Emmanuel Ruben : un résident temporaire

C’est Jérusalem que le jeune auteur a choisie pour poser les bases de son prochain livre sur fond de conflit israélo-palestinien.

Emmanuel Ruben : un résident temporaire (photo credit: FACEBOOK)
Emmanuel Ruben : un résident temporaire
(photo credit: FACEBOOK)
Emmanuel Ruben, la petite trentaine (né en 1980) est géographe de formation. Il explique de suite « ne pas être là par hasard ». Etre à Jérusalem est une véritable démarche : « J’ai répondu à un appel d’offres de résidence de l’Institut français il y a presque six mois maintenant. Je voulais m’imprégner des lieux, des personnes et rien de mieux que d’être sur place pour le vivre par soi-même. »
Les décors, les ambiances et les cultures nourrissent son séjour commencé il y a un mois. « Je vis à l’Est, mais je passe ma journée à l’Ouest : le contraste est saisissant. », explique celui qui s’est senti tout de suite « partagé » entre les communautés israéliennes et palestiniennes. Le partage, les frontières, autant de thèmes de prédilection pour le jeune écrivain. Redéfinir fictivement les frontières maritimes entre les pays baltes et la Russie était d’ailleurs un des thèmes de son dernier roman, La Ligne des glaces (2014), sélectionné pour le prochain prix Goncourt. Abordant cette nomination à la dérobée, l’auteur se déclare content de cette distinction « non attendue mais espérée ».
A Jérusalem, Emmanuel Ruben vient combler un sentiment d’insatisfaction né en 2010, lorsqu’il était venu pour la première fois en Israël. Ce séjour d’une semaine n’avait pas réussi à satisfaire son envie de voir et de comprendre. Il espère combler ce manque lors de ses deux mois de résidence à l’Institut français Romain Gary.
Il entend parler de ce pays et de ses habitants – « les Israéliens imaginaires qui composaient ma famille » – depuis son enfance : « Issu – par la branche maternelle – d’une lignée juive séfarade, ayant grandi dans l’admiration béate pour Israël, mais étant devenu – formation oblige – très critique à l’égard de la politique israélienne, j’attendais beaucoup d’un voyage dont je rêvais depuis longtemps ». Pour se faire sa propre idée, même s’il a conscience de ne pas « vivre ni partager la vie des gens ici », l’auteur observe et parle aux différentes communautés – il est d’ailleurs étonné par le nombre de francophones vivant à Jérusalem – tout en essayant de ne pas trop regarder « les choses de haut ».
De chaque côté du mur
La dernière opération militaire n’a, à aucun moment, altéré sa décision d’être résident dans la Ville Sainte, il y est tranquille, même s’il admet sentir la « tension » ambiante. Il apprécie surtout de pouvoir tout faire à pied, passant d’un « pays » à un autre. « C’était la situation idéale pour le livre ! », dira-t-il.
Il parle de son impression d’être partagé entre deux univers, deux mondes, deux peuples qui ont chacun leurs tabous, leurs œillères. « Il y a des choses dont on ne peut pas parler – comme le Mur », note l’auteur. Ce « Mur », il va en faire le tour, guidé par son besoin d’observer les différences, les ressemblances et les séparations. Il s’est ainsi rendu « de l’autre côté », à Bethléem, à Jéricho, où son inspiration le mènera. Au final, « on y parle des mêmes choses : la politique, Gaza », réalise-t-il au cours de ses rencontres. « J’ai même découvert qu’il y avait des personnes qui pensaient, rêvaient d’un Etat binational », pointe-t-il avant de conclure que le destin des Israéliens et Palestiniens « est inextricablement lié pour le meilleur et pour le pire. »
La séparation, tant voulue que subie, dépendant de quel côté communautaire, social, imaginaire ou psychologique où l’on se trouve, est une thématique qui revient souvent dans les propos d’Emmanuel Ruben. On la retrouve également dans l’écriture de son deuxième ouvrage, Kaddish pour un orphelin célèbre et un matelot inconnu (2013), dans la séparation des narrations : la première entre Albert Camus et la seconde avec son grand-père jamais connu, suicidé pendant la guerre d’Algérie.
Dans ce roman, il parle à ce patriarche à la deuxième personne du singulier. Ce « tu » si proche et distant à la fois, devient le thème de son atelier d’écriture au centre culturel Romain Gary. Avec ce style, permettant une écriture libre et sans attache, les participants doivent s’adresser à un proche qu’ils n’ont pas véritablement connu. Ne pouvant pas demander d’informations autour d’eux, ils doivent se servir d’objets matériels ou de citations d’écrivains pour combler l’absence. Un projet original pour un talentueux auteur en devenir.
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