Pierre Savary est un habitué des voyages organisés. Journaliste radio et ancien élève de l’école, il est directeur des études à l’ESJ depuis 2008. "Ce n’est pas mon premier voyage scolaire mais c’est ma première expérience dans la région", précise-t-il. Pour encadrer les étudiants de seconde année, 87epromotion de l’école, Pierre Savary s’est entouré d’une solide équipe de collaborateurs. Parmi eux : Benoit Califano, directeur de l’ESJ Montpellier et connaisseur de cette partie du monde. Leurs élèves sont, pour la plupart, âgés de 22 à 24 ans. Le groupe est arrivé à Tel-Aviv dimanche 11 novembre et a regagné le sol français mardi 20. Une petite dizaine de jours pour se faire une idée objective du conflit.
Comme le confirme Pierre Savary, "Le but du voyage était triple. D’abord, permettre aux élèves d’avoir une meilleure compréhension et connaissance du conflit israélo-palestinien et, plus largement, du conflit israélo-arabe. Deuxième point : avoir une meilleure capacité à percevoir et écrire sur ce conflit. C’est-à-dire donner les moyens aux élèves de décrypter ce qu’ils en lient, ce qu’ils en regardent et, par la suite, avoir une meilleure capacité à produire sur ce thème. Enfin, dernier point : être en questionnement face aux à prioris et schémas préconçus, que l’on peut avoir lorsque l’on vient de France et qu’on n’a jamais mis les pieds dans la région. Ce point-là m’importait : que tous les étudiants, individuellement, puissent se re-questionner, grâce aux informations collectées sur le terrain."
Décrypter, c’est-à-dire ?
Pierre Savary s’explique : "Avoir une meilleure capacité à recevoir, pour ensuite pouvoir écrire. Je décrypte ce qui vient, je comprends d’où l’information vient, qui a ce positionnement-là et je suis capable de l’intégrer, de le décrypter. Il faut être capable de digérer une information, au point de se remettre soi-même en questionnement." Exemple révélateur : le mur entre les deux peuples. La politique pédagogique de Pierre Savary a été celle-ci : "Certains élèves sont venus avec des idées préconçues, du genre ‘le mur n’est qu’une saloperie israélienne, une ligne de fracture horrible etc.’. D’accord. Une fois qu’on a dit ça, est-ce qu’on peut aller plus loin et comprendre quand il a été érigé, pourquoi il a ce tracé, ce que ça représente pour les Israéliens… Aussi ! Je ne suis pas en train de dire ‘je souhaite enlever de la tête des étudiants le fait que ce soit une grosse cicatrice qui a coupé certains villages en deux’. Ça, ce sont des réalités. Mais pour pousser le débat au-delà des clichés, pour avoir une bonne compréhension, il faut avoir connaissance de l’ensemble des points de vue. Pour moi, ce qui compte, c’est que les étudiants aient eu accès à l’éventail des opinions, des réflexions, des ressentis." Benoit Califano renchérit : "La question du mur est pertinente. Certains intervenants nous ont expliqué pourquoi le mur suit ce parcours-là et pas les frontières de 67. Nous avons entendu dire ‘ce mur, c’est pour notre sécurité et depuis qu’il est là, je dors mieux’. Il n’y a pas une vérité absolue. Et c’est ce que nous n’avons cessé de répéter aux étudiants pendant le séjour : apprenez à penser contre vous-mêmes."
Après dix jours de découvertes, quels retours ? Benoit Califano vient d’échanger avec la classe : "Ce qui est positif, c’est de voir tout ce qu’ils ont pris dans ce qu’on leur avait proposé et tout ce qu’ils ont pris dans ce que, nous, nous ne leur avions pas proposé. Un étudiant a raconté qu’il avait appris autant des rencontres organisées par l’école que des soirées passées à Tel-Aviv ou Jérusalem, occasions de croiser des profils variés : des étudiants à l’université, des jeunes en service militaire… Ces deux aspects du voyage participent de la compréhension de la société israélienne." La vie spontanée et les rencontres formelles sont les visages complémentaires d’un même voyage d’étude. "Sur le débriefing à chaud, ce qui nous permet de dire que l’un des objectifs a été gagné, c’est qu’à aucun moment, il n’a été question de dire ‘ce voyage était finalement trop pro-palestinien, trop pro-israélien’. C’est l’inverse qui a été dit. L’idée de se questionner sur ‘l’équilibre’ de ce voyage est apparue comme absurde. Ce qui était intéressant, ce sont les regards très pluriels sur le conflit. Les élèves ne se sont pas sentis pris dans un piège, où le lundi, on leur propose un discours pro-palestinien, le mardi, pro-israélien et à la fin, la balle au centre, on est content, on a rempli notre mission. Non, voir les choses comme ça, ça n’a pas de sens. A partir du moment où ce sont les étudiants qui nous renvoient la complexité de la situation, c’est qu’à priori on a bien fait le boulot !"
Benoit Califano rappelle toutefois : "C’est difficile d’évaluer à chaud. Et le voyage a été tellement dense : c’était du chausse-pied permanent ! Entre les rencontres, les conférences, les déplacements, on a gavé les étudiants comme des oies pendant dix jours. Maintenant, il faut le temps de la digestion, avant de réaliser ‘les toasts au foie gras’." De quelle nature seront les dits ‘toasts’ ? Les élèves ont-ils produit au cours du séjour et auront-ils des examens liés à cette expérience ? Pierre Savary tempère cette idée : "Depuis le départ, on a eu la volonté de faire de ce projet un ‘voyage’ d’étude et non pas un ‘travail’ d’étude. Etant donné la complexité des lieux et du sujet, j’ai vraiment souhaité que les étudiants viennent pour écouter, regarder, discuter et pas pour produire. Ce n’était pas le but. Ce qu’on fera dans les mois à venir, c’est qu’on choisira un fait d’actualité en lien avec le conflit et on dressera un ‘état des lieux comparatifs’. C’est-à-dire qu’on réalisera une revue de presse, puis un décorticage de la manière dont cet événement est traité, selon les titres."
En raison des événements, le programme du voyage a été bouleversé. Les rencontres et visites, déplacées, se calaient la veille pour le lendemain. Ces soubresauts de planning n’ont pour autant pas empêché le groupe de rencontrer une trentaine d’intervenants : spécialistes (Denis Charbit, Jérôme Bourdon, Jacques Bendelac…) ; ONG (Gilles Darmon de "Latet", Moran Avital de "Gisha", l’UNRWA au camp de Balata…) ; associations ("Emek Shaveh" sur le thème "archéologie et conflit", "Breaking the silence" à Hébron…) ; politiques (Yigal Palmor, le COGAT, Moustafa Barghouti d’Al-Mubadara, Ali Jirbawi, ministre palestinien de l’Enseignement supérieur, l’ambassadeur de France Christophe Bigot…) ; religieux (un étudiant en yeshiva, les Bénédictains d’Abu Gosh, le custode franciscain de Terre Sainte Frère Pierbattista Pizzaballa…) ; et une dizaine de journalistes (Gideon Levy d’Haaretz, Charles Enderlin de France 2, Hassan Balawi de la télévision palestinienne, Daniel Bettini de Yediot Aharonot, Isi Leibler du JPost…).
A l’issue de ce périple, se dresse un bilan riche et divers. Et qui fait office de réponse, lorsque l’on questionne les deux professeurs sur la polémique déclenchée par Rue89, au sujet du financement d’une partie du voyage par le CRIF. Pierre Savary explique : "A ceux qui nous ont prédit qu’on allait faire, pendant 10 jours, du bourrage de crâne pro-israélien et qu’on ne verrait que des interlocuteurs ‘validés’, nous avons répondu : faisons la liste des intervenants à notre retour et faisons le compte. En France, nous avons rencontré l’ambassadeur de Palestine, Hael Al Fahoum, ainsi que l’association "Génération Palestine". Ceux qui ont bien voulu se renseigner sur nos intentions, ceux-là ont cessé de nous traiter de ‘vendus’. Et les étudiants sont au courant depuis le début que le CRIF faisait partie des financeurs." Et Benoit Califano de conclure : "Quelque part, on s’en moque de savoir qui paye. La vraie question, c’est ‘qu’est-ce qu’ont appris les étudiants ici’. Nous, l’équipe pédagogique, nous n’avons eu à subir aucune restriction dans nos choix, ni aucune manipulation. On nous traite de parti-pris ? Ma seule réponse, c’est : demandez le programme !"