaucoup le journal.Elle et le rédacteur en chef de l’époque, Ted Lurie, sont des inconditionnelsde Ben Gourion. Les commentaires et critiques de Ben- Dor sur la Knesset sonttrès attendus et respectés. Elle admire beaucoup le ministre de la DéfenseMoshé Dayan, contrairement à nombre de ses collègues. En 1974, après la guerrede Kippour et au moment où elle remplace Lurie à la tête du journal, sesdifférends deviennent plus sérieux. Mais c’est plutôt son asthme chronique, etson impatience pour les tâches administratives, que ses vues politiques, qui lapoussent à démissionner au bout d’un an. Elle prend sa retraite moins de deuxans plus tard, tout en restant membre du conseil d’administration.» L’éditionfrançaise du Jerusalem Post a elle vu le jour en 1990. Premier journal enlangue française d’Israël, créé par Richard Darmon, son poste de rédacteur enchef se décline davantage au féminin qu’au masculin avec Isabelle Puderbeutel,Martine Fischel, Chantal Osterreicher, et Nathalie Blau depuis 2008. Soitquatre femmes pour deux hommes (Richard Darmon et Meïr Azoulay) qui ont occupéla fonction de rédactrices en chef depuis la création de cet hebdomadaire quiparaît désormais le mercredi. 
Agron, sioniste avant tout
 De même que le rôleméconnu des femmes, on sait peu que si Tel-Aviv est la capitale des médias enIsraël, Jérusalem en a été le berceau. C’est là que les premiers journaux ontété publiés et que la radio et télévision ont vu le jour. Le service deradiodiffusion, connu aujourd’hui sous le nom de Kol Israël, était alors leservice radiodiffusion de Palestine, fondé par les autorités britanniques enmars 1936. Les programmes sont diffusés en arabe, hébreu et anglais. Celui enhébreu s’appelait Kol Yerushalaïm, la voix de Jérusalem. Bien entendu, sous lemandat, les programmes sont sévèrement surveillés et censurés pour vérifier quedes messages politiques ne sont pas diffusés. La radio a, malgré tout, joué unrôle important dans la fondation de l’identité nationale et la renaissance del’hébreu. On prédit toujours la fin de la presse, comme celles de la radio etde la télévision, pourtant ces trois médias existent toujours, nonobstant lacompétition toujours plus grande des autres médias. Si la presse écrite connaîtun ralentissement, elle ne disparaîtra jamais, en tout cas pas en Israël. Lapopulation religieuse en est le garant. A moins qu’un génie ne trouve unemanière «casher» d’utiliser les médias électroniques sans violer le Shabbat.L’achat de magazines, de quotidiens et de leurs suppléments, et leur lecturedurant le Shabbat sont un peu de l’ordre du sacré, ou du moins de la tradition.Il est vrai que la plupart des journaux en hébreu impriment moins de pagesqu’ils ne le faisaient auparavant. Pour sa part, le Jerusalem Post – qui,depuis huit ans, appartient à Mirkaei Tikshoret, compagnie dirigée par EliAzur, en a, ces dernières années, plutôt ajoutées. Le journal a beaucoup évoluédepuis Gershon Agron, au fil des douze rédacteurs qui lui ont succédé. Agron,raccourci d’Agronsky, est né en Ukraine et a grandi à Philadelphie. Engagé dansla légion juive durant la Première Guerre mondiale, il travaille plus tard auservice de presse de la commission sioniste. Puis passe deux ans commerédacteur à l’agence télégraphique juive avant d’écrire pour différentesagences de presse internationales et de s’installer en Palestine en 1924.Ardent sioniste, Agron est très actif dans la direction du yishouv - populationavant l’établissement de l’Etat – et travaille pour l’Organisation sionistemondiale. Une des missions du Palestine Post est ainsi de donner une tribuneaux idées sionistes. De 1949 à 1951, Agron, toujours rédacteur en chef duJerusalem Post, dirige le service d’information du gouvernement. Ce n’est quequand il devient maire de Jérusalem, en 1955, que Ted Lurie prend sasuccession. On peut s’étonner aujourd’hui du manque évident d’indépendance, àl’époque, du quotidien et des premiers journaux israéliens par rapport aupouvoir. Mais on peut aussi y voir une simple continuation de la vision d’Herzl: rassembler dans un pays les Juifs du monde entier. Aujourd’hui, la presseécrite israélienne, désormais indépendante, compte une multitude depublications : quotidiens, hebdomadaires, publications trimestrielles etannuelles pour adultes, adolescents et enfants, en hébreu, anglais, arabe,russe, français, yiddish, espagnol, roumain, hongrois et italien, etprobablement dans d’autres langues. C’est, d’une certaine manière le clind’oeil qu’Herzl nous fait du haut de son balcon.