Interview de Haim Korsia, candidat au Grand Rabbinat de France

Qu’attendez-vous du GRF ? Quels sont vos espoirs et vos craintes pour cette fonction ?

Je suis candidat au poste de Grand Rabbin de France parce que je crois qu’il faut avoir la force de faire union afin d'affronter les défis à venir. Je l’ai écrit bien avant d’être candidat : il pèse sur les Juifs de France un sentiment de vulnérabilité, d’isolement qui menace notre avenir. Il y a évidemment l’antisémitisme : en France, en Belgique, l’antisémitisme tue. Comme si cela ne suffisait pas, la première chose qu’un acte antisémite provoque, c’est encore plus d’actes antisémites. Les statistiques ne souffrent d’aucune ambigüité : on a vu dans les semaines qui ont suivi l’assassinat d’Ilan Halimi ou l’attentat terroriste contre l’école juive de Toulouse, des dizaines d’actes se multiplier partout sur le territoire, et je crains que cela ne se reproduise suite à l’acte terroriste de Bruxelles, et ce qui s'est passé à Créteil le démontre déjà.

Il y a également des sujets qui entrent dans les prérogatives directes du Consistoire. Prenons l’exemple de la shehita : il y a là une menace symbolique. On jette l’opprobre sur chaque Juif qui mange sa viande cacher et à qui la communauté nationale et européenne dit brutalement qu’il est violent, barbare et sanguinaire. C’est une forme d’exclusion de la communauté et du destin national et européen contre laquelle il faut lutter de toutes nos forces. Il faut refuser cet isolement et se battre contre lui. Et c'est la même chose avec la défense de la circoncision.

Et puis il y a la question des examens durant shabbat. Ce sont souvent des jeunes motivés et croyants qui sont placés devant un choix impossible : abandonner leurs études ou renoncer à leur foi. Il arrive même que certains professeurs leur disent : « Partez, allez dans votre pays ! » comme si leur pays n’était pas la France. Là encore on les retranche du destin national. C’est une insulte pour ce en quoi je crois.

Il faut refuser cet isolement et se battre contre lui. Les murs ne sont pas une solution, car ils nous retranchent du reste de la population plus surement qu’ils ne nous protègent. Il faut bâtir des ponts : j’ai passé toute ma vie à le faire. Depuis plus de 30 ans, je suis un relais entre des mondes qui souvent s’ignorent ou se méconnaissent.

Unis pour faire face : c’est mon engagement et mon combat pour tous les Juifs de France.

 

 

Le GRF est-il le rabbin des Juifs orthodoxes ou doit-il aussi représenter les Haredim, les Loubavitch, les Massortis et les Libéraux ?

 

 Le génie du Consistoire est de porter une personne devant la France qui n’est pas simplement le Grand Rabbin du Consistoire central mais le Grand Rabbin de France c’est-à-dire le Grand Rabbin de tous les Juifs de France. Et même, celui de toute la France. La Thora nous enseigne à ne pas faire « agoudot agoudot », des clans et des clans. Le Consistoire défend une orthodoxie accueillante, ouverte et intelligente qui ne rejette personne. Le Grand Rabbin de France est le rabbin de tous les Juifs de France. Son rôle est de mettre les messages du judaïsme à la portée de chacun, quel que soit son parcours, son identité, sa pratique, sa quête. Le judaïsme doit parler aux Juifs, mais ce n’est pas sa vocation exclusive : il faut être capable de parler à tout le monde et d’élever chacun. C’est ainsi que j’envisage le rôle de Grand Rabbin de France : celui d’un relais, de quelqu’un qui donne le plus large accès à nos textes. Cela passe notamment par le fait de donner davantage de place dans l’étude aux femmes.

 

 

Quel est le réel pouvoir du GRF ?

 

 Le Grand Rabbin de France travaille à l'harmonisation de la vie juive en France, à sa cohésion, à son unité. Cela peut paraitre trivial, mais je crois qu’il faut déjà briser l’isolement qui sévit parfois au sein même de la communauté juive. Mais, unis pour faire face veut également dire rattachés au reste de la communauté nationale. Il faut entretenir et tisser de nouvelles fraternités avec toutes les composantes de notre société.

De ce point de vue, le Grand Rabbin de France dispose d’une responsabilité énorme. Je présenterai mon programme prochainement, mais une seule idée que je vous livre ici en exclusivité, et qui vous donnera un aperçu de ce que le Grand Rabbin de France peut et doit faire. Elle porte sur les questions d’examens shabbat et jours de fêtes. Il faut en faire une question de principe et y voir le début de la violence symbolique qui dit à nos jeunes : Soyez moins Juifs pour être Français. Et c'est inacceptable.

 

 

Envisagez-vous de créer un Beth-Din de France ?

 

L’unité suppose la pluralité en son sein et il faut laisser de la place pour l’expression de toutes les tendances, pour toutes les pratiques, sans céder à l’illusion vaine d’une tour de Babel, où l’on ne parlerait qu’une seule langue ! Mais il doit être possible d'harmoniser un peu mieux les choses et de faire travailler ensemble les dayanim français. Nous trouverons pour cela un Av Beth Din de très haut niveau.

 

 

Ou une Kasherout BDF comme l’avait tenté le Rav Sitruk ?

 

Je crois que sur la cacherout, il y a beaucoup de choses à faire. Rompre l’isolement, c’est faire en sorte que les produits cachers soient plus accessibles, c'est-à-dire moins coûteux et mieux distribués sur l’ensemble du territoire. N'oublions pas les possibilités d'un label européen.

 

 

Comment envisagez-vous le partage des rôles et fonctions entre le président du Consistoire de France et le GRF ?

 

Il y a une véritable complémentarité et chacun a le sien. Les choses sont très claires. Ce tandem est comme un couple qui doit savoir parler et agir d'une seule voix. Il est impensable que la moindre dissension entre les deux puisse sortir à l'extérieur et affaiblir l'institution. Est-ce que quelqu'un s'est plaint du tandem Moïse et Aaron?

 

 

Quel sera l’impact de la fusion entre le Consistoire de France et le Consistoire de Paris ?

 

Typiquement, je ne crois pas qu’il appartienne au Grand Rabbin de France de se prononcer sur une question de gouvernance de cette nature. Le rôle du Grand Rabbin est de faire rayonner les messages de la Thora dans le cœur de chaque Juif et de l’ensemble de la société. Qu'il y ait des adaptations de structures me semble normal, mais comment donner un avis sur un dossier dont personne ne voit les contours et que je ne connais pas ?

 

 

Quelle sera votre action sur le douloureux sort des Agounot qui vient de ressurgir crument à la lumière ? Pressions psychologiques, financières, agrément prénuptial, modification des lois, ... ?

 

Je crois que la priorité est le développement des conditions de l’accueil et de l’écoute au sein de notre communauté. Globalement, la communauté fait de son mieux pour traiter les questions de divorces, de conversions. Il y a encore des efforts à faire et le rabbinat européen a proposé des pistes d'actions qu'il est très surprenant de n'avoir pas encore suivi. Il faut tout faire afin de régler cette douloureuse question qui est une iniquité faite aux femmes. Mais ce qui désespère les gens qui estiment avoir été mal traités par l’institution, c’est l’impossibilité d’un appel, d’un recours. Si le rabbin dit « non » à votre demande, quelle qu'elle soit, vous n’avez personne vers qui vous tourner pour réexaminer votre cas. Si vous estimez qu’un beit din vous a mis dans une situation impossible, vous n’avez aucun moyen. Je veux mettre en place un médiateur auprès du Grand Rabbin de France et du président du Consistoire qui aura pour mission de valider la décision initiale ou de plaider la cause du demandeur, s’il estime qu’il y a eu un problème, de jouer le rôle de facilitateur. Ce sera bien entendu gratuit.

 

 

Que proposez-vous pour mobiliser la jeunesse juive de France ?

 

Il faut promouvoir une vie juive plus participative si l’on veut remobiliser notre jeunesse.

Il ne s’agit pas d’un vœu, mais d’une expérience que j’ai maintes fois éprouvée : le judaïsme familial et participatif, c’est ce que j’ai développé à Reims, c’est ce qui existe dans de nombreuses communautés partout en France, c’est ce que le Consistoire fait avec la Hazak’ avec une grande réussite et ce que nous développons au centre Moadon, dans le 17e arrondissement  avec un modèle très participatif.

Je veux développer un judaïsme familial, strictement conforme à la halakha : un judaïsme curieux où vous connaissez le nom de ceux qui sont assis à côté de vous à la synagogue, c’est un judaïsme prévenant où vous montez à la thora davantage qu’une fois dans l’année, c’est un judaïsme empathique où les joies de vos voisins sont aussi vos joies et leurs peines, vos peines. Les jeunes se reconnaissent dans un tel modèle de judaïsme où ils ne sont plus des consommateurs d'activités mais des producteurs de sens et d'actions.

 

 

L’Alyah connait un essor de 400 % d’une année sur l’autre. Quel est votre avis sur ce sujet ? Et que diriez-vous à un candidat à l’alyah ?

 

Le rapport de chaque Juif à Israël est un rapport ombilical. On se tourne chaque matin et chaque soir vers Jérusalem pour nos prières. Israël incarne une part spirituelle essentielle de chacun d’entre nous. En ce qui concerne la Alyah, c’est une espérance formidable si elle est motivée par un projet de vie positif. C’est une préoccupation si cette Alyah est une Alyah de fuite, si elle n’est pas fondée sur l’espérance mais sur le rejet, sur la peur. Car tout ce qui est fondé sur le rejet ou sur la peur ne tient pas.

 

 

Comment comptez-vous utiliser Internet et les réseaux sociaux ? Il y a peu ou pas de cours ou réponses du Consistoire en ligne alors que d’autres sites sont très présents sur le Web.

 

Voilà une manière de faire rayonner la parole juive très au-delà du cercle des fidèles d’une synagogue. Internet doit être mobilisé comme une opportunité formidable pour nous faire entendre et pour dialoguer, en tissant de nouvelles fraternités notamment sur les réseaux sociaux. Il faut prendre au pied de la lettre les notions « d’amis » et de « followers », et partir à la conquête de nouvelles fraternités par ce biais.

 

 

Comptez-vous élargir la liste des produits cashers disponibles sur le marché agro-alimentaire à l’image du OU Américain qui permet aux juifs de s’approvisionner en grande surface à des prix souvent plus abordables qu’en magasin casher ?

Rompre l’isolement, c’est faire en sorte que les produits cachers soient plus accessibles, c'est-à-dire moins coûteux et mieux distribués sur l’ensemble du territoire. Vous me parliez d’Internet à l’instant : c’est un formidable outil pour améliorer la distribution des produits cachers et pour les rendre moins coûteux.

 

 

La circoncision a été remise en cause récemment. Comment agir pour conserver aux Juifs de France le droit de la pratiquer librement ?

 

« Unis pour faire face » ça veut notamment dire rattachés au reste de la communauté nationale. Et rattachés à l'Europe. Il faut entretenir et tisser de nouvelles fraternités avec toutes les composantes de notre société et travailler avec le concours de tous. Sur les questions d’abattage rituel et de circoncision : j’irai chaque mois à Bruxelles si nécessaire pour plaider notre cause sur ce point, et je le ferai avec d’autres. Je compte notamment m’appuyer sur le Rabbinat européen car ils ont une vision panoramique et que ces questions se jouent, comme vous le signalez, au niveau européen.

 

 

De même, l’abattage rituel est un sujet remis régulièrement sur la table. Comment comptez-vous convaincre les dirigeants européens et français de conserver cette possibilité aux Juifs de France ?

 

C’est une menace symbolique. Je compte m’appuyer là encore sur le Rabbinat européen car il a une vision très large et la capacité d’agir sur les structures européennes. La Shehita est parfaitement défendue en France par le gouvernement mais il n’empêche qu’il y a une menace symbolique qui jette l’opprobre sur chaque Juif qui mange sa viande cacher et a qui on dit brusquement qu’il est violent, barbare et sanguinaire. Ces menaces symboliques sont une forme d’exclusion de la communauté nationale contre lesquelles il faut lutter sans relâche.

 

 

Enfin, quels sont les vœux que vous formulez pour votre mission si vous êtes élus le 22 juin ?

 

Unis pour faire face : et maintenant au travail !

 

 

 

Et que souhaitez-vous à la communauté juive de France ?

 

Je rêve d'une communauté juive de France moins seule. Je la vois demeurer la plus grande communauté d’Europe. Je la vois plus unie. Le Grand Rabbin de France peut rompre notre solitude en retrouvant du lien et en jouant son rôle de relais, en bâtissant de nouvelles fraternités. Ce sera mon combat et mon engagement au service du judaïsme français.