Un rapport qui met le feu aux poudres

Le contrôleur d’Etat Micha Lindenstrauss se fait encore plus sévère qu’à l’ordinaire dans son accablant rapport sur les failles du système, lors de la catastrophe du Carmel, en 2010

carmel (photo credit: (© Nir Elias / Reuters))
carmel
(photo credit: (© Nir Elias / Reuters))

Décembre 2010.Pire incendie de l’histoire d’Israël. Le feu ravage le massif du Carmel, prèsde Haïfa, et détruit complètement la surface entre Isfiya, Beit Oren et TiratCarmel.

Bilan du drame : 44 victimes, gardiens de prison et policiers.

Mercredi 20 juin 2012, le contrôleur d’Etat Micha Lindenstrauss publie unrapport ravageur sur les failles de la gestion de la crise. Un an et demi aprèsle sinistre, ses conclusions pointent du doigt trois ministres : celui desFinances, Youval Steinitz, de l’Intérieur, Eli Yshaï, et de la Sécuritéintérieure, Itzhak Aharonovitch.
Sa volonté d’accabler le premier, Youval Steinitz, est controversée. Sicertains appellent à sa démission, beaucoup de politiciens, dont Zehava Gal-Onde Meretz - loin d’être une admiratrice du principal intéressé - défendentYouval Steinitz. Lindenstrauss recense un échec scandaleux des autorités dessapeurs-pompiers. Mais après tout, clament ses défenseurs, depuis quand unministre des Finances est-il tenu pour responsable des défaillances desservices d’incendie ? En substance, fait savoir le contrôleur d’Etat, la décisionde refuser systématiquement les besoins de financement supplémentaire despompiers s’est révélée cruciale lors du sinistre. “Je suis sûr que le ministredes Finances, un membre éminent du gouvernement et du Cabinet de sécurité,savait pertinemment que la lutte contre les incendies est l’un des élémentsdéterminants des mesures d’urgence”, note Lindenstrauss dans son rapport. “Leservice des sapeurs-pompiers est un élément central de la défense du pays et deses citoyens. Les échecs sur cette question mettent en danger, sans l’ombred’un doute, notre sécurité et notre défense”, poursuit le rapport. Ce quiexplique la responsabilité particulière attribuée au ministre des Finances.
Steinitz, quant à lui, rejette l’accusation en bloc, la qualifiant “d’hallucinante”.Un terme fort, choisi délibérément pour signifier son incompréhension. Selon leministre, jeter de l’argent automatiquement à un service d’urgence, sanschercher une amélioration de la structure et sans aborder la question del’inefficacité ou des irrégularités “équivaut à un suicide budgétaire”.
En privé, Steinitz s’est montré plus féroce encore. Si le contrôleur lecondamne, ironise-t-il, alors il serait également responsable de l’épisode dela flottille, des accidents de la route, et de la mort de tous ceux quiauraient pu être sauvés par un panier de santé différent. D’après lui, lecontrôleur l’a pris pour cible car les ministres des Finances sont des proiesfaciles : ils forcent les ministres à faire des compressions budgétaires, et ilest aisé de leur assigner le mauvais rôle en bout de course. Et de soulignerque lors de son rapport initial sur le feu, le principal “méchant “ deLindenstrauss prenait les traits du ministre de la Défense, Ehoud Barak.Depuis, toutefois, Barak a fait publiquement l’éloge de Lindenstrauss à denombreuses reprises. De sorte que le contrôleur d’Etat s’est choisi un nouveaucoupable.
Dans la section réservée aux compétences des pompiers, Lindenstrauss n’a pasnon plus économisé les répliques cinglantes. Il note les défaillancesrencontrées, à chaque étape de la première journée de la catastrophe du Carmel.
“Les soldats du feu ont constitué le maillon le plus faible des servicesd’urgence d’Israël.” Dans l’épais document publié cette semaine, Lindenstraussse penche sur les qualifications des responsables, aux commandes ce jourlà, lesmissions de sauvetage entreprises, et les réclamations des syndicats dans lessix mois qui ont suivi la catastrophe.
Aux grands maux, les grands remèdes

 Bonne nouvelle,toutefois : les services ont été nettement améliorés depuis la rédaction durapport assassin.

Les services des sapeurs-pompiers ont bénéficié de la compétence du ministèrede la Sécurité publique, et se sont vus allouer pour 350 millions de shekels desubventions.

Le but : une série de changements qui visent à la mise en place d’une autoritéde lutte compétente et réactive contre les incendies modernes, sous l’oeilvigilant d’un nouveau commissaire, Ayalon Shahar.
Depuis 2010, 300 nouveaux pompiers ont été recrutés, une flotte de huit avionsa été acquise, et 1 600 tonnes de produits ignifuges sont en stock. Huitnouvelles casernes de pompiers ont été construites et 89 nouveaux camions ontété achetés. Tout aussi important, les autorités de lutte contre les incendiestravaillent à améliorer leur commandement et capacités de contrôle, aux niveauxnational et local. Le ministère de la Sécurité publique et le commandement duFront intérieur de Tsahal souhaitent créer des canaux de communication afin quetous les services d’urgence puissent se joindre en cas de crise, et coordonnerleurs efforts. “Nous ne sommes pas du tout au point de 2010”, déclare leporte-parole des services d’urgence, Yoram Levi. “Le plus important : nousdisposons désormais d’une flotte aérienne et d’un centre national d’opérations.Et nous sommes étroitement liés aux services d’urgence et au commandement duFront intérieur de Tsahal.” D’après Levi, “si un incendie similaire venait àéclater dans le Carmel aujourd’hui, nous mettrions en place un centred’opérations conjoint avec les services du Maguen David Adom, la police etl’armée. Le nouveau modèle est déjà en marche. L’époque où le responsabledélégué aux incendies se présentait seul sur la scène d’un incendie, avec unsimple téléphone portable, est révolue. Aujourd’hui, nous appliquons denouveaux règlements. Un hélicoptère de police transmet des images en direct desincendies, afin que nous puissions voir où il se propage.”
Chef de l’opposition malgré lui

 Invité à répondresur la préparation du département contre les attaques de roquettes en zonesconstruites, Levi assure que des améliorations considérables ont étéconstatées.

“Des situations de sauvetage en milieu urbain sont simulées dans des bases etdes casernes de pompiers. Avant, personne n’était responsable de ce type deformations.
Aujourd’hui, un organisme national supervise ce domaine.
23 stations ont l’habitude de former des missions urbaines, impliquant desimmeubles de grande hauteur “, ajoute-t- il. Les sessions de formation comprennentl’utilisation de grues ; et permettent le sauvetage de personnes piégées dansdes bâtiments en feu. Et de reconnaître toutefois que “ce n’est jamaissuffisant. Il est toujours possible d’améliorer davantage.” Si beaucoup detravail reste à fournir, la cause a au moins pris du grade dans l’agendanational. Les fonds et la planification sont aujourd’hui investis dans lesservices d’urgence qui ont été, à juste titre, identifiés par Lindenstrauss,comme le point clé d’une riposte efficace à d’éventuels conflits futurs.
Le contrôleur d’Etat n’y va pas de main morte. Ses conclusions sont acérées etn’épargnent personne. L’accusation qui pointe au fil de ces 506 pages inquièteles spécialistes : Israël est-il prêt à faire face à un tremblement de terre, ouà une guerre avec l’Iran ? Depuis le début du mandat de Binyamin Netanyahou,trois personnalités ont occupé le siège de chef de l’opposition : Tzipi Livni,Shaoul Mofaz et Shelly Yacimovich.
Aucune d’entre elles n’a finalement causé de tort réel au Premier ministre. Lescritiques de Livni ont eu tendance à se retourner contre elle, Mofaz a eu dumal à attirer l’attention et Yacimovich se concentre exclusivement surl’économie du pays. Micha Lindenstrauss tient en fin de compte le rôletraditionnel du chef de l’opposition. Le contrôleur d’Etat a prouvé en outrequ’il savait manier les ficelles du jeu politique, mieux que certainspoliticiens. Il rédige des rapports qui focalisent l’attention des médias,utilise tous les superlatifs du dictionnaire, et fait même vérifier leshoraires des matchs de l’Euro 2012, avant de décider de la publication de sesrapports, afin de s’éviter toute concurrence. Et comme pour les meilleureséquipes du tournoi sportif, Yishaï et Steinitz ont consacré des mois à préparerleur défense. Netanyahou, de son côté, a réclamé “du temps pour étudier ledossier”. Sage précaution, car le mois prochain, Lindenstrauss publiera sonrapport final.
Le thème : les voyages de Netanyahou à l’étranger... Un document qui finira deprouver dans quelle mesure Lindenstrauss a endossé le costume de chef de filede l’opposition.