Esther Orner est née à Magdebourg (Allemagne) en 1937, de parents juifs Polonais. En 1939, ses parents fuient l’Allemagne pour la Belgique. Esther Orner est une enfant cachée. Lorsque ses parents ont été déportés à Auschwitz, elle a été recueillie par un couple qui l’a élevée comme sa fille et qu’elle a appelée oncle et tante.Sa mère est rentrée mais pas son père. A l’âge de 13 ans, elle décide d’émigrer en Israël. En 1963, elle reçoit du gouvernement français une bourse pour étudier en France pendant un an. Finalement elle y restera vingt ans. Depuis juin 1983, elle habite à Tel-Aviv, elle enseigne à l’université Bar Ilan. Autopsie de personne est son premier livre, mais auparavant elle a publié beaucoup de « mini-romans », et fait énormément de traductions. Apres 6 romans écrits en français, Autopsie de personne sera enfin publié en hébreu. Ce livre a été écrit en Israël en 1990 et publié en 1999, un an après le décès de la mère d’Esther Orner.Ecrit à la première personne, ce texte est rempli de symbole, de silence et surtout de non-dits. Comme le dit Esther, « la narratrice, c’est la mère de l’écrivaine qui lui a refilé son stylo pour qu’elle se raconte enfin, elle qui n’a pratiquement rien raconté, comme beaucoup de déportés, car on ne voulait pas ou on ne pouvait pas écouter ». Il ne faut pas chercher une date, un nom ou encore un lieu. L’Allemagne est le « pays mort », Auschwitz est « là-bas », Israël « le pays des rêves » et Paris « la ville du fleuve ». Pas de noms, de lieux, peut-être pour que chacun d’entre nous puissent reconstituer sa propre histoire. Si on veut faire court pour parler de ce livre, c’est la relation impossible entre une mère rescapée d’un camp de concentration et sa fille, qu’elle rejoint en Israël après des années d’absence. Mais c’est tellement plus profond. La narratrice possède et traîne derrière elle un lourd passé qui fait peur à sa fille, qui veut en même temps qu’elle refuse d’écouter. Elle veut vivre en regardant devant elle et tout oublier. Mais impossible. La souffrance ne peut disparaitre sans être racontée.Le style est vivant et animé, passant sans cesse du passé au présent avec le côté brouillon des souvenirs de la narratrice, qui se perd dans ses pensées ou se laisse submerger par ses émotions. Pas une fois le mot Shoah est n'employé, et pourtant tout au long du récit, il ne nous quitte pas. Ce n’est pas un livre sur les atrocités de la Shoah, mais sur la souffrance qu’elle a engendrée sur les générations suivantes. « Le livre devient le lieu de dire, on n’apprend pas grand chose sur la Shoah dans mon roman. Mais, par l’écriture les choses sont dites. Ou pas dites. Pour moitié, c’est du non-dit. Pour l’autre moitié, c’est un essai de dire », confie Esther Orner. La fin qui se devait triste m’a fait sourire. La narratrice finit sa vie dans une « maison parentale », mais elle préfère le terme de maison de retraite, même si on y va bien après sa retraite. Son regard sur les autres pensionnaires est extraordinaire. Tous des rescapés de « là-bas ».Pour moi, ce roman puissant, plein de silences, de ruptures entre les idées, entre les phrases, est un livre dans lequel Esther Orner fait de la poésie avec les non-dits, avec la Shoah.Un livre amené sur scène Le monde du théâtre francophone en Israël est petit. Tout commence lors d’une rencontre entre Marc Chaouat, metteur en scène, ancien directeur de théâtre à Montpellier, qui nous a déjà donné le bonheur de nous ramener des pièces en Israël, comme L’Affaire Dreyfus ou dernièrement Et v’lan la musique, et une ancienne grande comédienne Nadia Ruck. Une comédienne extraordinaire qui a arrêté sa carrière pour s’occuper de ses enfants. Marc, lui, parle d’un livre incroyable qu’il vient de lire et en faire une pièce s’imposait. Nadia, qui, comme Esther Orner, fait partie de cette génération d’enfants cachés, d’enfants ayant survécu à la Shoah, lit le livre qui la touche, lui parle.Et voilà, elle est d’accord pour remonter sur les planches. Yehuda Moraly et Esther Orner se connaissent bien, ils écrivent tous les deux pour la revue Continuum (qui vient de fêter ses 10 ans). Revue dont Esther est membre fondateur ainsi que de l’association des écrivains israéliens d’expression française. Et donc c’est tout naturellement qu’elles se tournent vers lui pour mettre en scène cette pièce. Yehuda Moraly, professeur de théâtre à l’Université hébraïque de Jérusalem accepte avec plaisir. Nadia Ruck voulait jouer une partie du livre, mais Yehuda Moraly décide de présenter tout le texte, en réduisant et prenant un bout ici et là. Comme il le dit si bien, « du même texte, on peut faire dix autres adaptations ». Et voilà, c’est parti.Il y a quelques jours, j’ai eu l’honneur d’assister à la représentation de cette pièce dans un cadre intime avec tous ces protagonistes. J’ai tout de suite compris l’intérêt de voir cette pièce. Yehuda Moraly a choisi de respecter le parcours de cette femme qui vient en Israël rejoindre son enfant, repart en Europe et finalement gagne une maison de retraite juive. Nadia Ruck est extraordinaire. Une comédienne de talent, qui, pour notre plus grand plaisir, remonte sur les planches. Esther Orner a laissé carte blanche à Yehuda Moraly et elle en est heureuse. « Toutes les paroles se trouvent dans le roman, il n’a pas rajouté un seul mot ». Nadia Ruck nous émeut dans ses silences, nous fait rire en se moquant des pensionnaires de la maison de retraites…Elle est la narratrice, l’écrivain. Son texte, elle ne le joue pas, elle le vit. A ne pas rater, car pour l’instant, il ne passe qu’un soir.