Intellectuels juifs après la Shoah

Il avait existé un Colloque des intellectuels juifs de langue française.En consultant ces archives, Sandrine Szwarc pointe du doigt le renouveau de la pensée juive.

24 521 (photo credit: Dr)
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Chef derubrique des pages culturelles de l’hebdo Actualité Juive et docteur enhistoire moderne et contemporaine, Sandrine Szwarc, propose, dans ce livrepassionnant, un chapitre méconnu de l’histoire des intellectuels juifs après laShoah. Et répond ainsi par l’affirmatif à la question du philosophe Adorno,peut-on écrire après la Shoah ? 
Votre ouvrage intitulé Les intellectuels juifsde 1945 à nos jours (éditions Le Bord de l’eau, collection Clair et Net) vientde paraître. Pourquoi avoir écrit sur ce thème ? 
Sandrine Szwarc : Après avoirtravaillé dans le cadre de mes études d’histoire sur des thématiques liées à lapériode de la Shoah, il m’a semblé intéressant de me pencher sur la période quisuivait. Rien n’avait été écrit sur la place de la culture juive en Franceaprès la Catastrophe.
En consultant les documents concernant l’après-guerre regroupés aux Archivessionistes centrales à Jérusalem, je suis tombée sur des cartons contenant lesarchives du Colloque des intellectuels juifs de langue française. Pour laplupart, ils n’avaient jamais été ouverts depuis leur transfert. Alors que jecherchais un sujet pour mon doctorat d’histoire contemporaine à l’EPHE, je mesuis dit que j’avais trouvé un thème exceptionnel qui témoignait d’unevéritable renaissance de la pensée juive en France loin des présupposéshabituels.
Qu’est-ce que ce Colloque et quels en ont été les temps forts ?
Le Colloque desintellectuels juifs de langue française a vu le jour en mai 1957 à l’initiativede personnalités juives proches du Congrès juif mondial, parmi lesquellesEdmond Fleg, André Neher, Léon Algazi, Aaron Steinberg, Eliane AmadoLévy-Valensi, Emmanuel Levinas, Léon Ashkénazi, Vladimir Jankélévitch etquelques autres dont les noms invitent toujours au respect. L’idée initialeétait de proposer des rencontres de haut niveau sur des thèmes d’actualitéintéressant les consciences juives et qui pourraient ouvrir des prolongementsdans la culture universelle.
Par cela, le Colloque visait à ramener dans le giron du judaïsme – une religionet une pensée que l’on avait tenté de faire disparaître à Auschwitz – desintellectuels de confession juive « perplexes » afin de leur démontrer qu’ilétait une intelligence digne de l’Occident. En créant des ponts entre uneréflexion particulariste, la pensée juive, et un humanisme dit universel, cesintellectuels ont également intéressé des penseurs chrétiens.
Le succès du premier Colloque a permis d’en organiser d’autres et c’est ainsique quarante rencontres ont été agencées jusqu’en 2004. Les dix premières,notamment, organisées avant la guerre des Six Jours et la montée en Israël deses principaux animateurs, sont une source intarissable de clefs de réflexionsur le renouveau de la pensée juive après la Shoah.
Qu’est-ce qu’un intellectuel juif finalement et ce modèle existe-t-il encore denos jours ?
S’intéresser au Colloque des intellectuels juifs de languefrançaise m’a permis d’en esquisser une définition.
Un intellectuel juif est déjà un intellectuel tel qu’il a été inventé au momentde l’Affaire Dreyfus sous la plume de Clemenceau dans un article de « L’Aurore», en 1898. Il s’agit donc d’érudits qui, par leurs écrits ou toute autreproduction, s’insèrent dans le débat public pour faire passer un messagesociétal. Par ailleurs, il est juif et donc, quel que soit son degré depratique religieuse, ce penseur a une conscience juive, c’est-à-dire un intérêtpour la chose juive.
Enfin, l’intellectuel juif se doit de dépasser le simple cadre de sa paroissepour, grâce à sa renommée, influer sur les grands débats du moment.Aujourd’hui, il est vrai que ce modèle de passeurs, ayant une excellenteconnaissance des textes juifs et aussi des philosophies grecques et allemandes,a quasiment disparu au profit d’hommes de lettres versés soit dans unparticularisme juif, soit dans une réflexion universelle.
J’espère que mon ouvrage permettra d’ouvrir le débat sur ce que devrait être unintellectuel juif de nos jours ainsi que son influence sur les questionnementsqui interpellent les consciences contemporaines.