Coup de théâtre de fin d’année

Avec l’annonce de son « retrait », le ministre de l’Intérieur Gidon Saar a secoué le paysage politique israélien

Coup de théâtre de fin d’année (photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
Coup de théâtre de fin d’année
(photo credit: MARC ISRAEL SELLEM)
A Rosh Hashana, Dieu est présenté par la tradition juive comme un juge omniprésent censé déterminer qui de ses créatures va hériter d’une année de tranquillité ou de souffrance. Lui seul connaît les véritables inclinations de l’Homme, fait de chair et de sang. Car bien malin celui qui aurait pu prédire le coup de théâtre politique provoqué par Gidon Saar, mercredi 17 septembre dernier.
Aucun analyste n’avait prévu que le numéro 2 du Likoud, ministre de l’Intérieur, annoncerait sa sortie du gouvernement et de l’arène parlementaire. Les experts et autres conseillers ne savent pas toujours pressentir les tempêtes, comme celle provoquée par Saar – dont le nom de famille signifie tempête en hébreu et dont le prénom est celui d’un juge biblique qui avait distribué un shofar à ses guerriers avant la bataille.
Saar, connu pour sa proximité avec les médias, avait gardé bien au chaud sa décision de se retirer de la coalition et de la Knesset, ne mettant aucun journaliste dans le secret. Hormis sa femme Gueoula Even, présentatrice sur la première chaîne de télévision, et bien sûr impliquée dans le choix de son époux de ministre. Le week-end précédant l’annonce, la famille Saar avait passé le shabbat à Eilat, pour un événement politique organisé par le groupe Likoud de la Histadrout, confédération syndicale du travail. Aucun activiste du parti de droite n’avait alors décelé le moindre signe du bouleversement politique à venir.
Peaufiner son effet
Selon ses proches, Saar aurait en fait pris sa décision le lendemain, dimanche, et opté pour une annonce le mercredi soir suivant, à l’occasion du pot de Rosh Hashana à l’hôtel Kfar Maccabiah de Ramat Gan, où des centaines de ses sympathisants étaient attendus.
Il a ensuite planifié l’événement méticuleusement pour optimiser l’effet de surprise. Tous les maires ont été invités, même ceux de l’opposition. Les édiles arabes ont également fait l’effort de venir, en l’honneur du ministre de l’Intérieur. La même semaine où Netanyahou en personne et son Némésis, le député Danny Danon, tenaient des meetings politiques rivaux, Saar aura réussi le tour de force d’attirer à lui seul plus de monde que les deux autres Likoudnikim réunis. Et quand il en est arrivé à faire son annonce, la vaste salle de conférences de l’hôtel était bondée.
Avec un tel auditoire, Saar aurait annoncé son intention de devenir Premier ministre, qu’il aurait suscité une salve d’applaudissements. Mais au lieu de cela, il a fait savoir à ses supporters massés qu’il quittait la vie politique, provoquant un coup de tonnerre, suivi d’un silence assourdissant. Jusqu’à ce que les militants du Likoud ne s’emportent. Ceux qui criaient quelques minutes plus tôt que Gidon Saar serait le prochain Premier ministre, se sont mis à déclamer « nous ne te laisserons pas partir ». Puis quand ils ont commencé à réaliser ce qui venait de leur tomber sur la tête, ils se sont empressés de demander pourquoi. Des « Lama ? » ont ainsi fusé de toutes parts de l’assemblée. Saar a fait de son mieux pour leur expliquer.
Il a parlé de vie privée. Dit qu’il était un jeune marié et père d’un nourrisson. Cela fait des années qu’il envisageait de partir, a-t-il précisé, et plus encore depuis la naissance de son fils David, voilà 9 mois et demi. « Parfois, vous devez prendre votre vie privée en ligne de compte. Je recherche une certaine intimité, du calme, une forme de liberté. Je veux passer plus de temps chez moi. Je pense que c’est la meilleure chose à faire pour ceux que j’aime. »
L’entourage de Saar affirme que son désir de rester auprès de sa famille est sincère. Retrouver l’amour après un divorce difficile constitue une sorte de cataclysme émotionnel qui peut facilement contraindre le plus prometteur des hommes politiques à faire l’improbable et à tourner le dos au service public.
Piques et sous-entendus
Mais aussi compréhensibles que soient les motivations personnelles du ministre de l’Intérieur, les experts politiques cherchent d’ores et déjà des raisons plus politiques. Le principal intéressé n’en a ouvertement mentionné aucune, mais il a tout de même fait quelques sous-entendus. S’il n’a jamais nommé Netanyahou par son nom, Saar n’a eu de cesse que de faire référence au Premier ministre indirectement.
Il a par exemple rappelé son rôle clé dans l’élection présidentielle du 10 juin dernier, et la victoire de Reouven Rivlin. Netanyahou avait pourtant fait tout son possible pour empêcher son acolyte du Likoud d’accéder à la fonction présidentielle, encourageant d’autres candidats à se présenter, essayant de reporter le scrutin, et même tentant d’annuler tout bonnement le mandat de président en Israël. « Mais en dépit des obstacles – y compris personnels – j’ai tout fait pour que nous ayons un président issu des rangs du Likoud jusqu’en 2021 », a noté Saar, en déroulant la liste de ses réalisations.
Le ministre de l’Intérieur a également plaidé pour que davantage d’attention soit portée aux défis socio-économiques du pays, alors que la même semaine, Netanyahou laissait ces questions de côté pour réclamer « plusieurs milliards » de shekels au profit de la Défense. Autre référence évidente au Premier ministre : Saar a fait savoir que, contrairement à d’autres, il était resté fidèle à ses valeurs politiques, se refusant d’agir comme une girouette cherchant à savoir de quel côté le vent allait souffler. « Je suis resté sur la voie du Likoud, sans penser à ce que les gens allaient dire », a-t-il précisé.
Mais une allusion résume parfaitement l’intensité de la frustration ressentie de toute évidence envers le chef du gouvernement : « Nous ne sommes pas destinés à régner ou à maintenir le contrôle sur le pays toute notre vie. »
Un roi par trop dominateur ?
Car Saar avait des ambitions politiques. Mais le Premier ministre lui a mis des bâtons dans les roues. Alors qu’il venait de remporter la deuxième place sur la liste du Likoud pour la seconde fois consécutive, Netanyahou lui a retiré le portefeuille de l’Education qu’il souhaitait pourtant conserver, a refusé de le promouvoir au ministère des Finances et l’a exclu du cabinet de sécurité où sont prises toutes les décisions importantes en temps de guerre et de paix.
Au cours de la récente opération Bordure protectrice, Saar n’a pas caché son amertume d’être laissé sur la touche. Il a tenté de persuader Bibi d’élargir le cabinet. Peine perdue.
Quand l’ancien député Avraham Burg occupait la place de numéro 2 du parti travailliste, il avait comparé la tête de liste d’alors, Shimon Peres, à un arbre à feuilles persistantes sous lequel rien ne pouvait pousser. On pourrait en dire autant de Netanyahou. Sous la houlette de ce dernier, nombre de potentiels premiers-ministrables ont fait un tour de piste avant de repartir. Certains vers d’autres formations politiques. D’autres dans les méandres de l’oubli.
Mais rien de nouveau sous le soleil. Les politiciens du Likoud se sont déjà plaints de la mainmise de Netanyahou sur le parti et de son refus de paver la voie à la prochaine génération. L’homme intronisé roi par le magazine Time a été accusé de prendre sa prétendue monarchie au pied de la lettre. Et il semblerait bien qu’il n’ait eu cure de la frustration de Saar et des autres en annonçant, le 30 août dernier au présentateur de la première chaîne, Yaakov Ahimeir, envisager un quatrième mandat à la tête du gouvernement. « Je ne pense pas qu’il faille procéder à des élections anticipées, mais quand le moment sera venu, je serai présent », a-t-il déclaré. « Les membres du Likoud et l’électorat en général apprécient les dirigeants qui ne font pas cas des bruits de couloirs et restent concentrés sur leurs objectifs. J’espère que ma candidature ne rendra personne amer. »
Bonne année, Monsieur le Premier ministre
En principe, les Likoudnikim font corps avec leurs leaders. Saar sait très bien que s’il avait dû concourir contre Bibi lors des prochaines primaires du parti, il aurait perdu la bataille et une partie de ses plumes politiques. Mais rester sur le banc de touche n’aurait fait que décevoir ses supporters et le faire passer pour un lâche. Quitter la vie politique va ainsi lui épargner nombre de maux de tête.
En fait, les raisons personnelles et les motivations politiques de Saar vont de pair. Et peut-être qu’au moment des prochaines législatives – ou plus vraisemblablement des suivantes – les circonstances privées et publiques lui permettront de faire son grand retour politique.
En attendant, Netanyahou a d’importantes décisions à prendre quant à l’avenir du Likoud : qui promouvoir à quel poste, comment faire pour satisfaire le plus de monde possible et quand tenir les prochaines primaires du Likoud.
A l’occasion de Rosh Hashana, le Premier ministre aura tout le temps de faire son introspection. Chaque nouvelle année juive est l’occasion de prendre de bonnes résolutions. Pour tous les hommes faits de chair et de sang. Même pour les Premiers ministres.
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