Une économie au service de l’Homme

Le judaïsme est plus qu’une religion. Tout en étant à la base des fondements éthiques de notre civilisation, il définit également un mode de vie très pragmatique que d’aucuns considèrent, à tort, comme n’étant qu’une foule de détails

L'unité et la justice par Theodoor van Thulden (photo credit: DR)
L'unité et la justice par Theodoor van Thulden
(photo credit: DR)

La Torah vise à remettre l’économie au service de tous les êtres humains. La quête messianique  passe par la résolution des problèmes économiques. N’est-ce pas Moise qui désapprouve les  explorateurs envoyés en Canaan parce qu’ils préfèrent la spiritualité tranquille du désert à un  quotidien parfois difficile dans le monde matériel de la Terre promise ?

Attitude positive vis-à-vis du progrès
« Le Judaïsme », s’exclamait André Neher, « est une des rares familles religieuses qui accepte de  dire oui à l’économie sans réticence ». Il ne s’agit cependant pas d’un chèque en blanc pour toute  forme d’enrichissement. La dignité humaine est fondamentale. C’est l’élément commun à tous les  Hommes. C’est un demi-sicle (et pas un sicle entier) qui était demandé pour recenser les Hébreux.  Certains commentateurs soulignent par là le fait qu’on ne doit pas faire équivaloir un homme à une  unité monétaire.
La tradition juive fait d’ailleurs tantôt l’apologie de la richesse, tantôt celle de la pauvreté. Face à la  pauvreté, on rencontre souvent la notion de charité et celle de justice. Le Pr Baruk souligne que la  charité seule aboutit à l’injustice par faiblesse et que la pratique de justice seule aboutit à trop  souvent à l’injustice. Mais en hébreu, un seul terme existe – Tsedaka – pour exprimer les deux  attitudes. Ainsi une nouvelle manière est introduite pour défendre les plus faibles. Cet impôt a un  taux moyen de 10 % et peut atteindre chez les plus généreux jusqu’à 20 %. Même l’indigent doit  aider celui qui est plus pauvre que lui.
Destinée à recréer une société sans pauvres, la Tsedaka peut prendre les formes les plus diverses  et est d’autant plus magnifiée par les rabbins qu’elle est discrète, ou mieux encore, qu’elle aide celui  qui est dans le besoin à trouver un travail qui lui permettra de devenir indépendant.
La Torah insiste sur le devoir de subvenir à ses propres moyens. Et le Talmud prône le mérite de  l’entreprise individuelle. Parallèlement, les rabbins enseignent qu’« en faisant appel au travail  permanent d’un employé, les rôles sont inversés et c’est l’ouvrier qui devient le patron ». Et en effet,  le droit de grève est reconnu.
Redistribution des revenus
L’employeur doit payer l’ouvrier en temps voulu puisqu’il est écrit dans le Deutéronome (XXIV, 5) :  « Le jour même, tu lui remettras son salaire avant que le soleil se couche car il est pauvre ». D’une  façon générale, les rapports entre le patron et son employé doivent être basés sur l’injonction  biblique « afin que ton frère puisse vivre avec toi ». La Torah déploie toute une série de règles bien  précises sur la propriété comme : l’année sabbatique – chemita.
Tous les sept ans, la terre doit se reposer. Elle devient la propriété de la collectivité ainsi que tous  les fruits qu’elle donne sans ensemencement. (Lévitique XXV, 23). En outre, tout créancier fait  remise de sa dette, et tous les quarante-neuf ans tous les biens et notamment les terres reviennent  aux propriétaires respectifs qui les détenaient au Jubilé précèdent. De Jubilé – yovel – en Jubilé, la  propriété revient donc irrévocablement à ceux qui l’ont reçu lors du partage à l’entrée en Terre  Sainte. Qu’en est-il des transactions commerciales ? Le Talmud prend position à plusieurs reprises  en faveur de la concurrence. Lorsqu’il édicte un certain nombre d’exceptions à cette règle, il veille  toujours à ce qu’elles ne restreignent pas les avantages qu’apporte la concurrence aux  consommateurs.
« Ne commettez pas d’iniquités dans vos jugements et ayez des balances exactes », nous enseigne  la Torah. L’acheteur doit être informé des éventuels défauts d’une marchandise ; ceux-ci ne doivent  pas être dissimulés par un procédé quelconque. A titre d’exemple, Rabbi Yehouda enseigne dans le  Talmud : « qu’un commerçant ne doit pas distribuer des amandes à des enfants car il les habitue  ainsi à fréquenter son magasin ». Précisons cependant qu’un autre rabbin le permet. La Loi orale  considère que les prix découlent du jeu du marché, où acheteurs et producteurs se confrontent et ne  cherchent pas à s’opposer au jeu de l’offre et de la demande. Pour les produits de première  nécessit, le Tribunal peut fixer un prix maximum (!!). De même, tout stockage spéculatif est  strictement interdit. A l’issue de cette description non exhaustive de la conception de l’économie que  se fait le Judaïsme, comment peut-on répondre à la question suivante : la Bible prend-elle parti pour  le libéralisme ou le socialisme ?
On notera tout d’abord que le principe d’appropriation collective des moyens de production trouve  peu d’échos dans le judaïsme. Les différentes terres ont été attribuées aux chefs de famille des  douze tribus. Une deuxième caractéristique du judaïsme est que la recherche de la justice sociale  passe avant toute autre chose. « La justice, la justice tu rechercheras… », lisons-nous dans le  Lévitique. L’objectif prioritaire étant de supprimer la pauvreté et toutes les formes de disparité afin  de garantir la dignité intrinsèque de tous les êtres humains.
Avec feu le rabbin Elie Munk on peut conclure, comme il l’écrit dans son remarquable ouvrage « La  Justice sociale en Israël » : « L’application des principes de la Torah dans tous les domaines de la  vie économique et sociale ne permet pas l’existence du système capitaliste ».  u
L’auteur dirige le centre Shorashim pour les étudiants de l’Université hébraïque de Jérusalem.
Tél. : 054 239 97 91
Chaque mois, vous trouverez dans cette rubrique les réponses aux questions que vous souhaitez  poser : french@jpost.com