Forces en présence

Certains l’appellent une “frappe”, d’autres une “opération”. Ce qu’elle comportera exactement ? Nul ne semble le savoir, mais on dit qu’il y aura des surprises, beaucoup de surprises...

Force en présence (photo credit: Reuters)
Force en présence
(photo credit: Reuters)

Lorsqu’Israël se décidera à lancer une offensive sur les infrastructuresnucléaires iraniennes, ce sera pour y causer un maximum de dégâts, afin deretarder autant que faire se peut les projets atomiques du Régime des Mollahs. Mais à quel point l’Etat hébreu peut-il ralentir la République islamique dans sacourse au nucléaire ? Tandis que les médias ont mis l’accent sur les désaccordsentre Tsahal et le gouvernement à ce sujet, la réponse se trouve peut-êtreailleurs. Mardi 13 août, Martin Dempsey, chef d’état-major des arméesaméricaines, déclarait devant la presse qu’Israël ne pouvait pas “détruire” leprogramme nucléaire iranien, mais au mieux le “retarder”. Les désaccords israélo-américains semblent porter sur des notions de confianceet de timing, mais aussi, plus spécifiquement, sur la question de savoir siJérusalem doit attaquer Téhéran dès à présent, ou laisser le temps au présidentBarack Obama de faire le travail lui-même. Les deux alliés s’entendenttoutefois sur un point : l’Iran n’a pas encore commencé à construire la bombe.Mais Israël d’avancer qu’attendre trop longtemps risquerait de faire manquer lacible. Car lorsque l’assemblage débutera, il sera trop tard pour attaquer.

Un argument rejeté par les Etats-Unis, portés à croire, eux, qu’ils maîtrisentles événements en République islamique et que rater la cible est impossible.Rappel historique : en Corée du nord, ce raisonnement n’avait pas réussi auxAméricains.
Un but, plusieurs cibles 

Pour savoir jusqu’à quand une attaque sera effective,il faut répondre à quatre questions clefs : est-ce qu’Israël connaît lalocalisation de toutes les infrastructures iraniennes ? Est-ce que Tsahal peuttoutes les atteindre par avions de chasse ou par missiles sol-sol ? Est-ce quel’armée peut venir à bout du système de défense aérien iranien ? Enfin, est-cequ’elle peut pénétrer dans certaines des enceintes souterraines et renforcéesdu Régime ? Les deux cibles principales semblent être Natanz et Fordo, deuxdispositifs d’enrichissement d’uranium enterrés en sous-sol. Israël voudra certainement détruire également Parchin, une base militaire prèsde Téhéran, où, selon les informations israéliennes et américaines, lesIraniens font construire leurs ogives nucléaires. Tout comme Esfahan, laprincipale usine de conversion d’uranium, qui alimente Natanz. Autre cible potentielle : Arak, une large usine de distillation d’eau, quipourrait un jour servir à raffiner du plutonium (bien qu’elle ne sera pasopérationnelle avant plusieurs années).

D’autres infrastructures sont moins connues : l’une d’elles abrite par exemplele groupe d’armement - un collectif de scientifiques chargé d’assemblerl’ogive. Elles pourraient également devenir des cibles, bien que certainessoient localisées au coeur de centres de populations. Mais il n’est là question que des infrastructures affiliées au programmenucléaire. Les stratèges militaires aimeraient également détruire les missilesà longue portée iraniens, ainsi que leurs porte-missiles, pour prévenir ou aumoins minimiser la capacité de riposte du Régime. Idem pour l’aviation de Téhéran ainsi que ses usines à pétrole, qui pourraientservir à financer une réhabilitation du programme endommagé.
La route est longue jusqu’à Téhéran 

Problème : arriver en Iran ne sera passimple. Lorsque l’ancien chef d’état-major, le lieutenant-général Dan Haloutz,avait été interrogé pour savoir jusqu’où pourrait aller Israël afin d’arrêterl’Iran, il avait répondu : “Deux mille kilomètres”, soit la distance nécessairepour atteindre les enceintes nucléaires iraniennes. Trois routes s’offrent en réalité aux jets de l’armée de l’air israélienne : lapremière, au nord, longe la frontière turco-syrienne jusque l’Iran. Maisl’itinéraire comporte de nombreux risques, dont les défenses aériennessyriennes et l’opposition de la Turquie à violer son espace aérien.Contrairement à 2007, où Israël avait survolé la Turquie pour bombarder leréacteur nucléaire syrien, Jérusalem et Ankara n’ont plus les liens quipermettraient une telle opération. D’un autre côté, difficile d’imaginer laTurquie - membre de l’OTAN - interceptant l’avion israélien, même non annoncé.Quant à la menace des défenses aériennes syriennes, elle semble moins sérieuseaujourd’hui, alors que le président Bashar Assad a, pour le moins, d’autreschats à fouetter. En 2007, Israël avait notoirement fait usage d’uneimpressionnante technologie électronique, permettant d’aveugler les radarssyriens, un exploit peut-être renouvelable cette année.

La voie la plus directe, l’itinéraire du centre, ferait survoler les avionsau-dessus de la Jordanie et de l’Irak. Trajet le plus court, il nécessiterait d’intenses efforts diplomatiques etpourrait remettre en cause la paix avec Aman, qui se verrait à son tour exposéeaux représailles iraniennes. En fin, la dernière éventualité se trouve au Sud. L’aviation survolerait l’Arabie Saoudite jusque l’Iran. Bien plus long que lesprécédents, cet itinéraire est sérieusement envisagé par Israël, selonplusieurs médias. L’Etat hébreu aurait entamé des négociations avec le royaumesaoudien, comprenant un atterrissage dans le désert pour refaire le plein dekérosène. Et selon un rapport, l’Arabie Saoudite conduirait des exercices pours’assurer de ne pas tirer sur un avion de chasse de l’armée de l’airisraélienne, en cas d’une telle attaque. Pourtant, récemment, un journalisraélien a rapporté que les Saoudiens auraient menacé de tirer sur l’aviationisraélienne.Deux interprétations possibles à cet article : info ou intox ? Info : si leRoyaume est prêt à mettre sa menace à exécution, il pourrait donc, en dépit deson conflit ouvert avec l’Iran, tenter d’intercepter les appareils de Tsahal.Intox : cette menace pourrait servir à endormir le Régime des Mollahs. Et aulendemain du survol de la flotte israélienne de leur ciel, les Saoudienspourraient prendre une mine contrite auprès de leur voisin exécré : “Nous avonstenté de les arrêter et même proféré des menaces, mais sans succès”.

F-15, Hercules, Shavit : un arsenal suffisant ? 

Contrairement à l’aviationaméricaine, l’armée de l’air israélienne ne possède ni bombardiers, nichasseurs-intercepteurs dignes de ce nom. Chacun de ses F-15 et F-16 se doitdonc de jouer les deux rôles, en cas de besoin. C’est pourquoi, une offensivede l’Etat hébreu ferait la part belle aux sophistiqués F-151 et F-161,complétés d’un assortiment de F-16 C/D et F-15 A/B. Tsahal a passé plusieurs années à qualifier ses anciens appareils - les modèlesA/B et C/D - pour des missions au long cours comme celle qui pourrait seproduire en Iran, ainsi qu’à les équiper de munitions spéciales, de type JDAM(bombes guidées par GPS). L’armée voudrait également utiliser sa petite mais redoutable flotte d’AWACS(avions de surveillance aérienne et de commandement aéroporté). Un modèlecapable de créer une image aérienne sans s’appuyer sur les systèmes de radarimplantés au sol et qui aiderait les forces à repérer des chasseurs ennemis,ainsi que des tirs de missiles.

Les avions de transports C-130 Hercules pourraient également jouer un rôle dansle transport de forces spéciales, pour infiltrer et détruire certainesinfrastructures souterraines, ainsi que mener des évaluations postfrappes, ouencore déployer des équipes de recherche et sauvetage pour retrouver despilotes abattus au-dessus de l’Iran. Tsahal a également fait installer deshôpitaux atmosphériques à l’intérieur des Hercules. Un dispositif qui pourraitservir, en cas de pertes et de blessés. Mais la question demeure : l’Etat hébreu pourra-t-il pénétrer à l’intérieur desenceintes iraniennes ? Ces dernières années, l’armée a renforcé son arsenal debombes anti-bunker, en partie grâce à l’administration Obama. Les GBU-27 etGBU-28 peuvent transporter entre 450 et 1300 kg d’explosifs, et sont considéréscapables d’atteindre l’intérieur de la salle d’enrichissement d’uranium àNatanz.
Si ces bombes elles-mêmes ne suffisent pas, l’ancien commandant de l’armée del’air, le général de division Eitan Ben-Eliyahou, a expliqué au cours d’unentretien, il y a plusieurs années, que les pilotes pouvaient “guider desbombes précisément dans l’impact des précédentes et ainsi, venir à bout den’importe quelle cible”. De plus, et par contraste avec le bombardement du réacteur Osiris en Irak en1981, de nos jours les pilotes n’ont plus besoin de survoler leurs cibles pourlarguer leurs bombes, ils peuvent, à la place, les téléguider par laser ou parGPS. La complexité d’une telle opération rend cependant les surprises probables.Tout d’abord, Israël pourrait, selon des sources étrangères, avoir recours auxmissiles balistiques Jéricho II, d’une portée de plusieurs dizaines dekilomètres et qui pourraient cerner l’Iran à un haut degré de précision. L’Etathébreu n’admet pas officiellement être en possession du missile, mais lelanceur Shavit (développé par les Industries aérospatiales d’Israël pour mettreles satellites israéliens en orbite) serait une copie du Jéricho. Il serait,selon plusieurs experts, capable de transporter des ogives nucléaires, etentreposé dans une base aérienne des environs de Beit Shemesh.
L’avantage d’attaquer les complexes iraniens avec des missiles sol-sol estdouble : d’une part, pas de danger pour les pilotes d’êtres abattus, tués oucapturés. D’autre part, pas de preuve immédiate de l’implication d’Israël dansl’attaque puisqu’aucun F-15 marqué de l’étoile de David ne sera visibleau-dessus de l’Iran. La même stratégie peut être appliquée aux drones israéliens, dont certainsseraient capables de transporter des missiles. Dans les deux cas cependant, lacapacité de pénétration est inconnue et pourrait être limitée, ce qui signifieque l’action se cantonnerait aux cibles à l’air libre. Payer le prix fort ? Tandis que la plupart des experts estiment Tsahal capablede causer suffisamment de dommages au programme nucléaire iranien pour leretarder, la plupart d’entre eux situent également le succès de l’opération auxconfins des aptitudes militaires israéliennes, voire juste au-dessus. C’estpourquoi le Premier ministre Binyamin Netanyahou s’en réfère souvent aubombardement d’Osiris, en 1981 : l’allusion tient tout autant au courage qu’ilperçoit dans la décision de Menahem Begin d’attaquer, mais également à lacapacité de l’armée de l’air de mener des opérations a priori impossibles.
Il y a trente ans, les F-16 étaient rentrés d’Irak avec pour seule angoisse lesémanations de leurs réservoirs à essence vides. Cette fois-ci, la plupart desofficiers auront sans doute en tête les conséquences de l’attaque et la guerrequi s’en suivra très probablement. L’autre sujet de préoccupation d’Israël sera le prix à payer à l’égard desEtats-Unis pour une action unilatérale et non coordonnée avec son allié.Toujours en 1981, l’administration Reagan avait décidé de retarder la livraisond’un lot de chasseurs F-16 à l’Etat hébreu. Quelle serait la réaction de l’administration Obama aujourd’hui, dans un cassimilaire ? Difficile à dire. Israël attend également de Washington une livraison d’appareils de pointe.Cette fois-ci, il s’agit du F-35, un chasseur 5e génération furtif(banalisation de signature) que l’armée de l’air attend avec impatience dansles prochaines années, car il devrait aider l’Etat hébreu à conserver sasuprématie militaire dans la région. En retarder la livraison serait une mesurepunitive parmi tant d’autres de la part des Etats-Unis, qui disposent deplusieurs cordes à leur arc. Dont notamment une réduction générale de lacoopération israélo-américaine en matière de renseignements et de défense (enparticulier concernant les systèmes de défense anti-missile aériens).
Le président Obama a signé, il y a seulement quelques semaines, une nouvelleloi pour augmenter les liens défensifs entre les deux pays, comprenant 70millions de dollars supplémentaires pour Dôme de fer. Des fonds vitaux pourl’Etat juif, en particulier à l’approche d’une récession économique. Israëldoit donc décider de la marche à suivre. Mais pour autant son message est clair: le temps presse.