La Kabylie en Terre promise

Fehrat Mehenni, président du Gouvernement provisoire de Kabylie s’est rendu la semaine dernière en Israël. L’occasion de revenir sur cette enclave berbérophone encore en Algérie

Kabylie (photo credit: © Marc Israël Sellem)
Kabylie
(photo credit: © Marc Israël Sellem)

Jeudi 24 mai, il était question d’une contrée de 25 000 km2,au bord de la Méditerranée, dotée de montagnes, de lacs, de plaines. Unecontrée qui a connu la colonisation ottomane puis européenne, et est à présentopposée à des voisins islamistes. Sa population diasporique et industrieuseexige une reconnaissance internationale. On pense alors tout de suite à Israël.Pourtant, cette fois, ce n’est pas de la Terre promise dont il est question, maisde la Kabylie, dans le nord de l’Algérie.

Souvent méconnue du grand public, cette région qui prend racineà une cinquantaine de kilomètres d’Alger se veut la terre d’origine de quelque6 millions de Kabyles, dont la moitié en diaspora, principalement dans lacapitale algérienne ou en France.
Différents des Algériens arabes, les Kabyles ont toujours tenu à garder leurlangue, leurs traditions séculaires et un savoir-vivre bien particuliers. Ilsrevendiquent l’autonomie, voire d’indépendance de la région kabyle vis-à-vis del’État algérien.
Tout naturellement Israël apparaît comme un ami. Et c’est ainsi que, du 20 au25 mai, l’Etat hébreu a accueilli deux représentants kabyles : Ferhat Mehenni,président autoproclamé du “Gouvernement provisoire Kabyle”, et son ministre desRelations internationales, Lyazid Abid, tous deux en visite officielle àJérusalem.
Le premier exilé en France,le deuxième en Allemagne, ils ont déjà été accueillis à Washington,Paris, Berlinet au Parlement européen. Leur objectif : sensibiliser les gouvernements dumonde à la cause kabyle, avec, pour but ultime “porter la question kabyle àl’ONU”.
Ferhat Mehenni est aussi le fondateur du “Mouvement pour l’Autonomie de laKabylie” en 2001, créé après le “Printemps noir” d’Algérie où les Kabyless’étaient sévèrement opposés aux tentatives d’uniformisation imposées par legouvernement algérien.
Primus inter pares

Comme l’a expliqué Ferhat Mehenni lors d’une interview auJerusalem Post, jeudi 24 mai, la Kabylie a toujours été une région florissanteet animée d’un sentiment de liberté et d’honneur hors du commun.

Pour avoir subi les invasions romaine, mauresque, ottomane, la Kabylie estrestée un foyer culturel important. Sa “capitale” Béjaïa a ainsi été longtempssurnommée “la perle de l’Afrique”. Et c’est notamment là qu’ont été introduitsles chiffres arabes en Europe.
A la veille de la colonisation, le territoire était constitué d’une sorte deconfédération princière avec des intérêts communs. Les soldats français ontd’ailleurs dû se battre bien longtemps pour incorporer véritablement la Kabyliedans la carte de l’Algérie française. Et c’est à l’époque française que s’estopéré un premier “traumatisme culturel”, avec la création des “bureaux arabes”pour acculturer la population en la faisant d’abord passer par la sphèreculturelle arabe puis, à terme, la civilisation française. Si bien que devantcette première négation de leur spécificité culturelle, les Kabyles se sontfortement engagés contre la présence française et pour l’Indépendance del’Algérie.
Ils ont ainsi longtemps constitué une bonne partie de l’intelligentsiaalgérienne au moment de l’Indépendance.
Pourtant, après 1962 leur situation ne s’est guère améliorée et les illusionssont tombées les unes après les autres.
Débarrassés d’un colonisateur européen, c’est l’oppression interne qui a prisplace, avec les régimes autoritaires, notamment celui de Boumediene. Le brefsemblant de démocratie à la mort de ce dernier n’a presque rien changé, avec lapoursuite d’une sévère politique d’arabisation. Et l’arrivée des islamistes enAlgérie n’a fait qu’accroître l’oppression sur les Kabyles, alors queBouteflika adopte une politique ambiguë.
Qui dit islam, dit surtout culture arabe

Convertis de force à l’islam dès leVIIe siècle, les Kabyles entretiennent pourtant un islam syncrétique et modéré.Les femmes n’y sont presque jamais voilées. Ce qui ne convient pas auxislamistes et aux différents gouvernements en place en Algérie, quipréféreraient, selon Mehenni, un “islam englobant, car qui dit islam ditsurtout culture arabe”.

Or comme l’explique Mehenni, “un peu comme les Juifs en Europe,les Kabyles ont toujours su conserver leur identité malgré lesdiscriminations”. Dans leur cas, c’est grâce à une langue, des traditions etune société bien différentes des Arabes environnants.
Et ce malgré les nombreuses tentatives d’acculturation, d’arabisation etd’islamisation de la part du gouvernement central algérien.
C’est ainsi que dernièrement, expliqueLyazid Abid, le président algérienBouteflika en visite en Kabylie a refusé la construction d’hôpitaux mais aproposé une zaouïa, encourageant de nombreux imams terroristes fondamentalistesrepentis à reprendre le service dans des mosquées de Kabylie.
L’islamisme est d’ailleurs un traumatisme personnel pour Mehenni, lui qui afait partie des otages de l’Airbus détourné par des terroristes du Groupeislamiste armé en 1994.
Selon Mehenni, les persécutions n’en finissent pas, et alors même que lesKabyles sont “l’ossature même de l’administration algérienne, les postes àhaute responsabilité sont très rarement occupés par ceux-là”.
De même, pour les officiers de l’armée il arrive souvent que les militairessoient mis à la retraite avant qu’ils n’atteignent des grades trop élevés,ajoute Lyazid Abid. Enfin, les universités algériennes seraient saturées parles Kabyles désireux d’étudier au point de fixer des quotas pour ces derniers(ce qui n’est pas sans rappeler les numeri clausi contre les Juifs dans lesgrandes universités de la Russie tsariste).

Autonomie et autodétermination

Mais l’on ne peut pas dire que les Kabylessoient restés inactifs devant ce “rouleau compresseur arabisant”. Les épisodesde mobilisation populaires ont marqué l’histoire de l’Algérie. Comme le célèbrePrintemps berbère en 1980 en faveur des langues et cultures régionales, uneinitiative positive mais insuffisante car elle reconnaît le Berbère commelangue nationale sans mention du Kabyle.

Dans la même optique, l’année 1994 avait été marquée par un boycott dans toutela Kabylie des établissements d’enseignement, de la Maternelle à l’université,pour protester contre la négation de leur spécificité culturelle.
Un mouvement symbolique et pacifique, suivi en 2001 par le “Printemps noir”,autrement plus violent.
“Nous sommes, à ce jour, administrés tels des colonisés, voire des étrangers enAlgérie”, s’indigne Mehenni. Celuici a souligné le caractère pacifique de lalutte, mais qui risque de dégénérer d’ici quelques années en démonstrationsplus violentes.
C’est aussi ce qui justifie les mouvements de désolidarisation du gouvernementd’Alger : “La Kabylie s’est toujours engagée pour la cause de l’Algérie, mais atoujours été rejetée par l’Etat. Et si elle veut à présent être indépendante,c’est précisément du fait du rejet des Kabyles par les Algériens arabes”.
C’est à présent l’autodétermination qui est de plus en plus considérée : “Cen’est qu’en 2001 que la Kabylie a sérieusement envisagé un destin séparéd’Alger : nous avons commencé par l’autonomie, puis nous avons établi legouvernement provisoire [en 2010], et aujourd’hui nous demandonsl’autodétermination du peuple kabyle. Nous voulons la liberté, car lesfrontières héritées de la colonisation ont montré leurs limites”.
Une situation qui semble rappeler le lendemain de la Seconde Guerre mondiale,lorsque les puissances de l’ONU voulaient imposer des frontières aberrantes àIsraël.

“Liberté pour la Kabylie, éternité pour Israël”

Mehenni n’a eu de cessed’ailleurs de souligner l’amitié qu’il éprouve envers Israël. Partageant lesmêmes valeurs démocratiques, mais aussi les mêmes craintes, Kabylie et Israëlont pour lui tout à gagner à coopérer étroitement.

Encerclés par des zones arabes “hostiles”, leurs craintes communes sontd’autant plus justifiées que le gouvernement algérien entretient d’excellentesrelations avec le régime des Ayatollahs.
Ce qui justifie encore plus cette visite en Israël. A son arrivée dimanche 20mai, la délégation kabyle a d’abord été accueillie par l’ex ambassadeurd’Israël en Mauritanie, Yigal Carmon. Puis Mehenni et Abid ont été reçus à laKnesset par le vice-président Danny Danon. Ce dernier a notamment dénoncé lapolitique du gouvernement d’Alger. Enfin, entretien avec Ouzi Landau qui s’estmontré très compréhensif à l’égard de leurs revendications.
La visite a naturellement suscité des critiques en Algérie, où le gouvernementnie l’existence à la fois d’Israël et de la Kabylie. Ferhat Mehenni avoue aupassage qu’il brave la loi en venant en Israël, “puisqu’il existe une règleimposant à tous les Algériens de boycotter l’Etat hébreu”.
Quelles perspectives pour l’avenir ? Celles-ci sont surtout conditionnées parle degré de sensibilisation des puissances occidentales à la cause kabyle, carjusque-là le pétrole et le gaz algériens semblent plus marquants que lesmontagnes de Kabylie.
Mais l’espoir fait vivre. Et Mehenni s’est voulu prophète et philosophe enponctuant la rencontre de vœux pieux : “Liberté pour la Kabylie, éternité pourIsraël”. Espérons que l’avenir lui donnera raison.