Attaque prématurée = danger ?

Pour l’ancien chef des renseignements militaires, Aharon Zeevi Farkash, rien ne sert de frapper l’Iran maintenant, il faut frapper à point

Iran (photo credit: Mohammad Babaie / Reuters)
Iran
(photo credit: Mohammad Babaie / Reuters)

Le général de division Aharon Zeevi Farkash est inquiet. Tellement inquietqu’il a décidé cette semaine d’interrompre son long silence sur l’Iran et departager ses préoccupations avec le grand public. A la tête des renseignementsmilitaires de 2001 à 2006, Farkash est familier du programme nucléaire iranien: c’est lui qui a supervisé une grande partie des recherches effectuées en2002, qui avait permis à Israël de déduire que l’Iran était en train dedévelopper l’arme nucléaire. C’est lui aussi qui a été envoyé par le Premierministre Ariel Sharon dans de nombreuses missions diplomatiques à traversl’Europe, pour faire part des soupçons d’Israël sur l’Iran.

Alors, qu’est-ce qui a bien pu inciter Farkash à prendre la parole cette semaine? Réponse : la crainte d’une attaque imminente lancée par Israël à l’encontredes installations nucléaires iraniennes, qui selon lui serait prématurée. Fortde 40 ans d’expérience dans les services de renseignements israéliens, Farkashappuie ses propos sur ce qu’il perçoit dans les discours des politiquesisraéliens, notamment du Premier ministre Binyamin Netanyahou et du ministre dela Défense Ehoud Barak.

Israël, explique-t-il, ne devrait pas attaquer avant les présidentiellesaméricaines du 6 novembre. “Je pense que dans ce laps de temps il est difficiled’imaginer que quelque chose puisse arriver avant les élections”, a-t-ilprécisé. Mais selon lui, une prise de décision semble imminente. Farkash met engarde : une attaque contre les installations nucléaires iraniennes actuellementne serait pas une bonne idée. “Ce n’est pas le bon moment, même si c’est unsuccès, l’attaque va ruiner la légitimité nécessaire à une telle action”,dit-il.

Il suggère d’attendre six à huit mois, voire même jusqu’au printemps 2013,avant de prendre une décision. Le mot qui revient tout au long de l’entretienavec Farkash : “légitimité”.

 

Un terme essentiel pour qu’Israël ait un soutien diplomatique suite àl’attaque. Afin d’assurer que les Iraniens ne puissent reconstruire leursinstallations et poursuivre leur course à l’armement, chose, Farkash en estsûr, qu’ils feraient immédiatement.

“Un assaut ne se compose pas d’une seule frappe, et une fois l’opérationlancée, nous sommes dans une autre dimension”, confie-t-il. “L’Iran se retireradu traité de non-prolifération.
Khameini et Ahmadinejad s’uniront et nous ne pourrons pas les attaquer denouveau. Israël a besoin d’une légitimité pour continuer les opérations pendantdes semaines, des mois ou même des années. Et pour Farkash, le pays doit êtresûr que les attaques pourront continuer. “C’est la clé du succès ou del’échec”, ajoute-t-il.

Les cinq menaces d’Israël

Autre raison pour Israël de reporter l’attaque, toujours selon Farkash :les nombreux défis auquel le pays fait actuellement face. “Nous sommesconfrontés à cinq décisions en matière de sécurité” : une possible attaquecontre l’Iran, une potentielle action pour stopper la prolifération des armeschimiques syriennes, l’accroissement de la menace terroriste dans la péninsuledu Sinaï, une imminente attaque dans la bande de Gaza pour stopper les tirs deroquettes et être toujours prêts à une confrontation avec le Hezbollah et ses50 000 missiles.

Alors qu’il est opposé à une attaque contre l’Iran, Farkash comprend la craintede Netanyahou et de Barak, de se retrouver seuls pour traiter avec la menaceiranienne. Il félicite le gouvernement actuel pour avoir réussi à faire del’Iran une question mondiale. La communauté internationale prend consciencequ’avec l’arme nucléaire, le régime des Mollahs constituera une menace pour touset pas seulement pour Israël.

Et de se tourner vers les massacres au nord du pays, dans l’impuissancemondiale. “Le Premier ministre et le ministre de la Défense regardent la Syrie,plus de 20 000 personnes ont été tuées, Bashar Al-Assad massacre son peuple, etpersonne ne fait rien”, confie-t-il. “La leçon qu’ils en tirent est que nousdevons prendre notre destin entre nos mains ; mais pour moi, cela ne passe paspar une attaque contre l’Iran”.

Certes, les sanctions n’ont pas encore eu l’effet escompté, reconnaît-il. Téhérancontinue son enrichissement d’uranium et les trois derniers cycles dediscussions entre la République islamique et le groupe des 5+1 sont pour lemoment un échec. Farkash ajoute cependant que le processus est en cours et nedoit pas être interrompu : la possible chute d’Assad, la montée en puissancedes frères musulmans en Egypte, l’embargo de l’Union européenne sur le pétroleiranien, le retrait de l’Iran du réseau bancaire SWIFT et les nouvellessanctions prises cette semaine par le président Barack Obama en font partie.

Pas que des paroles en l’air

 “Tout cela me fait dire : il faut laisser le processus se faire et ne pasperdre notre légitimité”, ajoute Farkash. Mais quelle légitimité exactement ?L’ancien chef des renseignements prend la seconde guerre du Liban en exemple. “Nousavions une incroyable liberté d’action, puis le Hezbollah a tenté à cinqreprises de kidnapper des soldats israéliens, nos actions étaient alorslimitées”, explique-t-il.

A l’heure actuelle, ajoute-t-il, les pays européens et asiatiques paient leprix fort pour leur participation aux sanctions et à l’arrêt du commerce avecl’Iran. “Si Israël attaque, on se demandera pourquoi, alors que le monde aimposé des sanctions économiques et en subit les conséquences”, remarqueFarkash.

Quid des arguments émis par Barak : si Israël attend trop longtemps, l’Iranentrera dans une zone dite d’immunité - avec le renforcement des installationset des centrifugeuses - et les possibilités militaires d’Israël serontrestreintes ? Farkash est contre l’argument de la “zone d’immunité”, et iln’est pas le seul. Le Pentagone l’a également rejeté. Mais pour l’ancien chefdu renseignement, quand la zone d’immunité s’oppose au principe de légitimité,la légitimité doit être prioritaire.

De plus, Farkash ajoute que les Iraniens n’en sont pas encore à cette étape,ils continuent d’enrichir de l’uranium à 20 % voire moins, tandis que l’uraniumà des visées militaires nécessite un enrichissement à plus de 90 %. “L’intérêtest de savoir quand ils le feront.”

 

Selon Farkash, la seule chose qui pourra arrêter Khamenei et Ahmadinejad serade leur donner le sentiment que la République islamique est face à “une menaceréelle”, qui met en danger son existence future en tant que gouvernementiranien. Cela peut passer par l’imposition de nouvelles sanctions, isolerencore davantage le régime et montrer que la menace militaire est bel et bienréelle. Pour ce faire : l’envoi par les Etats-Unis de quatre porte-avions dansle golfe Persique, et la tenue par Israël d’exercices de défense civils etd’exercices de son aviation longue portée serait une première étape. “Ilsdoivent savoir que ce ne sont pas que des paroles en l’air”, conclut-il.