Le pèlerinage sur le mont du Temple : une véritable croisade

Jérusalem. Les autorités rabbiniques ont interdit l’accès du Mont du Temple aux Juifs. Pour autant, les religieux sont de plus en plus nombreux à fréquenter les lieux

Temple (photo credit: Reuters)
Temple
(photo credit: Reuters)

Porte Mughrabi, à l’entrée du mur Occidental. Un groupe de croyants juifss’est attroupé et attend au checkpoint pour accéder au mont du Temple.L’officier contrôle leurs identités et vérifie dans les archives de la polices’ils appartiennent ou non à un groupe “extrémiste”.

Pendant ce temps, le petit groupe de religieux, des hommes d’affairesaméricains pour la plupart, tous coiffés d’une kippa, laissent échapper un longsoupir. Cette scène, ils la connaissent par coeur. Pourtant, sous leur regardexcédé se faufile devant eux un petit groupe de touristes chrétiens. Un coupd’oeil rapide du policier, et ces derniers font leur chemin vers le site sacré.

Le “Jour des pèlerins” ou “olei reguel” en hébreu, commence tôt, vers 5h dumatin. Les horaires de visites au mont du Temple sont restreints et trèssurveillés pour les non-musulmans. En hiver, il n’est possible d’y accéderqu’une heure, très tôt le matin, ou vers midi. Ce qui n’arrange pas, engénéral, les visiteurs.

Pour les Juifs, les pèlerinages constituent donc une préparation sérieuse. Al’aube, le croyant doit s’immerger dans un Mikve, un bain rituel, qui, selon laloi juive permet de se laver de toute impureté. Sans cette immersion, l’accès àce lieu saint est généralement interdit par les autorités halakhiques. Autrerestriction, propre au site : le port de chaussures de cuir. Les prétendants àl’esplanade du Temple doivent alors se chausser en toile ou en plastique. Puisvient l’attente interminable au checkpoint. La consigne est donc d’arriver trèsen avance.

Enfin, ils sont autorisés à franchir le pont. Un par un, les visiteurs sontfouillés. Sacs et porte-monnaie sont minutieusement inspectés. Les policierssont à la recherche de contrebande. Mais notre groupe de fidèles n’a pour seulbutin que des livres de prière.

La voix monacale de l’officier récite la litanie d’interdictions à respecter.Petit rappel du Grand Rabbinat d’Israël qui surveille de près ces visiteurs. “Avertissement: Il est formellement interdit par la Loi juive de poser le pied sur le mont duTemple, en raison de la sacralité du lieu”. Mais personne ne semble l’entendrede cette oreille. Ces Juifs écoutent d’autres rabbins qui ignorent, pour leurpart, l’interdiction.

La pierre angulaire du conflit

La bataille halakhique qui a lieu contre la montée de visiteurs juifs surle Mont confronte deux factions : d’une part, les ultra-orthodoxes (haredim) etle Grand Rabbinat, soutenu, pour d’autres raisons, par le camp antisioniste. Del’autre, les rabbins du camp national-religieux, dont le nombre tend às’accroître, qui militent pour une intensification de la souveraineté juive surce site si sacré de la Vieille Ville de Jérusalem.

Le mont du Temple ou Haram al-Sharif pour les Musulmans, est un site saintdepuis la Bible. Le premier Temple, érigé sous le règne du Roi Salomon, estdétruit par les Babyloniens en 586 avant notre ère. Reconstruit par la suitepar le grand Roi Hérode, il sera de nouveau la cible d’ennemis, lorsqu’en 70 denotre ère, le futur empereur romain Titus exige sa destruction.

Selon la tradition juive, la pierre de fondation - une roche jaillissant du solen plein milieu du mont - siégeait au centre du Temple de Salomon. Telle est lapierre angulaire du conflit. Aujourd’hui, cet édifice sur lequel Abraham avoulu sacrifier son fils Isaac, lieu de création du monde selon la Bible, mieuxconnu sous le nom du mont Moria, se trouve sur le “noble sanctuaire” desMusulmans.

Pendant la période du Second Temple, Hérode étend l’édifice, ainsi que sesmurs. Les Juifs orthodoxes vont alors considérer que seules ces partiesreconstruites par le grand roi leur sont autorisées, leur impureté (qui nes’achèvera qu’avec la reconstruction du Temple), les empêchant d’approcher lesruines du Premier Temple, dont la roche d’Abraham. Tout le débat des haredimréside donc en cela : où est-il permis de marcher, étant donné notre degré siélevé d’impureté. Selon le Talmud, une transgression pourrait conduire au“Karet”, terme araméen qui désigne l’“excision spirituelle”.

Mais parallèlement, certains rabbins dits “nationaux-religieux”, enhardispar la décision d’Israël d’octroyer l’autorité totale du mont du Temple auxMusulmans, s’accordent sur le fait que certaines zones doivent resteraccessibles. Le statu quo doit être levé. Il n’est plus tolérable selon eux,qu’après 2 000 ans d’exil, il soit toujours interdit de prier sur leurs lieuxsaints. Et le changement n’adviendra que lorsque le gouvernement se rendracompte de l’étendue de la demande de la part des Israéliens, près à récupérerleurs lieux saints “destitués”.

Interdiction formelle de prier

Ainsi, des rabbins de tout le pays se sont arrangés pour envoyer un grouped’hommes différents, chaque jour du mois, afin d’assurer une présence juivecontinuelle sur le site. Pendant la seconde Intifada, de 2000 à 2003,l’ensemble du mont du Temple était fermé aux non-Musulmans. Puis,progressivement les visites de Juifs ont repris et leur nombre n’a cesséd’augmenter depuis.

Les chiffres sont difficiles à trouver, mais au vu des preuves empiriques, lenombre de rabbins qui soutiennent la pratique s’est étoffé. Certains ont mêmenoté la présence d’ultra-orthodoxes notamment, venant en secret par crainte desreprésailles communautaires, pour visiter ce lieu sacré. Pourtant, desarrestations se produisent. De nombreux pèlerins ont été arrêtés pour avoircontrevenu aux interdictions fixées par le Waqf et la police israélienne.Certains ont même été interdits de séjour à vie sur l’esplanade.

Retour au groupe de visiteurs américains, guidé par un rabbin d’âge moyen, sansbarbe et coiffé une d’une kippa en crochet. Un officier de police ne les lâchepas d’une semelle, qui veille à ce que personne n’attise les tensions ouprovoque un soulèvement de la part des Musulmans.

Si la Cour suprême a bien statué, en 1976, que le site était autorisé auxfidèles juifs, venus individuellement et sans aucune intention de générer unemanifestation, elle a toutefois donné liberté d’action aux forces de sécuritéen cas de soupçon de troubles.

Avi Dichter, ex-ministre de la Sécurité publique, explique dans une lettre à ladroite parlementaire en 2008, qu’“il est possible de procéder à une arrestationpour des expressions de signes extérieurs juifs” sous-entendu la prière et quecette politique “est conforme à la logique qui interdit aux Juifs de prier surle site, étant donné la provocation grave que cela pourrait constituer,conduisant à un désordre, avec une probabilité d’effusion de sang ultérieure.”

Mais qu’entend-on par “des signes de prière” ? Yehiel, qui guide régulièrementdes groupes sur le mont du Temple, précise : bouger les lèvres ou baisser latête en fermant les yeux. Si bien qu’un jour, une femme qui se sentaitdéfaillir s’est vue accusée de prier : “Il y avait un banc de ciment près d’unarbre et elle s’est assise pour se reposer. Ils l’ont emmenée au poste depolice pendant environ cinq heures, jusqu’à ce qu’elle signe un document pourjurer qu’elle ne visiterait plus le mont.”

Suivre l’exemple de Maïmonide ?

Le rabbin Chaim Richman, de l’Institut du Temple, milite pour laréhabilitation des services au mont du Temple. Il assure que les contrôles depolice sont largement inégaux, et varient selon l’humeur ou le jugement del’agent en fonction.

Si on observe le petit groupe de visiteurs décrit plus haut, certains seprosternent en priant, un acte hautement saint pour eux à cet endroit précis.Un peu plus loin, ils se courbent et s’inclinent rapidement pour continuer leurmarche devant le gardien du Waqf, qui avait tourné la tête.

Aucune réaction de la part du policier israélien. Mais il aurait suffi d’unautre agent, d’un autre moment, et la réaction aurait pu être opposée.

Si les forces de sécurité israéliennes sont sur les dents et font tout pouréviter la moindre provocation qui pourrait réveiller des émeutes musulmanesquant à l’appartenance disputée du mont du Temple, c’est que la presse araben’a de cesse d’affirmer que les Juifs constituent une menace pour la mosquéeAl-Aqsa.

Nulle question de raser les mosquées, explique Richman, mais plutôt de partagerle lieu en construisant un centre juif. Sur le modèle du caveau des Patriarchesà Hébron, précise-t-il. Il se justifie : “L’Etat devrait être là pour protégerles droits de ses citoyens et non procéder à des arrestations abusives etrestreindre la liberté de conscience”.

Shmuel Rabinowitz, le rabbin du mur Occidental, estime lui que les Juifs n’ontrien à faire sur le Mont du Temple. Non pour des motifs sécuritaires, mais pourdes raisons religieuses. Pourquoi ? Bien loin de penser que l’on accorde ducrédit aux Musulmans en gardant le site à caractère exclusivement islamique, ilexplique au contraire qu’il est strictement interdit pour les Juifs de montersur ce lieu saint avant la venue du messie. C’est là une grave transgressionhalakhique et une offense aux sages juifs contemporains.

Cependant, citant Maïmonide qui a lui-même visité le lieu, le camp des “pro”,représenté par Richman, renchérit en assurant que l’ascension est non seulementautorisée, mais en plus encouragée.

“Maïmonide lui-même - dans la tradition des grands sages d’Israël - s’est rendusur le mont du Temple, en dépit d’un grave danger, pour prier. Il donne la datedu sixième jour de Heshvan et écrit qu’il a été tellement ému d’avoir pénétrédans la maison sainte... et je me suis fait le serment de toujours célébrercette journée comme une fête personnelle, de la marquer du sceau de la prièreet de célébrer mon Dieu par un repas de fête.”

Mauvaise foi contre bonnes croyances

Mais que pense l’Autorité palestinienne sur la question ? Selon Yehiel,fort de ses nombreux livres anciens qui prouvent la présence juive millénairesur le mont du Temple, le Wakf nie officiellement toute appartenance juive surle site. Soutenue par la plupart des Arabes israéliens, l’organisme affirme quele Temple de Salomon n’a jamais existé, et que le mur Occidental eststrictement islamique pour être le lieu où Mahomet attachait son cheval. Selonses membres, aucune ruine du Temple juif n’apparaît sur le site. Pourtant, lescolonnes d’Hérode s’élèvent victorieuses, portant encore quelques traces defeuilles d’or, ruines discrètes d’un passé juif. “Ils regardent ailleurs”, noteYehiel, “et ils montent rapidement le ton lorsqu’on leur parle des structuresde fondations juives qui existaient avant qu’on érige la mosquée Al-Aqsa et leDôme du Rocher.”

Au point de contrôle, le mauvais traitement et les discriminations tendraient àdisparaître, note un blogueur israélo-américain. “Après avoir été menacée d’unprocès devant la Cour suprême suite à la procédure humiliante del’enregistrement de chaque Juif tentant d’entrer sur Har Habayit (le mont duTemple), la police a maintenant accepté d’en finir avec cet aspect procédural.La plainte précisait que seuls les Juifs étaient enregistrés de façondiscriminatoire, alors que les Musulmans et les touristes sont autorisés àentrer librement.

“ S’il y a peut-être eu certains progrès, les militants religieux du mont duTemple pensent qu’il y a encore un long chemin à parcourir. En retour, lapolice rétorque que trop de libertés accordées aux nonislamiques surl’esplanade a le potentiel d’enflammer la poudrière qui se trouve être lecentre de Jérusalem.

Pendant ce temps, les politiciens cherchent toujours à légiférer sur cettequestion. Arieh Eldad, de l’Union nationale, a proposé un projet de loi pourmodifier le statu quo sur le site sacré en mettant en place un système derotation similaire à celui utilisé au Caveau des Patriarches à Hébron. “Le Montdu Temple est le lieu le plus saint pour le peuple juif, là où les Premier etSecond Temples ont existé”, affirme Eldad. “ C’est aussi un lieu saint pour lesMusulmans, puisque s’y trouve la mosquée Al-Aqsa. Il dispose également d’unstatut spécial pour les Chrétiens.”

En tant que tel, le député propose un temps de prière aménagé pour les Juifs,les Musulmans et les Chrétiens, exactement comme à Hébron. Les Juifs auraientun accès exclusif au site au cours de leurs trois prières quotidiennes, et lesMusulmans au cours de leurs cinq prières quotidiennes. De même, les prièresseraient autorisées pendant les fêtes juives. Mais entre les intérêtspolitiques, nationaux et religieux qui se croisent au mont du Temple, laquestion se pose : les Juifs pourront-ils y prier librement avant la venue duMessie ?