Israël, un autre pays du fromage ?

L’Etat juif fait une entrée remarquée dans la cour des grands du fromage : 8 de ses maîtres fromagers viennent d’intégrer la Guilde internationale de la profession

Fromage francais (photo credit: JPOST STAFF)
Fromage francais
(photo credit: JPOST STAFF)
 «La Guilde a pour vocation de rassembler l’ensemble de la filière laitière et de transmettre le savoir par le compagnonnage ». Tels sont les mots de Roland Barthélemy, président de la Guilde internationale des fromagers forte de 6 050 membres répartis dans 33 pays. Et depuis ce jeudi 15 mai, l’institution compte 8 membres de plus : 8 Israéliens qui ont été élus et sont issus des diverses sphères liées à la gastronomie. On retrouve des producteurs de fromages de chèvre du nord du pays, des importateurs de produits laitiers, des propriétaires de fromageries, des restaurateurs et hôteliers ou encore des critiques gastronomiques pour ne citer qu’eux. Une nomination en forme de reconnaissance.
« Je pense qu’il était vraiment temps de créer ce club israélien parce que le peuple israélien dans sa mixité est un formidable brasseur de cultures. Automatiquement, cela génère une grande curiosité gastronomique », explique Barthélemy. Les 1 400 sortes de fromages recensées par l’expert fournissent donc un vaste éventail de possibilités pouvant satisfaire les penchants de chacun, quelles que soient ses origines et ses habitudes alimentaires. Il y en a pour tous les palais.
 Une des fonctions de la Guilde est de mettre en valeur les producteurs des pays membres ; pour cela, des salons sont organisés et des représentants de chaque pays affilié à cette organisation, sont présents, pour faire connaître leurs produits. Car « les Français doivent savoir que cela existe », insiste le président de ce groupe international. Il donne pour exemple les grands éleveurs de caprins israéliens, producteurs de fromage de chèvre et qui, grâce à l’aide de la Guilde, pourraient exporter leurs produits pour les consommateurs de fromages cashers au niveau international.
Comme le bon vin
 L’adhésion à cette confrérie fromagère apporte également une forme de légitimité à une jeune industrie dont le développement est récent mais pourtant plus que prometteur.
 Avi Ilnai est propriétaire de la première fromagerie spécialisée du pays, qu’il a ouverte il y a dix ans, sur Ibn Gvirol, une artère centrale de Tel-Aviv. Il affirme se sentir comme un pionnier dans le domaine. Pour lui, son élection à la Guilde sonne comme un hommage à son travail et à l’industrie en général. Sa boutique se différencie des grandes surfaces dans la mesure où ses produits proviennent exclusivement de petites fermes israéliennes. Ilnai s’est fixé un objectif : apprendre aux consommateurs israéliens à apprécier ces produits artisanaux et le savoir-faire qu’ils représentent, mais aussi, « faire un petit peu d’argent au passage ! », souligne-t-il avec humour.
 Cette reconnaissance d’un organisme international reflète-elle une évolution des attentes des Israéliens ? « C’est une vague qui se propage à travers le monde. De la Nouvelle-Zélande aux Etats-Unis, vous commencez à trouver partout des fromages artisanaux et des festivals de fromages et depuis cinq à dix ans, nous avons l’impression de faire partie de ce mouvement », explique Ilnai au sujet de l’industrie israélienne.
 Il compare l’évolution de cette sphère à celle de l’industrie viticole dans les années quatre-vingt. Une demande d’ordre qualitatif s’est fait ressentir au sein de la population et a incité les producteurs à développer un savoir-faire local et à étendre leurs productions. Aujourd’hui le vin israélien jouit d’une grande réputation et est internationalement exporté. Un phénomène qui tend à se reproduire dans le domaine fromager depuis quelques années, note Ilnai.
Taxés à 156 %
 Nanny Seyman, qui a été nommée chef de la délégation de représentants de la Guilde en Israël, importe des produits laitiers depuis 1992. Selon elle, la mutation du marché est énorme : « Lorsque nous avons eu les autorisations pour importer, nous avons commencé à faire venir du Bleu et les revendeurs israéliens pensaient que les fromages étaient abîmés. “C’est plein de moisissures, venez reprendre vos produits !” » Cette anecdote traduit un manque de connaissance qui n’est plus d’actualité. Seyman explique cette évolution gustative par le fait que « beaucoup d’Israéliens voyagent et mangent du fromage à l’extérieur du pays ». De là, leurs connaissances, leur goût et leurs attentes se sont élevés.
 « Les Israéliens sont de gros consommateurs de produits laitiers. Ils aiment ça, mais il n’y en avait pas en Israël » et cela est en partie dû aux taxes plus que considérables imposées par le gouvernement. Manger du fromage français en Israël est presque un luxe : les droits de douane sont excessivement élevés. Les fromages frais à tartiner tels que le Tartare ou le Boursin étaient par exemple taxés à 156 %, affichant des prix pouvant atteindre 30 shekels pour 250 g. Prix aujourd’hui plafonné à 19 shekels, suite à une décision du gouvernement de revoir les taxes à la baisse. Correct, mais encore bien plus cher qu’en Europe. Et ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres…
Ce qui plaît tant aux Israéliens
 Cette initiative d’ordre culturel a-t-elle des répercussions dans le domaine politique ? Pour Nanny Seyman, le commerce bilatéral contribue au développement des relations et à la création de liens entre les nations : « Les gens apprennent à se comprendre ». Cette reconnaissance d’un pays comme la France donne une légitimité et une visibilité à l’industrie fromagère israélienne. De plus, la Guilde est une sorte de lobby qui pourra aider les membres israéliens à familiariser le public international avec les coutumes et usages locaux. Comme les règles de casherout par exemple, qui sont la cause de beaucoup d’incompréhensions et de mesures qui conduisent à la censure dans nombre d’Etats européens.
 « Avec le fromage, nous sommes dans quelque chose qui s’apparente à l’esprit français », déclare l’ambassadeur de France. Patrick Maisonnave estime ainsi qu’en plus d’apprécier le produit en lui-même, les Israéliens sont sensibles au savoir-faire hexagonal, pas seulement en matière de fromage, mais de manière plus générale : « Ils aiment la façon dont les choses sont faites ». Et pour répondre à ce besoin, la Guilde reviendra lors de la semaine de la gastronomie française et permettra la rencontre d’experts français, qu’ils soient cuisiniers, éleveurs ou artisans, avec leurs homologues israéliens.
 D’autres événements culturels feront également suite. En novembre 2014, une campagne autour du luxe français sera organisée pour familiariser le marché local avec les grandes maisons de l’Hexagone. Là encore, le savoir-faire français sera à l’honneur. Deux grands rendez-vous à venir avec pour dénominateur commun l’aspect qualitatif, qui mettent en avant des techniques artisanales. Et c’est bien cela qui plaît tant aux Israéliens.