L’héritage du soldat isolé

La mort de trois soldats sans famille en Israël durant l’opération Bordure protectrice a conduit le public à prendre conscience des difficultés rencontrées par ces combattants.

Soldats isolés de la brigade Golani (photo credit: DR)
Soldats isolés de la brigade Golani
(photo credit: DR)
Dans de nombreuses villes en Israël, dont Jérusalem, il existe une rue David Marcus. Au départ volontaire américain, Marcus a été le premier général de l’armée israélienne – aujourd’hui, il serait défini comme le premier soldat isolé de l’Etat.
Né et élevé à Brooklyn dans une famille d’immigrés juifs roumains, Marcus termine l’école de West Point en 1920, apprend le droit, puis s’engage dans l’armée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale. En Europe, il est chargé de libérer les camps de la mort nazis. Là-bas, il rencontre des survivants.
L’expérience reste profondément gravée en lui. Lorsque, suite à la partition de la Palestine par les Nations unies en 1947, David Ben Gourion lui demande de recruter un officier américain en tant que conseiller militaire, Marcus se porte lui-même volontaire. Il arrive en janvier 1948 à Tel-Aviv, sous le nom de « Michael Stone ».
« Stone » structure le commandement de la nouvelle armée israélienne et planifie ses tactiques stratégiques. Il réussit à déséquilibrer l’armée égyptienne dans le Néguev et à garantir la sécurité dans la partie juive de Jérusalem lors de l’attaque arabe en mai 1948.
Marcus est tué à l’âge de 46 ans près d’Abou Gosh par un tir ami, après avoir été nommé général – le premier général israélien en 2000 ans, depuis l’exil du peuple hors de sa terre par l’empire romain – par Ben Gourion .
Son héritage perdure jusqu’à aujourd’hui, à travers les milliers de soldats sans famille en Israël qui s’engagent chaque année dans l’armée en laissant derrière eux parents, amis et carrières, afin de contribuer à la sécurité et au maintien de l’Etat juif.
« Aujourd’hui, les soldats isolés veulent être connectés à Israël », déclare Noya Govrin, directrice à Nefesh BeNefesh (Ame pour âme) du programme pour les soldats sans famille en Israël. « Ils sont nombreux qui viennent de familles sionistes, ou qui sont nés de parents israéliens et veulent revenir. »
Trouver sa communauté
« Mais pour nombre d’entre eux, le lien avec Israël vient d’au-delà du contexte familial. Ils ont le sionisme dans le sang, c’est quelque chose de très présent pour eux », confie Govrin au Jerusalem Post. « Cela provoque beaucoup d’admiration de la part des soldats nés en Israël : ils ont grandi en sachant qu’ils devraient accomplir leur service militaire. Tout à coup, ils voient ces jeunes originaires d’autres pays, qui n’ont pas grandi ici, et souhaitent fortement se joindre à l’armée. »
David Esses, 24 ans, est l’un de ces soldats isolés. Né dans la ville de Mexico, Esses a pris à 17 ans la décision de venir seul en Israël. « M’engager à l’armée israélienne était mon rêve, quand j’étais enfant. »

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« Je suis venu et j’ai commencé par étudier un an dans une yeshiva avec d’autres Sud-Américains, avant de m’engager à l’armée, » dit-il au Post. « J’ai rapidement appris l’hébreu. Je suis tombé amoureux de ce pays, avec un fort sentiment d’appartenance. »
Esses a laissé derrière lui sa famille, et ses frères et sœurs mariés. « Parmi les membres de la communauté juive de Mexico, ce n’est pas très courant de faire son aliya. »
« La communauté de Mexico est forte et jouit d’une bonne qualité de vie. Il y a de l’antisémitisme, mais il n’est ni ouvert ni violent », explique-t-il, en route vers sa période de réserve militaire.
Esses a commencé dans la brigade des parachutistes, puis a continué à la shayetet 13 (unité des forces navales spéciales) où il a été blessé. Il est alors passé dans le corps des renseignements. En tout son service a duré 5 ans.
« L’armée est très différente de ce à quoi je m’attendais. J’ai trouvé ma communauté ici, j’ai rencontré des Israéliens des quatre coins du pays. Il y a tout de même des moments difficiles, par exemple quand les parents viennent voir leurs enfants à la base et leur apportent de la nourriture pour le week-end, ou lors des cérémonies de l’armée, quand on aimerait bien que nos propres parents soient là pour nous voir. »
Prêts avant même d’arriver
« En tant qu’Israélienne », explique Govrin, « je savais beaucoup de choses sur l’armée juste parce que j’avais grandi ici. Mais pour les soldats qui viennent d’autres pays, tout est nouveau, y compris la langue, et cela les désavantage. Dans notre programme, nous faisons tout notre possible pour les aider à trouver leur place dans les rangs de Tsahal, et à se débrouiller avec la bureaucratie militaire. »
« Nous établissons des connexions entre les soldats isolés et des familles israéliennes – beaucoup de familles sont volontaires pour les adopter. Justement aujourd’hui, nous avons mis en relation une famille de Haïfa et une jeune fille d’Afrique du Sud qui vient de s’enrôler à l’armée. En revanche, beaucoup de soldats choisissent de rester complètement indépendants et de vivre seuls dans un appartement ou d’intégrer un kibboutz », ajoute Govrin.
Les Amis de l’armée (Friends of IDF) ont réservé une surprise à Esses il y a trois ans à la fin de son cours d’officier dans les services du Renseignement : ils ont fait venir pour la cérémonie ses parents de Mexico. Ceux-ci se sont joints aux milliers d’autres parents fiers de leurs enfants. « Ça a vraiment été un moment important, j’ai été très ému que ma famille me voie à cette étape de mon service militaire », se souvient Esses.
« Notre programme est unique,  car il prépare les soldats avant même qu’ils ne foulent le sol d’Israël », note Govrin. « Nous les guidons et nous les encadrons à l’étranger, pendant l’aliya, dans l’élaboration du processus, pendant toute la durée du service ; et une fois leur service militaire terminé, nous les aidons à trouver du travail. »
Prêts à se jeter dans la bataille
Les hommes qui font leur aliya entre 18 et 25 ans ont l’obligation de servir dans l’armée. La durée du plus court service est de six mois, celle du plus long 30. Les femmes, entre 17 et 20 ans au moment de l’aliya, sont aussi astreintes au service militaire.
Les nouveaux immigrants obtiennent le statut de soldat isolé six mois avant leur enrôlement, quand ils rencontrent un assistant social de l’armée et reçoivent les documents nécessaires. Avec ce statut, ils peuvent bénéficier d’une aide financière, d’une assistance au logement, et de temps supplémentaire de vacances, dont un voyage gratuit de 30 jours vers leur pays d’origine pour voir leur famille, durant la période du service.
Les soldats sans famille en Israël servant dans des unités non combattantes reçoivent 866 shekels par mois. Les combattants 1 230 shekels, et les soldats ayant effectué 7 mois d’entraînement avancé 1 618 shekels mensuels.
Auparavant, le Programme pour les soldats isolés s’occupait exclusivement des nouveaux immigrants originaires d’Angleterre et d’Amérique du Nord. Mais, depuis deux ans, il a été étendu aux soldats de toutes provenances. Aujourd’hui 58 pays sont représentés, dont le Maroc, le Kenya, l’Inde, l’Estonie, l’Azerbaïdjan et le Turkménistan. Les plus vastes contingents viennent d’Amérique du Nord et des pays russophones.
Au total, 2 800 soldats isolés sont arrivés dans nos frontières pour effectuer leur service militaire, et 6 000 ont reçu ce statut, entre autres raisons, du fait de l’éloignement de leurs familles.
« Pendant le récent conflit, nous avons reçu nombre d’appels et de demandes de jeunes Juifs de Diaspora qui ont voulu nous rejoindre », note Dar Iwler, directeur du programme pour la région de Tel-Aviv. « Ils veulent savoir comment le centre peut les aider et quelles sont les implications du conflit pour des soldats potentiels. »
« Cette augmentation est subite et inattendue. C’est une période de folie. »
Selon Iwler, de nombreux futurs soldats isolés ignorent complètement ce qui les attend à l’armée.
« Cent vingt nouvelles recrues sont arrivées dernièrement, et elles veulent déjà se jeter dans la bataille », explique-t-il. « Mais vous ne pouvez pas venir et être incorporés aussitôt, sans passer par tout un processus. »
Du frigo jusqu’au lit
« Les futurs soldats débordent d’enthousiasme pour l’aventure dans laquelle ils s’embarquent », pointe Iwler. « Ils viennent ici avec toute leur passion. »
Le Centre pour les soldats isolés de Tel-Aviv offre ses services à nombre des recrues qui arrivent en Israël. En plus des divertissements, du soutien psychologique, et des dons de vêtements et de nourriture, le centre crée une famille de substitution pour les jeunes éloignés de leurs parents. Les besoins ont décuplé depuis le début du conflit.
Rebecca Baskin, originaire de Toronto, ancienne soldate sans famille en Israël, a servi en tant qu’instructrice dans l’armée de l’air. Elle a assisté à l’enterrement du sergent Steinberg. « C’était important pour moi d’être présente », dit-elle, « parce que Max était l’un des nôtres, même si je ne le connaissais pas personnellement. Les soldats isolés forment une communauté qui se soutient mutuellement. »
Baskin fait du volontariat au Centre Michael Levin pour les soldats sans famille en Israël et est directrice adjointe de l’antenne de Jérusalem. L’association a été créée par d’anciens soldats isolés afin d’aider les nouveaux, durant leur service ou après. Baskin organise pour eux des moments de convivialité comme des repas de shabbat, des barbecues, des marathons et des journées de loisirs.
« Nous aidons les soldats isolés à meubler leurs appartements, nous apportons les meubles chez eux, depuis le frigo ou le lave-linge, jusqu’au lit ou au canapé, que des gens ont offerts pour les aider », explique Baskin au Jerusalem Post.
« Les Israéliens nous demandent comment aider, ils veulent réunir toutes sortes de choses. Nous avons une compagnie de déménagement qui fonctionne avec des volontaires. C’est très touchant de voir la générosité des gens, en meubles et en argent. »
Un message intemporel très puissant
Le Centre fournit son assistance aux soldats juste avant qu’ils n’aillent sur le terrain, en leur apportant, entre autres, des chaussettes propres, des sous-vêtements, de la nourriture et du shampoing, et des mots d’encouragement. Durant le conflit, des volontaires ont apporté toutes sortes de produits aux soldats stationnés le long de la frontière avec la Bande de Gaza et dans le Nord.
Comment les parents de ces jeunes recrues voient-ils leurs fils et leurs filles s’engager à l’armée ? Selon Govrin, la plupart d’entre eux les soutiennent. « Nous voyons toutes sortes de parents. Certains souhaitent que leurs enfants terminent un diplôme avant de venir, mais des soldats viennent sans le consentement de leurs parents. La majorité toutefois bénéficie d’un soutien familial. »
Les raisons pour lesquelles les jeunes s’engagent sont souvent personnelles.
« L’armée n’a pas besoin de tant de main-d’œuvre supplémentaire. Pour ces volontaires, il ne s’agit pas d’une obligation, mais plutôt de l’expression de leur volonté. Ils veulent être à l’armée. Ils choisissent d’apporter leur contribution sous cette forme », affirme-t-elle.
Leur intégration dans la société israélienne est grandement facilitée par le nombre important de services accordés par les différents centres pour soldats isolés.
« Les soldats sans famille en Israël bénéficient de 30 jours de vacances par an, pour rendre visite à leurs parents à l’étranger. L’armée leur offre différentes possibilités de logement, ils reçoivent de l’argent de l’armée, deux fois plus que les soldats israéliens », ajoute Spilman.
Ils peuvent choisir de vivre dans des kibboutzim, dans de petits appartements proposés par l’armée, ou encore dans des appartements loués de façon indépendante, en recevant une subvention de l’armée pour le loyer. Ils ont tout juste de quoi vivre, se retrouvent seuls pour les repas de shabbat, et assument leurs lessives et tout le reste. C’est là qu’intervient le Centre pour les soldats isolés.
« Les soldats isolés nous inspirent tous », conclut Govrin. « Ils transmettent un message intemporel très puissant : l’Etat juif est notre foyer et il doit être défendu, même par ceux qui n’y ont pas grandi. » 
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