Vendredi 30 novembre, 15h28, 31 minutes avant le début de Shabbat à Jérusalem. Moins de 24 heures après l’adhésion des Palestiniens à l’ONU, en tant qu’Etat observateur, une source diplomatique israélienne envoie un message aux correspondants pour dire que l’Etat hébreu « a décidé d’approuver la construction de 3 000 unités de logement à Jérusalem et en Judée-Samarie ».
« De plus », disait le communiqué, « les travaux reprendront dans plusieurs milliers d’habitations à Jérusalem et dans les implantations, y compris dans la section E1 qui relie Jérusalem à Maalé Adoumim. Israël envisage d’autres mesures. La poursuite des construction se fera en accord avec les intérêts stratégiques du pays ».
Immédiatement, le monde diplomatique entre en ébullition.
Les ministres des Affaires étrangères européennes tiennent de frénétiques consultations téléphoniques, les dirigeants américains se réunissent et les condamnations pleuvent toute la journée de samedi et de dimanche.
Et ce n’est pas tout. Lorsque la communauté internationale reprend le travail, lundi matin, les ambassadeurs israéliens sont convoqués auprès des diplomaties de leurs pays respectifs pour entendre les protestations des plus hauts fonctionnaires – une pratique courante pour signifier un grand mécontentement. Les médias relaieront même la rumeur, rapidement démentie, que la France et la Grande- Bretagne envisagent de rappeler leurs ambassadeurs pour consultations, une démarche des plus dramatiques réservées aux évènements tels que la mise à sac de l’ambassade britannique en Iran, où l’Allemagne avait brièvement rapatrié son envoyé à Téhéran.
« C’est la pire crise diplomatique que nous ayons affrontée depuis 20 ans », admet une source officielle du ministère des Affaires étrangères. Un sentiment communiqué à l’opinion via la presse, qui relaie chaque condamnation, et se fait l’écho de l’isolement toujours croissant d’Israël. Puis parmi les pays qui menacent de rappeler leurs ambassadeurs, c’est au tour de l’Espagne et de l’Irlande, sans surprise, mais aussi de l’Australie, beaucoup plus étonnant.
Enfin, l’ancien Premier ministre Ehoud Olmert et Rahm Emanuel, maire de Chicago et directeur de cabinet du président américain Barack Obama, se lancent dans la mêlée lors du Forum Saban à Washington. Emanuel condamne fermement l’initiative israélienne et Olmert affirme qu’il s’agit d’une claque au visage d’Obama, alors que les Etats- Unis ont soutenu Israël lors de la bataille diplomatique à l’ONU.
En résumé : si l’Israélien moyen – cet homme de la rue dont on parle tant - voulait savoir exactement ce qu’est un « tsunami diplomatique », il n’avait qu’à tourner le regard vers ce communiqué officiel du vendredi 30.
Flou diplomatique
Or cette décision, qui a déchaîné tant de passions, n’a toujours pas été couchée par écrit. On chercherait en vain un document officiel, signé par un membre du gouvernement ou un haut-fonctionnaire, entérinant l’initiative. De même qu’on ne sait toujours pas exactement où ces fameuses unités devraient être bâties : d’aucuns parlent de Pisgat Zeev et Guilo dans la capitale, et d’Efrat, Guinot Shomron et Elkana en Judée et Samarie. D’autres remplacent Elkana par Ariel.
Et de fait : la décision n’a pas été prise suite à une nuit de consultations ou une réunion exceptionnelle du Premier ministre Binyamin Netanyahou avec son cabinet de sécurité.
Mais plutôt au terme de plusieurs concertations avec certains ministres et hauts gradés depuis plusieurs semaines sur la réponse appropriée à la démarche palestinienne.
Mais ce qui surprend vraiment, c’est le contraste entre cette annonce et les communiqués envoyés juste avant le vote de l’ONU.
Le 28 novembre, la veille du vote, la presse israélienne titrait sur « la réponse mesurée à la démarche de l’Autorité palestinienne ». Des articles qui n’étaient pas faux et se basaient sur les commentaires d’une des plus hautes sources gouvernementales à un groupe de journalistes : l’Etat hébreu n’allait prendre aucune mesure dramatique dans l’immédiat, aurait une réponse mesurée et attendrait de voir ce que les Palestiniens feraient de leur nouveau statut avant d’agir.
Car, toujours selon le diplomate, si Jérusalem devait réagir à l’initiative palestinienne par l’approbation de nouvelles constructions, l’attention internationale serait détournée de la violation flagrante par les Palestiniens des accords d’Oslo et les implantations, plutôt que l’actualité onusienne, seraient, une fois encore, au centre du débat. En résumé : aucune chance que cela arrive. Et pourtant, c’est arrivé.
Ce qui ne signifie par pour autant que la communauté internationale ne l’ait pas vu venir. En dépit des déclarations israéliennes de tempérance, les Etats-Unis et l’Europe ont pressé l’Etat hébreu de ne rien faire qui puisse irrémédiablement torpiller le processus de paix et la solution à deux Etats. Même les représailles particulières concernant E1 avaient été prédites par certains commentateurs.
Qu’est-ce qui a donc changé entre temps ? Pourquoi la politique du gouvernement est-elle passée, en l’espace de trois jours, d’une volonté de dédramatisation à une décision qui, selon les bonnes habitudes, a précipité les condamnations internationales.
Au cabinet du Premier ministre, on feint de s’étonner : il était évident qu’Israël n’allait pas rester sans rien faire alors que les Palestiniens enfreignaient si directement l’un des principes fondateurs des accords d’Oslo, et encore, sous les applaudissements occidentaux. Accords qui prévoient, pour rappel, que les désaccords et les questions particulières (telles que les frontières) soient résolus via les pourparlers.
Message clair
De source gouvernementale, deux autres éléments ont poussé Netanyahou à réagir de cette façon. D’une part, le discours haineux de Mahmoud Abbas devant l’Assemblée nationale jeudi 29 novembre, où il a notamment accusé Israël d’un des pires nettoyages ethniques du 20e siècle, qui ne manque pourtant pas d’exemples atroces. De l’autre, l’absence de tout signal de la part du dirigeant palestinien, signifiant qu’il serait prêt à relancer les négociations.
Côté diplomates européens, on assure qu’Abbas a déclaré avant le vote à l’ONU qu’il serait prêt à reprendre les négociations avec Israël sans conditions préalables. Mais dans l’entourage de Netanyahou, on réplique que les seuls signes de conciliation envoyés par Abbas suite au vote étaient adressés au Hamas. Bibi aurait donc voulu envoyer un message clair aux Palestiniens : la décision onusienne a beau avoir été approuvée à la majorité, sur le terrain rien ne change pour l’instant. Ou, en d’autres termes : « Que vous le vouliez ou non, Israël a toujours son mot à dire. Ne vous laissez pas enivrer par le succès et si vous ne voulez vraiment pas qu’Israël construise dans la zone E1, alors reculez ».
Dans une interview au quotidien allemand Die Welt, début décembre, le Premier ministre renchérit : « Nous n’avons fait que progresser dans la planification d’E1. Nous verrons. Nous agirons en conséquence de ce que feront les Palestiniens. Ils n’agissent pas unilatéralement, nous n’aurons pas besoin de le faire non plus ».
Les Européens, pas plus que les Américains, ne sont parvenus à empêcher l’AP de se présenter devant l’ONU. La stratégie de Netanyahou est donc de tracer une ligne concernant E1 : poussé à bout, il y construira. A charge désormais de Bruxelles et Washington de convaincre Ramallah de ne pas continuer sur sa lancée, ne pas demander l’adhésion à d’autres agences onusiennes, ne pas traîner d’Israéliens devant le Tribunal pénal international et enfin, ne pas vider les accords d’Oslo de leur sens. Sinon, Israël construira.
Encore les élections
Mais les motifs du gouvernement ne sont pas uniquement diplomatiques. A moins de deux mois des élections, les gains politiques de Bibi sont évidents.
Il a tout intérêt à être perçu comme dur par les Palestiniens, tout comme la communauté internationale, sur un sujet largement consensuel dans l’opinion israélienne. Le Premier ministre a soigneusement choisi les localités où ces mystérieuses unités de logement devraient être construites et nulle mention n’a été faite d’Itamar, Yitzhar ou Beit Haguaï, qui pourraient ne pas faire l’unanimité.
Quant à Jérusalem-Est où les blocs d’implantations, beaucoup d’Israéliens ne considèrent pas cela comme une provocation notoire, à la différence des gouvernements européens qui ont bruyamment manifesté leur mécontentement, mais plutôt comme une prérogative israélienne. Bibi pouvait donc tranquillement faire cette annonce, et même en bénéficier politiquement : l’opinion, dans sa grande majorité, considère que les quartiers juifs à l’Est de Jérusalem, tout comme le corridor qui relie la capitale à Maalé Adoumim et à la mer Morte, resteront israéliens dans tout futur accord.
Cette partie non négligeable de l’électorat tient les exigences et condamnations internationales pour déraisonnables et voit d’un oeil favorable la ligne dure adoptée par le Premier ministre. C’est la politique des tranchées et Netanyahou la maîtrise parfaitement.