Une classe moyenne forte : notre meilleure ligne de défense

Elle n’inspire ni envie, ni pitié. Elle est simplement là. Mais de moins en moins...

fleurs (photo credit: Reuters)
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(photo credit: Reuters)
La classe moyenne n’a jamais inspiré beaucoup de respect. Les marxistes dénigraient cette petite bourgeoisie qu’ils considéraient comme un essaim de personnages tristes, occupés à ramasser les miettes de la classe capitaliste pendant que les ouvriers réinventaient la société. La droite se méfie de la classe moyenne, qu’elle considère comme trop égoïste et aux antipodes de l’âme de la nation. Les intellectuels la taxent de bastion du conventionnalisme, peu cultivé et imbu de lui-même.
“Quelle est la morale de la classe moyenne ?” interrogeait Eliza Doolittle (George Bernard Shaw de son vrai nom). “Simplement un prétexte pour ne rien me donner.”
Dans la conjoncture actuelle, les rares cas où les questions économiques pointent leur nez, elles s’intéressent en premier lieu aux classes les plus basses (celles qui souffrent, à moins que l’Etat ne leur tende la main) ou supérieures (celles qui sont systématiquement l’objet d’attaques rhétoriques, même si l’État leur tend toujours la main).
La révolution des tentes de l’été 2011 ont eu cela de remarquable d’avoir mis à l’ordre du jour les sujets économiques, mais aussi d’avoir dressé une liste de revendications signée de la main d’une classe moyenne fière et sans complexes.
Le slogan de la campagne Yaïr Lapid “Où est l’argent ?” est un appel du pied à cette classe moyenne rarement représentée sur la scène politique.
Mais les tentes se sont repliées depuis belle lurette, et Lapid s’occupe à présent d’obtenir six ou sept mandats à la Knesset. Pendant que nos politiques sont passés aux plus douloureux sujets que sont l’Iran et le terrorisme palestinien.
Dans ces circonstances, il est peu surprenant que le rapport de la Banque d’Israël publié la semaine dernière sur la classe moyenne a beaucoup moins captivé que celui sur la pauvreté de l’Institut national d’assurances, ou encore du Comité Business-Concentration qui explique comment démolir les magnats en deux temps trois mouvements. La classe moyenne fournit pourtant les recrues pour l’armée, les bénévoles pour les comités de parents, elle travaille et paie ses impôts. Elle n’inspire ni envie ni pitié. Elle est simplement là. Mais elle se réduit d’année en année.
Selon la Banque d’Israël, les classes moyenne et moyenne-supérieure combinées représentaient un peu plus de la moitié de la population totale en en 2010-11, contre 56 % en 1997. Les riches ont conservé la même proportion tout au long de cette période, environ 19 %, tandis que la couche la plus pauvre du pays augmentait de près de 5 %, passant à 30,2 %.
La Banque d’Israël a choisi de quantifier la classe moyenne en terme de chiffres, y incluant ceux dont les revenus représentent entre 75 % et 125 % des revenus médians, estimés en 2010 à 14 385 shekels par ménage. Mais beaucoup diront que la classe moyenne est surtout un état d’esprit, des valeurs et un mode de vie communs, plus qu’un salaire net.
Des valeurs qui aussi fortes soient-elles, ne vont pas être faciles à défendre dans un ménage qui engrange 10 800 shekels avant imposition. En effet, comment se permettre un soutien scolaire privé ou une pièce de théâtre avec des rentrées d’argent si modérées ? Israël n’est pas le seul pays à voir sa classe moyenne diminuer. Aux États-Unis, par exemple, le pourcentage de ménages dont le revenu se situe à moins de 50 % de la médiane a chuté à 42,4 % l’année dernière, comparé à 44 % en 2000 et un peu plus de 50 % en 1970.
Et les années qui ont fait l’objet d’études par la Banque d’Israël constituaient une période de plein essor économique, où le high-tech explosait, le commerce extérieur s’ouvrait à de nouvelles opportunités, les taxes baissaient et le PIB par habitant augmentait de 23 %.
En dépit d’une récession majeure, il s’est agi d’une époque de croissance quasi-constante. En d’autres termes, si la classe moyenne perdait du terrain dans une telle ère, quand jamais grandira- t-elle ?
A qui profite la bonne santé de notre économie ?
Selon les adeptes de l’anti-Bibi systématique, tous les maux proviennent du fait qu’Israël est une économie dominée par l’État régulé par un système de taxation excessif. Mais l’argument est assez mou : Israël a fait d’énormes progrès en ouvrant ses marchés. Le problème, c’est que les pauvres n’ont pas réussi à glaner les bénéfices, et la classe moyenne non plus.
Voici un argument plus consistant : le système éducatif peine à créer une main-d’oeuvre qualifiée nécessaire pour créer et soutenir une économie riche. D’une part, nous avons une nation Start-up, qui emploie une toute petite minorité d’ingénieurs et entrepreneurs talentueux, mais fait peu pour le reste d’entre nous, de l’autre, un segment important et croissant de la population - les haredim - refusent tout simplement de travailler ou même d’acquérir les compétences nécessaires pour être actifs dans une économie de haut niveau.
Le type d’emplois destinés à la classe moyenne - des postes de cadres moyens dans de grandes entreprises ou de fonctionnaires du gouvernement - n’existent pas en grand nombre. Peu de grandes entreprises multinationales sont intéressées par ce type de salariés, et la fonction publique abrite une armée de commis sous-payés et sous-qualifiés.
Les économistes, tels ceux de la Banque d’Israël, expriment naturellement leur préoccupation par le déclin de la classe moyenne en termes économiques. Toutefois, ce n’est pas seulement l’épine dorsale de l’économie qui est fragile, mais celle de la société démocratique. Et dans des temps comme ceux-ci - où les valeurs démocratiques sont attaquées - une classe moyenne bardée de diplômes, économiquement stable et sûre d’elle (oserions-nous dire suffisante ?) constitue la meilleure ligne de défense.