Construire des ponts, mais ne pas oublier

La disparition d’un des derniers géants : Asher Ben-Natan, artisan de la réconciliation avec l’Allemagne et ancien ambassadeur en France

Asher  Ben Natan (photo credit: Wikimedia Commons)
Asher Ben Natan
(photo credit: Wikimedia Commons)

Asher Ben-Natan nous a quittés le 17 juin dernier. Il avait 93 ans. Le président Shimon Peres, à peine plus jeune, a tenu à modifier son emploi du temps pourtant chargé pour assister aux obsèques et rendre un hommage appuyé à celui qui aura été son collaborateur il y a bien des années, et a tant contribué au développement de l’Etat d’Israël.

Ce héros tranquille au physique de jeune premier – que n’a-t-on pas écrit sur sa ressemblance avec l’acteur Curd Jürgens – ne sortait plus beaucoup depuis la mort de sa femme Erika en 2011, au terme de 71 ans d’une vie commune faite d’aventures, d’honneurs et de tragédies.
En 1938, le jeune Arthur Piernikarz quitte Vienne, la ville où il est né en 1921, pour fuir l’Autriche qui vient d’être annexée par l’Allemagne. Il part avec sa famille s’installer en Palestine. Alors que la guerre se termine, il retourne en Europe en service commandé. Sa première mission : venir en aide aux rescapés des camps et aux milliers de Juifs qui ont tout perdu. Il est chargé de les conduire vers les bateaux qui les amèneront en Israël.
Mais là n’est pas sa seule fonction. Il commence à réunir un maximum d’informations sur les criminels de guerre nazis. On n’a pas encore tout dit sur l’étendue de ses activités clandestines et les risques insensés qu’il a pris, même si plusieurs ouvrages ont rendu hommage à certaines de ses actions. Notamment sa contribution à la capture d’Adolf Eichmann. Ben-Natan aurait aussi joué un rôle de premier plan dans les tractations avec la France dans les années cinquante qui, dit-on, auraient conduit à la création de la centrale atomique de Dimona.
Mission impossible ?
Nommé directeur général du ministère de la Défense en 1959, il quittera ce poste en 1965 pour se lancer dans une nouvelle aventure : devenir le premier ambassadeur d’Israël en Allemagne. Vingt ans à peine après la fin de la guerre, la tâche paraît impossible. Pourtant pendant les quatre années qui vont suivre, Asher Ben-Natan s’attelle à cette entreprise à laquelle il a donné un nom dans un court essai : « Brücken bauen, aber nicht vergessen » – construire des ponts, mais ne pas oublier.
Grâce à lui va s’amorcer la difficile réconciliation entre les deux pays. Son intégrité et ses qualités humaines seront la clé de sa réussite. Il continuera jusqu’à la fin de ses jours à œuvrer au renforcement des liens entre ces deux pays que tout séparait.
L’étape suivante de sa carrière sera le poste prestigieux d’ambassadeur en France auquel il accède en 1970. Asher Ben-Natan connaît alors bien Paris où il a séjourné à plusieurs reprises dans le cadre de ses activités officielles. Pourtant bien des choses ont changé. Les relations entre les deux pays ne sont plus au beau fixe.
Lorsqu’éclate la guerre de Kippour, la France officielle fait preuve d’une attitude qu’on ne peut qualifier autrement que d’hostile. « Est-ce que tenter de remettre les pieds chez soi constitue une agression imprévue ? », s’interroge Michel Jobert, ministre des Affaires étrangères, refusant de condamner l’attaque concertée des Egyptiens et des Syriens. L’ambassadeur Ben-Natan avait alors commenté avec amertume : « En France, nous avons des amis qui sont d’anciens ministres et des ministres qui sont d’anciens amis ».
Les jours suivants seront sombres. On parlait de l’armée syrienne qui progressait dans le Golan, d’avions abattus dans le Sinaï, d’amis et de proches dont le sort était incertain. Le propre fils de l’ambassadeur était porté disparu. Pendant les longues journées d’angoisse qui s’enchaînent, Asher Ben-Natan va pourtant continuer avec un courage héroïque à diriger l’ambassade et à plaider la cause israélienne sur tous les médias.
La communauté juive de France s’est tout entière mobilisée et l’ambassadeur donne de sa personne. Manifestations de soutien, collectes de fonds et par-dessus tout une présence de tous les instants. Il ne s’arrêtera pas, même après avoir été informé que son fils vient de mourir au champ d’honneur.
L’occasion de saluer ici un homme admirable et d’évoquer l’abnégation de sa femme, restée à ses côtés pour le soutenir.
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